lundi 6 avril 2015

Le serpent de mer et sa représentation dans les flèches faîtières kanak


       Le   grand serpent de mer  et les énigmes de la flèche faîtière  kanake.




  Les théories psychologiques primitivistes expliquent,  par  l’étalement du visage et de la nuque   sur un plan unique, les formes énigmatiques   de la flèche. Ainsi Leenhardt, dans Notes d’ethnologie calédonienne, écrivait en 1930 : « j’ai longtemps interrogé pour connaître le détail de ces figures grotesques…La large plaque en bas est le ventre, au-dessus la cravate et le menton, puis les oreilles, le front, la fronde…La large plaque finale d’où s’élève la flèche  représente la nuque, allongée sur le même plan que la face. C’est, en effet, la vision qui préside au dessin d’enfant où les parties invisibles sont surajoutées sur le plan des parties visibles. »

Eliane Metais résume très honnêtement dans L’art néo-calédonien la situation de cette flèche faîtière  qu’elle qualifie de géométrique : elle est  « géométrique : on ne peut en retrouver les éléments, les indigènes réinterprétant  par analogie les figures qui  la constituent, car toute la sculpture change d’âme au cours des années… Personne ne peut en donner la traduction… Toutes les suppositions sont possibles, aucune certitude n’est permise, car les porteurs de cette culture ont disparu. »

  Il faut préciser que les motifs des flèches varient dans le temps et dans la géographie et qu’aucune explication ne vaudra pour toutes. Le sens en était réservé aux hommes, à l’exclusion des femmes, et aux initiés de très haut grade, en petit nombre, à l’exclusion des profanes. Il ne faut pas avoir peur de dire que, même à l’époque de Leenhardt, les insulaires ne pouvaient plus comprendre  cet art hermétique. . Les sculpteurs devaient, bien entendu, être initiés, mais en se recopiant les uns les autres  ils devaient rajouter des détails. Ce que j’ai écrit  en 1982 se rapportait  à une ré- interprétation moderne de la flèche, tandis que ce qui va suivre en décrit le sens originel.  De plus, le premier plan de flèche n’a pas obligatoirement été dressé en Calédonie, mais peut-être avant les  migrations.

 L’existence du calmar colossal (Mesonychoteuthis hamiltoni)  n’est connue  que depuis 2003. Avant cette date, rares étaient les témoignages sur les monstres habitant les rivages calédoniens.

Les témoignages sur un Serpent de mer (calmar colossal) en Calédonie.

J’emprunte au livre de J. J. Barloy , Serpent de mer et monstres aquatiques  , 1979, p.215, ces témoignages : le serpent de mer, « … en Nouvelle-Calédonie, est signalé dès 1878 ; un spécimen montre, cette année-là, sa tête et sa crinière aux officiers du navire de guerre français la  Seudre.

« En 1923, se situent plusieurs observations dont le combat avec l’Architeuthis » [dux, calmar géant et non calmar colossal].

 Extrait des Echos d’Altaïr, article consacré à l’apparition, d’un Grand Serpent de mer repéré en Nouvelle-Calédonie à plusieurs reprises durant l’année 1923.  « Le 22 novembre  de cette année-là, deux Néo-Calédoniennes [autochtones] se trouvent près de la pointe Abel, quand elles entendent une détonation semblable à un coup de fusil. A 60 mètres de distance, elles aperçoivent un curieux animal de couleur brun acajou avec une sorte de crête sur le dos. Il pousse un long sifflement et rejette « un jet de fumée, puis une gerbe d’eau ».

« Un gendarme à la  retraite, M.  Millot [ le père de Alexandre Mllot, décédé récemment} gardien de la quarantaine de l’îlot Freycinet, confirma à son tour  le témoignage de la femme kanak Fels. Voici ce qu’il déclara au quotidien  néo-calédonien La France Australe : « Le 22 septembre vers 16 heures, étant dans mon jardin, j’ai vu un jet d’eau dans la direction de la Pointe aux Lantanas. Ce jet me semblait avoir la hauteur de la colline qui domine cette pointe ; puis,  un autre jet,  moins élevé, plus à  l’ouest .Par trois fois, en quelques minutes, il m’a semblé voir plusieurs gros animaux, plus forts que des marsouins ; puis, avec regret, j’avais perdu de vue ces apparitions, quand un bruit sec, formidable, suivi d’un autre,  plus prolongé, me fit reprendre ma veille.  [Le bruit en question était dû au choc provoqué par l’animal quand il retombait dans l’eau.] Je vis plusieurs « morceaux » plus gros chacun qu’un cachalot, puis une masse noire : la queue présentait un écran de 2 mètres de hauteur sur 3 mètres de large, environ. Le bruit et les apparitions devinrent plus fréquents et plus nets, la couleur noire persistant. L’animal est venu entre Freycinet, l’île aux Chèvres et la presqu’île Ducos. Le plus beau tableau que j’en aie vu représentait trois dômes successifs de plusieurs mètres de haut, qui m’ont paru tenir plus de place que mon habitation. J’en étais à 1500 mètres ; ces trois morceaux me semblaient trois baleines à la suite les unes des autres. Je ne puis rendre plus exactement ce monstre, qui m’a paru plus poisson que serpent. La longueur est difficile à estimer ; les trois parties que j’ai vues,  se touchant presque, mesuraient plus de 20 mètres, et on devinait sous l’eau un prolongement de l’animal (à moins d’admettre une famille à la queue leu- leu). Je n’ai pas vu la tête ; mais à chaque apparition, j’ai entendu ce bruit formidable semblable au barrissement de l’éléphant, suivi du bruit du remous comparable à celui que ferait la chute de nombreuses feuilles de tôle. Il faisait calme plat. »

 « A nouveau, le dimanche 30 septembre, le monstre apparut. Cette fois, ce fut à 3 kilomètres du port de Nouméa, entre l’îlot Maître et le Tabou, que M. et Mme Bailly, accompagnés d’un Kanak nommé Emile, le virent distinctement alors qu’ils allaient pêcher en pétrolette .D’après M. Bailly, l’animal « avait érigé son corps verticalement comme un mât. Parfois,  il y avait deux branches dressées  à la fois, comme la tête et la queue d’un même animal. Ces deux branches s’abattaient en sens contraire, et dans le prolongement l’une de l’autre, avec grand bruit.  Mme Bailly précisa que la créature « jetait fréquemment un jet de fumée. » Extrait du livre de Bernard Heuvelmans, Le Grand Serpent -de- mer, 1975.

  Barloy se fonde sur la crinière aperçue pour penser que ces monstres  sont des chevaux marins (Halshippus olaimagni).

Pour Heuvelmans que je suivrais plus volontiers, il s’agit du calmar colossal. « Par moments, écrit-il,  [le calmar] avait projeté ses deux longs tentacules au-dessus de la surface, et parfois il avait rejeté de l’eau ou de la vapeur d’eau par son siphon locomoteur. » On peut aussi supposer que l’eau est rejetée par des cachalots qui s’attaquent aux calmars. Néanmoins, comme le souligne Heuvelmans, « cette identification est certainement légitime, mais elle n’explique pas l’excellente description que les femmes indigènes  ont faite d’un serpent- de- mer à crinière. Le comportement insolite et bruyant de la créature serait la preuve que cet animal était en difficulté dans un affrontement possible contre un Architeuthis  » (calmar géant et non calmar colossal). »

   Selon moi,  ce qu’on a pris pour une crinière peut  être constitué en réalité par les huit  tentacules projetés au-dessus de la tête du calmar colossal. Mais, même si  c’était bien un  cheval marin, comme le suppose Barloy,  il est d’ailleurs possible que la «  crinière «  du cheval marin  soit composée de filaments à fonction respiratoire.


Historique de la découverte néo-zélandaise d’un calmar colossal.

Le 17 septembre 2014,  120 000 personnes  de 180 pays  ont suivi sur le Net  l’autopsie du calmar colossal  (elle a duré 3 h 37), réalisée au Te Papa Tongareva (Muséum d’histoire naturelle de Nouvelle-Zélande) de Wellington. .

Les plus gros spécimens de calmar colossal peuvent mesurer 10 mètres et peser plus d’une tonne ; ils vivent à des profondeurs de 1000 mètres, là où l’obscurité est permanente et, le plus souvent,  dans les eaux de l’Antarctique. Les chercheurs en connaissaient l’existence grâce aux résidus retrouvés dans l’estomac des cachalots , qui sont  les uniques prédateurs du calmar  colossal. Le calmar colossal  se nourrit de légines antarctiques ou australes (Dissostichus mawsoni),  un gros  poisson  dentu de 2 mètres.

En 2003, un bateau de pêche en mer de Ross, près du continent Antarctique,  a capturé un  premier spécimen de 150 kilos, une femelle, mais il était  très abîmé. En 2007, un palangrier néo-zélandais,  à la recherche de légines australes,  remonte une autre femelle, de 495 kilos, mais en très mauvais état. Elle fut cependant réfrigérée, autopsiée et naturalisée au Musée. .

 Enfin, en 2 013, une autre femelle, de 350 kilos, faisant 1  mètre de circonférence et 4,2 mètres de longueur,  est remontée, pratiquement intacte cette fois.

« Ce céphalopode a trois cœurs, deux pour le fonctionnement des  branchies et un pour celui du  corps entier, un bec à la mâchoire inférieure dépassant la mandibule supérieure et longue de 5 cm, des tentacules armés de griffes, composés de chitine et dotés de la particularité de pouvoir effectuer des rotations afin d’agripper les proies. Les yeux sont énormes  et situés de chaque côté de la tête : ils mesurent 27 cm de diamètre, soit la taille d’une citrouille. Son corps est doté de deux ailerons d’un mètre de long sur un de large, de deux longs bras et de 8 tentacules pourvus  de photophores : ce sont des structures bio luminescentes  situées en bordure de rétine et qui, telles des lampes torches, émettent une lumière suffisante pour éclairer à  100 mètres devant l’animal et pour suppléer à la déficience de la vue bilatérale du calmar. Pour partir en chasse, le calmar place ses bras au-dessus de sa tête. » Voir photo ci-dessus (Sciences et Avenir, n°813, novembre 2014, Loïc Chauveau).

 Ce monstre,- et c’est ce qui nous intéresse, - a inspiré plusieurs formes d’art océanien.

Il y a différents types de flèches faîtières de Calédonie.

Voici le schéma qu’aujourd’hui les biologistes dressent du calmar colossal (Sciences et  Avenir et sur le Net), évocateur  de certaines flèches faîtières.




Certaines  flèches faîtières représentent le calmar colossal  à l’envers, le haut de la flèche représentant le bas du calmar, la tête étant vers le bas de la flèche.















Les deux ovales intrigants  caractéristiques de la flèche faîtière  représentent, le premier (bas du calmar, haut de la flèche), le plus volumineux, les deux ailerons du calmar  presque soudés ensemble, avec la « plume » « osseuse » entre ces deux nageoires dorsales, plume qui se  prolonge en flèche,   l’autre le ventre du calmar, sous la tête aux yeux placés latéralement, avec les deux bras ou fouets.  


                                            Le calmar colossal


  

                                              

                                                Photo 1 de 4 flèches  montrant , sous la « plume », les deux nageoires qui  paraissent constituer une seule flèche parce qu’elle sont vues soudées ensemble. On note les poches au noir, ressemblant à des collerettes,  bien visibles sur la 2e et sur la 4e.

Photo 2 Musée de Bourail dont le nom (traduit souvent par la queue du lézard ou  du Serpent de mer, raye) signifie en réalité la « plume » du calmar. Ailerons latéraux  soudés par-dessus la plume qui se prolonge en flèche  et composant un premier  « ventre »  rebondi, avec au-dessous à gauche un  tentacule (il  y en avait un autre à droite, qui a été complètement cassé) et deux bras ou fouets de chaque côté avec des guillemets  fermés à gauche et ouverts à droite symbolisant les crochets des deux bras,  bras bien plus longs que les 8 tentacules ;

puis encore un tentacule, le 3e   orienté vers le bas (il y en avait,  symétriquement , un  autre , le 4e , à droite qui a été  cassé ) ; puis,  la tête du calmar avec les yeux latéraux dont l’un cassé en partie ;  ensuite une « collerette »  , en réalité la poche au noir défensive du calmar,    un 5e  tentacules à gauche et un 6e   à droite dirigés vers le bas; enfin le ventre avec  trois têtes de flèches  qui sont autant  d’hameçons et  un rectangle avec double trait à gauche : ce sont les deux derniers tentacules manquants, le 7e et  le 8é Le quadrilatère vise  à faire comprendre la souplesse des  tentacules qui peuvent faire, et à deux reprises chacun, des angles droits. A noter que  les deux bras ou plutôt la double série de crochets acérés  qui arment le bout des deux bras  sont représentés ici par des guillemets ouverts et fermés. Les « guillemets » sont appelés maru  et désignent une ornementation qui se retrouve dans les conques de triton accrochées à la flèche.  



LE CALMAR GEANT (Architeuthis dux).





Le calmar géant, que les caméras d’une équipe scientifique japonaise ont réussi à saisir pour la première fois en 2005 dans le Pacifique Nord,  a pu donner aussi des représentations : celles-ci ne présentent pas, à première vue,  les deux  ventres  rebondis, si caractéristiques du calmar colossal.

 Photo 3 : le calmar géant, son bec avec la radula (racloir en latin), sorte de langue râpeuse du calmar  (la « cravate » de Leenhardt) et sa poche au noir (la « collerette » de Leenhardt).   

 Il semble que, sous la flèche, on ait un globe bien  moins important que celui du  calmar

colossal, constitué en réalité , lui aussi,  de  deux nageoires ;  puis les deux bras  aux extrémités tournées vers le bas , dont une  cassée  , avec au-dessous  le  visage aux   deux yeux latéraux comme dans la réalité (des trous de chaque côté)   et le bec avec la mandibule  supérieure et , à la mandibule inférieure, la radula , sorte de langue triangulaire ,  munie de dents et râpeuse (c’est cette  radula  qui est appelée  « cravate » par Leenhardt).. Chez le calmar, la mâchoire inférieure dépasse la mandibule supérieure, et elle est longue de 5 à 10 cm.

La « collerette », en réalité la poche au noir du calmar.

 Il y a ensuite , sur la flèche comme sur le schéma ci-joint,  au-dessous du bec,  ce que Leenhardt appelle la « collerette »  , en réalité la poche au noir , une glande productrice de mélanine,- enfin  les huit tentacules ,  intacts  ici , sauf les bouts des  tentacules extérieurs,  qui  sont à la hauteur de ce qui, pour l’artiste kanak , constitue une seconde poche au noir , le  foie pour nous ou au moins une glande digestive comme les biologistes l’appellent  de nos jours. .La poche à encre, équivalent du pancréas, est, chez le  calmar géant, encastrée dans le foie, mais telle n’est pas la représentation. . La poche au noir, en tout cas, est   l’emblème du calmar.

La sculpture a été réalisée par un artiste qui n’avait peut-être pas vu de ses yeux le monstre et qui n’avait pas les connaissances anatomiques d’Aristote ;  de là, à mon avis, le fait qu’il ait pris le foie, appelé glande digestive dans le schéma ci-dessous,  pour une seconde poche au noir contribuant à l’excrétion de l’encre et qu’il l’ait représenté dans le seconde masse transversale située vers la fin du corps du calmar. Effectivement,  la sépia est éjectée par l’anus. Il est intéressant de noter qu’à l’époque mycénienne, deux mille ans avant le christ et en Europe, la représentation était voisine , avec un bras en haut ,au sommet de  la tête 3 bras restants dont certains, cinq,  cassés,la radula, et surtout  un « ventre » en  bas chargé d’emmagasiner le noir (voir mon blog sur la déesse syrienne, à dolmens et à Crète mycénienne, pour des représentations sur la partie basse des  talés qui  peuvent refléter des œufs de seiche)


De là aussi  le fait que l’artiste mélanésien  ait ajouté deux yeux sur le front, si bien que les deux yeux  latéraux ,  représentés sur son modèle et conformes à  la  réalité , faisant dès lors double emploi,  soient devenus  des oreilles curieusement percées , absentes chez  le calmar. .

L’œil du calmar géant.

Heuvelmans écrit (Dans le sillage des monstres marins,  tome 2, p.271) à propos de l’œil de ce  monstre : « [Le fait ] que [son cristallin] ressemble,  tant par la forme que par l’aspect,  à une perle avait été remarqué depuis bien longtemps, puisque des fouilles archéologiques ont démontré qu’au temps des Incas, les Péruviens se servaient des cristallins des grands céphalopodes à des fins ornementales et que les anciens Egyptiens en mettaient comme yeux à leurs momies .A une époque plus récente, les indigènes des îles Sandwich en vendirent comme perles authentiques à de naïfs voyageurs russes. » On remarque aussi sur les masques calédoniens des opercules à la place des yeux.

  Les Tuamotous se servirent des cristallins comme boucles d’oreille qu’ils remplacèrent  plus tard par des perles lorsque commença le commerce de ces parures sacrées (taumi, etc.) vers  Tahiti. Mais le port d’une  perle, comme,  initialement, celui du cristallin, était un hommage au divin céphalopode et à sa force divine. Il sera aussi plus tard symbolisé par l’opercule d’un coquillage considéré comme l’œil du calmar  et porté en boucle d’oreille créole.


Dans la tribu de Méchin près de Kouaoua j'ai vu une  flèche faîtière similaire , avec au sommet,  les 8 tentacules dont certains sont cassés, puis le motif losangé représentant les deux bras, les yeux bien excentrés, la poche au noir qu’on peut  prendre  pour le nez, au-dessous la glande digestive,  plus petite  et la   radula, fort longue qu’on peut prendre pour une langue tirée. . Photo n°3 bis.ci-dessus.

La couleur blanche  suffisait autrefois à marquer le calmar comme vivant.

Les  couleurs du calmar.

Nous allons tenter de vérifier la couleur de ce calmar divin et colossal grâce au livre passionnant de Bernard Heuvelmans sur les calmars, Dans le sillage des monstres marins, Le kraken et le poulpe colossal, tome second, p. 298.  Etant rappelé  que ces monstres peuvent mesurer 20 m de long et peser 700 kg, voici ce que ce cryptozoologue écrit à propos de la couleur décrite par un observateur comme un manteau d’écarlate    :

« Cette teinte écarlate  est familière à la plupart des calmars d’une taille exceptionnelle.  En réalité il est impossible de définir la couleur des céphalopodes, car ceux-ci, grâce au jeu des chromatopohores qui garnissent leur peau, en changent avec une facilité surprenante.Ainsi les poulpes , qui , à l’état de repos, sont d’une couleur gris verdâtre, marqués de taches ou de mouchetures rousses, ont le corps parcouru de vagues multicolores quand ils sont excités : toutes les nuances du rouge, du pourpre, du violet et du bleu déferlent sur eux en un éclair et se fixent parfois en des marbrures très contrastées. ..Parlant d’un calmar -flèche de la Méditerranée, Jean-Baptiste Vérany écrivait : « Dans l’état de vie, ce céphalopode est d’un blanc livide peu transparent, se nuançant de bleu, de verdâtre et de rose irisé par des reflets argentés…Quand il a perdu toute vitalité, et que le jeu des points chromatophores a cessé, sa couleur est d’un  rouge brique uniforme. » Il n’est pas étonnant que les calmars géants trouvés moribonds sur une plage ou à la surface de la mer, -ou même leurs restes mutilés,- aient souvent été décrits comme d’un rouge plus ou moins éclatant.  » Tel est le cas au Japon, où akkoro (de ligoro, l’enroulé, parfois le serpent) désigne le calmar super- géant, Architeuthis dux et où il est décrit comme de couleur rouge ».

Le motif dit  de l’ « œil qui pleure » si répandu à la proue des pirogues polynésiennes , , comme celui des « côtes saillantes » prises pour un signe de famine,   me semblent  refléter les bras du calmar super- géant , comme le v des poteries djomon .De même ,  certaines figures géométriques  des urnes ouatom comme celle du  losange,  renvoient  peut-être  aux bras  des  encornets

. Il y a  ainsi comme deux poches au noir  sur la flèche, l’une  correspondant à la poche au noir de l’animal,  au- dessous du foie sur le schéma , juste sous le menton sur la flèche,   la « collerette » de Leenhardt,   la seconde  à la hauteur du bout  des tentacules et de l’extrémité du corps, le foie dans lequel la poche au noir est encastrée sur le calmar,  où l’animal, selon l’artiste mélanésien,  puise pour expulser l’encre noire , la sépia destinée à se cacher de son ennemi et à aveugler celui-ci..   A noter ce fait surprenant, -s’il est exact,- que le nuage projeté épouserait, dit-on,  la forme du calmar, pour achever de terroriser l’ennemi. 

A remarquer les angles que forment à deux reprises ces tentacules, qui sont  dotés de la particularité remarquable  de pouvoir effectuer des rotations afin d’agripper et de saisir les proies.


Photo 4 d’une flèche montrant  six tentacules intacts sur les 8  du calmar géant. Au-dessous des ces 6 tentacules, on voit  les zigzags des deux  bras du calmar géant ,  qui   représentent les rotations de ces tentacules entortillées. Il s’agit des bras  pliés et repliés avec leurs crochets.  Puis les deux nageoires.

Le visage avec des trous latéraux  pour les  yeux, la collerette (la poche au noir), le ventre avec une croix.

 La croix  sur le ventre, signe qui se retrouve sur les pétroglyphes,  représente l’hameçon qui a servi à capturer  le calmar ; on a déjà vu un hameçon à trois ^pointes p^lus haut.  De même, les Chrétiens , qui adoraient le Christ mort sur une  croix,  avaient l’emblème du poisson , ichtus en grec, interprété secondairement comme l’acrogramme de  Iesous Christos Theou Uios Sôtèr , Jésus Christ fils de Dieu sauveur:, mais l’hameçon était  le symbole  du rachat des pécheurs, « ferrés »  par Dieu en quelque sorte .


Photo 5 montrant 5 flèches faîtières appelées pwam-abaï, le ventre (pwam) du calmar (abaï).  La 4e flèche à partir de la gauche est  celle étudiée ci-dessus, la 5e montre  le calmar colossal avec ses deux ovales caractéristiques.

La 3e montre d’abord 3 tentacules sur les 8, puis 7 passages des deux bras (dans la réalité, rappelons-le, ils  font 2 mètres de long),  l’un des deux  bras à droite se prolongeant longuement   vers le bas, l’autre étant cassé. Ces zigzags ou ce treillis losangé (maru)  représente les 2 bras. . Puis la « collerette » (la poche au noir ) et enfin le ventre.  



Le conte du poulpe et du rat, répandu à Tiga (  le nom de Tiga vient de tegan, nom du serpent de mer ou calmar , cf. près de La Foa Tiha et le teganpaïk à la fin de l’article) et dans le reste de la Calédonie , doit être le réaménagement et l’utilisation technologique d’une ancienne légende destinée à expliquer le combat du calmar géant (tiga) et du cachalot  (l’absence de cheveux raillée dans le conte , c’est-à-dire de tentacules ,nous amenant à songer au  crâne lisse du cachalot) : le rat ayant été introduit par les bateaux européens, le nom du leurre en forme de rat qui servait de piège pour piéger les calmars et qui ressemblait  plus à un calmar avec ses tentacules (les calmars sont  aussi  agressifs  vis-à-vis de  leurs congénères ) qu’à un rat   doit être récent.

 La « plume » ou glaive  des calmars

La « plume »  du calmar, constituée de carbonate de calcium, est l’équivalent de l’ « os de seiche » des plages calédoniennes : le pseudo- squelette de cet invertébré ressemble d’ailleurs vraiment à une plume. Il a servi de modèle aux insulaires du Pacifique pour leurs armes courbes, boumerangs, de bou  et mere , bras du calmar, ou autres,  comme les patu-patu ou mere polynésiens.   Tant il est vrai qu’on  a trop  sous-estimé le rôle du monde sous-marin dans les représentations de ces insulaires.
Les casses- têtes dits à bec d’oiseau ou à bec de tortue
 
Les casse-tête dit à bec d’oiseau n’ont rien de spécifique à la Nouvelle-Calédonie. On les trouve aussi aux Fiji, aux Samoa, à Tonga…L’expression bec d’oiseau vient  d’Indonésie où ce type de casse-tête  était d’usage courant, En Calédonie , ils  renvoient, selon moi,  au bec de ces calmars colossaux,  et ils seraient mieux appelés « casse -têtes à bec de calmar colossal  » En langue Paici, à Ponérihouen , ils sont appelés goporo puwa rawerewa, On reconnaît dans puwa  un nom ancien du  calmar . Otto Dempwolff  établit pour la racine austronésienne du nom du calmar la forme kwigwa, qui donne puwa en paîci,
 Les casse -têtes sont faits de bois importé par les Européens comme l’acacia et sont donc récents. Il a dû y avoir une erreur de traduction sur le mot  oiseau (quel oiseau calédonien a un bec pareil ?),  qui semble signifier tortue  ou plutôt tortue- serpent, c’est-à-dire calmar.  

La hache ostensoir
La hache- ostensoir, avec sa forme sphérique et ses huit «  tentacules »,  représentait le corps du  calmar  et ses huit tentacules, si l’on en croit son nom dans les  parlures de Canala (na-kweta, na-est l’article, de la racine austronésienne kwigwa, ou le nom parent bwet  ou i-bwet dans d’autres parlures, kono étant un euphémisme et signifiant la verte à cause de la couleur de la serpentine). . Le nom de la carangue et celui de la hache- ostensoir (toki, de tigwo, racine  kwigwa signifiant calmar, cf le toponyme  de Koutio), « à la forme rebondie », sont souvent identiques.  La base du manche (le corps du calmar) représente le second ovale des flèches, c’est-à-dire la seconde poche à encre (le foie en réalité). On peut se demander si les haches au disque noir (serpentine noire ou tourmaline noire locale ) ne représentent pas une ancienne tradition, à cause de la couleur de l’encre). 

  Les chambranles.
Il convient de se méfier des reproductions faites vers 1960 dans la région de Houaïlou par un émule de Weiss père, un artiste de Koumac apprécié ,sculptant des scènes kanak avec talent .Elles sont signées d'une encoche au milieu du sommet. leur modèle est un chambranle de Hienghène qui se trouvait sur la vérandah de l'Hôtel -restaurant Bozon- Verduras à Houaïlou. L'une d'elles  fut donnée par le sculpteur au siège de la mission protestante de Do Neva, d'où elle a disparu pour se retrouver, dit-on, en Suisse, avec une autre .qui ornait un  magasin de Gomen.
Enfant, mers parents m'amenèrent déjeuner à l'Hôtel Bozon -Verduras , dans une vieille et spacieuse maison coloniale aux murs très épais. Ma mère attirait mon attention sur les couverts marqués au chiffre du vermicellier savoyard (EVB, Emmanuel Bozon-Verduras) gravés sur une porcelaine du Berry:ce'était un souvenir des Pâtes La Lune et des Biscuits Brun, dont les collectionneurs s'arrachent les lithographies publicitaires sur tôle..Pour ma part,j'étais saisi par l'éblouissante et menaçante beauté des chambranles qui tapissaient les murs. plus tard,un mystérieux incendie fit disparaître, peut-être pas en fumée,  cette somptueuse collection. L'héritier des droits vivait à Nice avec une épouse qu'il avait enlevée à un irascible et inquiétant colon de La Foa. Il était conseiller territorial en même temps que moi,mais du parti opposé(Tendance Lafleur, EDS) et le président Ohlen n'avait de cesse de réclamer sa démission pour absence injustifiée et durable.Les mauvaises langues racontent que les chambranles ont reparu en Suisse après avoir confortablement voyagé dans le "contener "d'une belle et importante fonctionnaire territoriale (d'origine métropolitaine) prenant son congé. . 

Sur les chambranles que j'ai pu voir,  la poche au  noir est devenue  une mince cordelette. Ce qu’on prend pour une langue tirée dans la région de Hienghène est en réalité le bec du calmar.colossal, ou plutôt ,  la radula, sorte de langue du calmar très râpeuse munie de dents. Ce qui surprend sur certains talés, c’est une sorte de nez en bec d’aigle, très peu mélanésien : en réalité, c’était le bec du calmar avec sa mandibule inférieure proéminente, dépassant la mâchoire supérieure  et longue de 5 à 10 cm.

 Les   losanges sur le corps du talé représentent des œufs de seiche (voir illustration dans mon blog, les dolmens)et la vie future du clan.  La double série de crochets  tranchants qui  arment l’extrémité des deux bras   du  calmar colossal , le slash supérieur du guillemet symbolisant la série de crochets supérieure,  sont, selon une interprétation possible,  un signe d’avertissement pour les malveillants.

Autres souvenirs du calmar dans le Pacifique et même sur les lapitha.

Le motif dit  de l’ « œil qui pleure » si répandu à la proue des pirogues polynésiennes , comme celui dit des « côtes saillantes » qu’on a  prises pour un signe de famine,   me semblent  refléter les bras du calmar super- géant , comme le v des poteries djomon .De même ,  certaines figures géométriques  des urnes ouatom comme celle du  losange,  renvoient  peut-être  aux bras  des  encornets

Autres représentations .

  Il a existé d’autres monstres marins qui ont pu servir pour  d’autres représentations sur les flèches  : l’anguille géante, le reptile océanique géant qui a laissé son nom à  Gosana  (Ouvéa aux Loyauté, îles où le calmar géant semble absent des flèches) :  le mot gosana est parent du  nom caraïbe d’un gros lézard,  l’iguana, et du goana ou goarge australien, sorte de varan . le gosana d’Ouvéa  était-il  un crocodile marin  ?.Le varan   a aussi  inspiré certains pétroglyphes.

L’origine du tiki maori de Nouvelle-Zélande : un mammifère marin mystérieux ,  le teganpaïk , présent aussi en Calédonie,    une sorte d’otarie marsupiale  à long cou, parente de l’ornithorynque, Megalotaria longicollis Heuvelmans 1965.

Selon  B. Heuvelmans, Sur la bête des bêtes ignorées, p.133, tome 1, ce mammifère marin   a été entendu pour la première fois en 1801 en Australie.   « En juin 1801, le minéralogiste Charles Bailly et ses compagnons de l’expédition de Nicolas Baudin s’enfonçaient dans l’intérieur des terres après avoir donné le nom de leur bâtiment, le Géographe, à la baie de la côte occidentale.  Et soudain les voilà glacés de terreur par un rugissement terrible, plus bruyant qu’un beuglement de taureau, et qui semble sortir des roseaux de la rivière des Cygnes. Terrorisés, nos hommes ne demandent pas leur reste et s’éloignent à toutes jambes. Mais il ne fait pas de doute à leurs yeux qu’une bête aquatique formidable hante le nouveau continent. » Or, dans le nord de la Nouvelle-Calédonie, où j’avais   aussi  trouvé des dents que j’avais attribuées à des  otaries, Edouard Normandon a raconté avoir  entendu s’élever des marécages de l’embouchure du Diahot l’effrayant rugissement d’un animal, et les Mélanésiens ont confirmé ses dires, tandis que  des métropolitains incrédules se gaussaient et cherchaient à expliquer le phénomène  par le cri d’un lion évadé d’un cirque du temps des Américains ! Le  nom  de ce mammifère marin subsiste dans le nom de la tribu littorale de Touho teganpaïk (de tegan, serpent de mer, et de païk, « long-cou » du type du  héron des récifs [ Ardea sacra albolineata]), Teganpaik  étant connu pour ses flèches faîtières. Cela correspond en Australie au katenpaï (métathèse religieuse de tekan-, paï) ou tunatapan (de  tutan, de tukan pan).Terenba en Nouvelle-Calédonie a la même origine : la palatale g devient souvent r.

 Ce mammifère marsupial marin (Heuvelmans Op. cit. p.125, tome 2 et  Peter Costello, dans A la recherche des monstres lacustres,  p. 233) pondrait des œufs mais allaiterait ses petits comme l’ornithorynque et ressemblerait à  une otarie à long cou, avec trois bosses, caractérisée par une crinière blanche, et des rugissements rappelant ceux d’un lion.

Maoris et  Polynésiens  semblent avoir été frappés par  l’allaitement maternel  des petits d’otaries à la surface de la mer, les pores des bosses diffusant le lait. Rien d’étonnant dès lors si les tiki (nom pouvant être apparenté à tegan ,tuka,  serpent de mer) autrefois gravés par trois dans des dents d’otarie aux Touamotou, en gardent le souvenir, car on peut être tenté de  voir dans ces figures inexpliquées que constituent les tikis de Nouvelle-Zélande la représentation d’un embryon d’otarie à long cou, dans lequel  les Polynésiens voyaient le début de toute vie. Pour eux, le fait à partir de  l’œuf  cosmique, de passer à l’allaitement emblématique des vivipares représente l’histoire de la vie,  depuis  son origine à notre époque. D’autre part, le  haka  (de taka, serpent  de mer ?) peut imiter le cri du teganpaïk .








Jack l'Eventreur et le "docteur "Thomas Neill


        Jack l’Eventreur et  le Docteur Thomas Neill Cream ne font-ils qu’un ? Ou que vaut l’alibi du Docteur Neill prétendant purger en 1888 sa peine au pénitencier de l’Illinois ?

 

Comme le Docteur Neill , condamné à la pendaison, se tenait debout, attaché, le visage couvert, un quart de seconde avant sa chute dans la trappe, « le bourreau, M. Billington, l’entendit dire derrière son masque :

« Je suis Jack l’… », rapporte Elisabeth Jenkins dans « Un gentleman empoisonneur », la meilleure biographie du mystérieux criminel (du moins en ce qui concerne la partie « empoisonneur », mais sans jonction avec les massacres de Jack l’Eventreur) publiée dans le tome  2 d’une sélection du Reader’s Digest, 1962,  «  Scotland mène l’enquête ».

  Il avait , de sa prison, réussi  à faire parvenir moyennant une belle somme la lettre suivante, bien dans son caractère , au juge , M. Braxton Hicks (les caractères gras sont de moi) :

«       Cher Monsieur,

L’homme que vous tenez, le Docteur Neill, est aussi innocent  que vous .Le connaissant de vue, je me suis déguisé pour lui ressembler et j’ai fait la connaissance des filles qu’on a empoisonnées. Je leur ai donné des pilules pour les guérir de toutes les misères du monde, et elles en sont mortes. Miss L. Harris  a plus de bon sens que je ne l’aurai cru, mais je l’aurai tout de même…Si j’étais vous, je relâcherais le docteur Neill, autrement vous pourriez avoir des ennuis. Son innocence sera proclamée tôt ou tard, et lorsqu’il sera libre, il vous poursuivra peut-être pour dommages et intérêts.

                                                                          Respectueusement vôtre, JUAN POLLEN,

                                                                            alias JACK L’EVENTREUR

Que chacun se le tienne pour dit, je ne préviens qu’une seule fois. »

Rappelons que la prostituée L. Harris avait jeté au sol les pilules de strychnine que lui avaient données le docteur Neill, sans qu’il s’en soit aperçu, et  avait ainsi  échappé à la mort. Le pseudonyme Juan Pollen est intéressant car c’est l’anagramme (J =i) qui nous livre le véritable nom de l’empoisonneur : Paul O’Neill. Un autre pseudonyme, Malone (anagramme de (P)A (UL) O’Nel), employé dans une lettre de chantage  expédiée le 28 novembre 1891 par Neill au docteur Broadbent ,  confirme cette identité. D’autre part, Jack the Ripper est l’anagramme de Tho (m) as  Crea(m) le second nom usurpé de Paul O’Neill :  ces  deux pseudonymes établissent la concordance entre l’empoisonneur Paul Neill et le docteur Thomas Cream, alias Jack l’Eventreur.

  Jack  est le surnom d’un certain nombre de criminels célèbres d’autrefois, Jack Shepphard, Spring- Heeled Jack, Sixteen -Stringed Jack, Three -Fingered Jack,  Slippery Jack et Cannibal Jack par exemple. De plus, les High Rips (de to rip, éventrer) étaient des bandes  qui détroussaient les prostituées ou « relevaient les compteurs  » et les rackettaient. D’autre part, Jack the Saucy (Jack le [maquereau] bien habillé), employé aussi par lui,  contient encore, mais plus prudemment, Thau (m) as C(r)ea(m) Autre anagramme :le 14 juin 1888, le Charing Cross Hotel a passé une annonce dans le Times pour retrouver les propriétaires d’objets oubliés dans ses murs par des clients distraits, dont un dénommé  Mebrac, anagramme de C(l)ear et allusion à (Florie) Maybrick.  Parmi ces objets figure un sac de cuir noir sur lequel nous reviendrons. Dernière anagramme : Alfred (ou Thomas) Brierley, l’amant de Florie Maybrick,   est l’anagramme de Thomas (C) ream.  Fred, qui renvoie à Alfred Brierley, est le nom qu’il se donne vis-à-vis de  prostituées qu’il empoisonnera.

Le signalement de Jack par un laitier.

L’homme  connu sous le nom de  Thomas Neill Cream était atteint de strabisme divergent, il louchait et portait des lunettes la plupart du temps : sans elles, il voyait très mal, étant hypermyope. Or, à 23 heures,  le samedi 1 er septembre 1888, dans Turner Street, non loin de l’endroit du meurtre de Mary Ann Nichols, un laitier  décrivit à la police un homme venu lui acheter pour un penny de lait qu’il but d’une traite. Il s’agissait d’un homme d’environ 28 ans, au teint rougeaud, avec une barbe de 3 jours, des cheveux bruns, de grands yeux écarquillés et ayant l’allure d’un « employé de bureau » ou d’un étudiant. Les grands yeux écarquillés paraissent naturels chez quelqu’un qui louche  et qui a retiré ses lunettes. Nous reverrons ce laitier observateur à propos du sac noir brillant que portait l’individu.
Le signalement de l’assassin d’une fillette de 8 ans, Caroline Winter.

Caroline avait parlé avec un homme aux cheveux noirs, avec une moustache noire et un costume gris miteux. Cela ressemble à la photographie du

«  Docteur » Neill.

L’état civil du Canadien  Paul O’Neill (1854 ? Québec-1891,Londres),  représentant en produits pharmaceutiques,  son usurpation d’identité et sa captation d’héritage à l’encontre du  docteur Thomas Cream , dont la riche famille était aussi installée au  Canada, et qui exerçait à   Chicago.

Scotland Yard nourrissait des doutes légitimes  sur le nom véritable  de Neill qui, voyant les implications possibles de la révélation de ses divers pseudonymes, n’avait pas voulu déclarer son identité quand il fut arrêté.  Scotland Yard s’arrêta à faux certificat de baptême au nom de Thomas Neill Cream que Jack l’Eventreur  avait fabriqué.  Il doit être précisé que le Canada est probablement le pays où les actes d’identité sont délivrés avec le moins de contrôles. Neill avait confié à sa crédule  fiancée, Laura Sabbatini,cette demi-vérité qu’il se faisait appeler Thomas Neill à cause d’un problème juridique compliqué concernant un héritage, mais que son « véritable » nom était Thomas Neill Cream.

 

La famille de Neill était une famille nombreuse : 8 enfants, -c’étaient  les propriétaires d’une scierie dans la ville de Québec. Mais deux frères refusèrent d’adopter la profession paternelle de scieur, l’aîné Thomas,  né le 27 mai 1850 à Québec, et son cadet Paul dont nous  n’avons pas  la date de naissance, peut-être 1854 : par admiration pour son aîné qui faisait de brillantes études médicales,  Paul usurpa le prénom et la profession de son frère aîné. Thomas s’était inscrit  à l’Université de Montréal, la Mac Gill  University,  à la faculté de médecine et de chirurgie, s’intéressant à la gynécologie et à l’obstétrique. Il avait soutenu  une thèse sur le chloroforme.  L’Université, le confondant avec Paul, lui retirera par la suite le droit d’exercer au Canada, mais il était déjà mort. .

 Son jeune frère Paul,  le futur empoisonneur, s’inscrivit à l’école de musique de la même Université. Au cours de ses aventures, il fit la connaissance à Chicago, Illinois, d’un Docteur Thomas Cream, né à Glasgow, qui avait fait des études de médecin et de chirurgien à l’Université d’Edimbourg et appartenait à une riche famille installée à Québec. En 1881, à Chicago, « la jeune et jolie épouse d’un épileptique d’un certain âge, Julia Scott, arriva au cabinet de Neill pour lui demander un remède qu’il recommandait contre l’épilepsie. Neil séduisit la jeune femme et donna à l’époux une drogue comportant une dose de strychnine telle que le malade mourut en vingt minutes. Le décès fut attribué à une crise d’épilepsie.  ».  Sous la signature de son très riche  ami, le Docteur Cream, il écrivit alors  à la police en accusant de négligence le pharmacien qui avait délivré l’ordonnance. On fit exhumer le corps et l’on trouva alors 2, 56 grammes dans l’estomac de la victime. .

 Le tour était joué : le malheureux docteur Cream, innocent pourtant, fut condamné à la réclusion perpétuelle incompressible au pénitencier de l’Etat de l’Illinois.et, lorsque, peu après,  le père du vrai Thomas Cream mourut au Canada, c’est le faux  docteur Neil baptisé Cream pour l’occasion qui postula pour l’important héritage, géré par des gens qui n’avaient jamais vu le vrai docteur Cream. Notre empoisonneur et massacreur sadique s’appellera désormais Thomas Neill Cream.

 La législation de l’Illinois  prévoyait, en cas de meurtre avec préméditation, -ce qui étai le cas,- une peine  de réclusion à perpétuité sans possibilité de réduction de peine  au-dessous de 25 années.

Quant à ceux qui demanderaient des nouvelles de Julia Scott, l’amie de Neill, comme elle était dangereuse pour Neill, il lui fit goûter d’une pilule qui l’en débarrassa pour toujours, les décès dus à la  strychnine  passant pour occasionnés par la tuberculose.

Lorsqu’il se retrouva à Londres, le docteur Thomas Neill Cream, comme il se faisait désormais appeler, peut vivre sans exercer , grâce aux rentes versées par les mandataires du vrai docteur Cream.  Pour expliquer à Scotland Yard comment, bien que condamné à la réclusion perpétuelle, il est en liberté à Londres, il forge l’histoire suivante : « une campagne en sa faveur (qui pouvait croire à son innocence ?) avait abouti à une réduction de peine de 17 ans de réclusion ( 17-25-=8 ans à purger effectivement ), laquelle peine de 8 ans  , ajoutée à une rémission de peine pour bonne conduite (afin  que cela tombe juste !), lui valut finalement d’être libéré  en juillet 1891 » et de débarquer  à Liverpool sur le Teutonic le 1er octobre 1891, en provenance du Canada,  à Liverpool. Mais la législation américaine de l’Illinois interdisait formellement ce genre d’accommodement avec le ciel et le véritable docteur Cream resta en prison jusqu’au bout, tandis que le coupable put continuer à assassiner en toute liberté.

  Voici donc  l’histoire qui a abusé Scotland Yard et presque tous les  chercheurs : Neill ne pouvait être l’Etrangleur en 1888 puisqu’il aurait été à cette date reclus à perpétuité au pénitencier de Chicago et qu’on ne constatait son arrivée en Angleterre, sous le nom de Thomas Neill Cream, que le 1er octobre 1891. De plus, il semble qu’en Angleterre Paul Neil n’ait jamais exercé le métier de médecin ou de chirurgien, dont il n’avait pas les diplômes, mais de représentant commercial en produits pharmaceutiques : arsenic, chloroforme, cocaïne, morphine, strychnine, cachou (médicament à l’époque), etc., en provenance notamment d’une firme  new- yorkaise., la Compagnie Harvey, de Saratoga Springs .

 La signature : le ricanement sardonique de ses lettres.

Les billets de Jack l’Eventreur incluent curieusement des éclats de rire sardoniques fréquents et incongrus. Or, sous l’effet de la drogue, haschich et datura notamment à en croire J. Jacques Moreau de Tours , dans Le haschich et l’aliénation mentale, 1845), un tel phénomène est fréquent.

La vie de Neill à ses débuts, de 1876 à 1887 (Canada, Angleterre, Etats-Unis).

Neill s’est fait faire plusieurs fois sa photographie à Londres : il porte  une paire de moustaches brunes qu’il n’hésite peut-être pas à teindre en roux, châtain ou blond, des lunettes. Nous savons qu’il souffrait de violents maux de tête dus à une hypertension oculaire contre lesquels il prenait de très fortes doses de drogue, soit un mélange de   morphine contre la douleur, de cocaïne et de strychnine. Sa taille est moyenne (1, 70 m environ, 5 pieds 7 pouces),  il est légèrement corpulent.

 C’est un esprit criminel qui commet des meurtres de jouissance : il faut qu’il voie sa victime souffrir, qu’il l’ait empoisonnée à la strychnine ou assassinée à l’arme blanche, c’est pourquoi il ne la tue pas du premier coup en la frappant au corps, si bien qu’on trouve presque toujours du sang sous ses  victimes .Peu lui importe le sexe, la profession, l’âge.  C’est un pur sadique, magnifique illustration de la désintrication des pulsions, sadique oral à travers son, cannibalisme certes, mais sans jamais se rendre coupable de viols.  Il aime dénoncer des innocents en leur faisant porter le poids de ses crimes,  faire du chantage sur eux. Pourquoi s’en prend-il le plus souvent  à des prostituées ? Simplement parce que cela lui est plus facile. Mais il propose son « aide » aux femmes enceintes désireuses d’avorter, ce qui est illégal à l’époque, et il leur fournit des capsules de strychnine qui les font souffrir, puis mourir.

  Ainsi le prétexte pour aborder une prostituée  est-il celui de la prémunir contre une

conception et contre des maladies vénériennes..

   En voici  un « indice » : près du cadavre dépecé de  Annie Chapman, la police mit la main sur deux  pilules à base de strychnine, abortives,  perdues  par le docteur Neill, alias Jack l’Eventreur

  De même, les cachous emballés dans du papier de soie comme les pastilles de strychnine (pas les cachous Lajaunie que nous connaissons, mais les cachous anglais ou kasu dits de Ceylan ou de  Colombo et provenant réellement de l’Areka katechu blanco), trouvés dans la main gauche de Elizabeth Stride, étaient à l’époque un médicament vendu en pharmacie contre les maladies vénériennes et  Jack l’Eventreur a dû les lui offrir. Il est amusant de noter que l’habile faussaire auteur du Journal de Jack l’Eventreur,  p.99, évoque le meurtre de cette prostituée en ces termes :

« J’ai essayé de détacher la tête

Le  cheval [du charretier qui découvre le corps] s’est cabré

Bon sang ai-je crié

Mais je sentais encore son haleine sucrée [par le cachou] ».

Pour ajouter une touche finale, l’auteur de ce Journal a laissé du charbon animal dans le bas du journal pour évoquer le cachou que l’Etrangleur était censé mâcher : le cachou Lajaunie doit, en effet, sa couleur noire au charbon de peuplier noir. Mais il est peu probable que le cachou Lajaunie, créé en 1880, ait été déjà connu à Londres en 1888, ce qui montre une faille dans la virtuosité de la faussaire.  

 

En 1876, au Canada, Neill séduit Flora Elisa Brooks, la rend enceinte et la fait avorter. Le père de la jeune fille l’obligea, arme au poing, à l’épouser. Mais Neill l’abandonne et lui envoie d’Angleterre des pilules qui la font trépasser,  ainsi que son père. En Angleterre il s’inscrit à l’école d’application du Royal London Hospital, situé près du West End, mais il fréquente les prostituées bon marché de ce quartier, plutôt que les cours, et il échoue à ses examens. Cela explique sa parfaite connaissance de ce quartier.

 De retour au Canada, il exerce dans l’Ontario à London , une ville du Canada, et se fait une spécialité de l’épilepsie et surtout de l’avortement. Mais ce faiseur d’anges fait mourir ses patientes désirant avorter Le décès de Kate Gardener à la suite d’ un avortement l’oblige à quitter le Canada pour les Etats-Unis.

En 1880, Neill s’installe à Chicago et Julia Faulkner décède encore par suite d’avortement ou plutôt d’empoisonnement. A partir de 1881, il prend le nom de Cream et ce sont les aventures dont nous avons parlé. Il se rend en Angleterre à nouveau, disparaît et reparaît à Londres en 1887.

 

 

 

Les 8 premières ( ?) assassinées, dont 4 du 31 août au 9 novembre 1888, ainsi qu’une fillette et 3  garçonnets

Leur nombre est sujet à controverse, les trois premières sont contestées, savoir le  25 décembre 1887,  Fairy Fay, qui est dépecée ; le 13 avril1888, Emma Smith,  puis Martha Tabram, qui souffre de 39 perforations à la pointe du poignard. Nous avons ensuite les 5 meurtres les plus célèbres :

4 a Mary Ann  Nichols, le 1er septembre 1888

4 b un énorme incendie criminel près des docks se déclara la nuit de l’assassinat de Mary Ann Nichols, le 1er septembre 1888, il était son oeuvre.

5 Ann Chapman, le 7 septembre 1888

6 Elisabeth Stride, le 29 septembre 1888

7 Catherine Eddoves, le 29 septembre 1888 ? On accuse parfois Kosminsk de ce meurtre..

8 Mary Jeanne Kelly, le 30 octobre 1888, - toutes prostituées.

Les mutilations sont affreuses : intestins autour du cou, etc.

                                                    Fin 1888

9 Le 26 novembre1888, un garçon de 8 ans, Percy Knight Searle,  est sauvagement assassiné  près de Portsmouth, la gorge tranchée à 4 endroits. Le 14 novembre 1888,   Jack L’Eventreur avait expédié une lettre où il écrivait : « Je vais commettre 3 autres assassinats, 2 filles [[ce sera Rose Mylett et une inconnue, cf. 15 ?], et un garçon d’environ  7 ans [Percy Knight Searle] cette fois. J’aime beaucoup éventrer, surtout les femmes, car elles ne font pas énormément de bruit. »

10 Le  20 décembre 1888 on trouve le cadavre d’une nouvelle prostituée, Rose Mylett ,  atrocement assassinée .

11 Le jeudi 27 décembre 1888,  le cadavre de John Gill, 8 ans,  assassiné à Bradford, est retrouvé entre le mur et la porte d’une écurie : les 2 oreilles ont été tranchées, les jambes sectionnées, le  ventre grand ouvert, le coeur arraché de la poitrine et coincé sous le menton, les organes  sexuels coupés  et posés sur le sol avec des mutilations des parties génitales « trop écoeurantes pour être décrites » On avait ôté ses chaussures pour les fourrer dans la cavité abdominale. Le 19 décembre 1888, Jack L’Eventreur  avait écrit de Liverpool : « « Je me suis rendu à Liverpool et vous entendrez bientôt parler de moi [le meurtre de John Gill] ». Le 26 novembre 1888: « je commettrai un autre meurtre sur une jeune personne, comme ces garçons qui travaillent dans les imprimeries à la City. Je vous ai déjà écrit une fois, mais je crois que vous n’avez pas compris. Je leur ferai pire qu’aux femmes, je leur prendrai le coeur et je les éventrerai de la même façon. Je les attaquerai quand ils rentrent chez eux. N’importe quel jeune que je vois, [ce sera dans les faits le malheureux John Gill],  je le tuerai mais vous ne m’attraperez jamais, mettez ça dans votre poche et votre mouchoir dessus. »Dans une lettre non datée, l’Eventreur écrivit à la police Métropolitaine : « J’ai éventré un petit garçon à Bradford », et, le 16 janvier 1889, il parle de son « voyage à Bradford ».

                                                         

 

                                                                   1889

12 et 13  Entre le 16 janvier 1889 et juin 1889,  l’Eventreur disparaît, peut-être séjourne-t-il en France, à Pont-à-Mousson, connue pour ses fabrications de couteaux et d’opinels (société rachetée par Saint-Gobain aujourd’hui) : selon Patricia Cornwell, une veuve,  Madame François,  est décapitée ; dans le même secteur, au même moment,  une autre femme est retrouvée, la tête quasiment séparée du corps. Neill, québécois, devait parler français.

 14  Ici intervient une affaire qui annonce  les empoisonnements à la strychnine.  En mai 1889, meurt à Liverpool  James Maybrick, négociant en coton, empoisonné par  la strychnine et l’arsenic  dont il faisait un fréquent usage. Sa femme Florie Chandler était d’origine américaine et elle le trompait. Il avait cherché un fournisseur pour sa strychnine et l’avait   trouvé dans Thomas Neill Cream alias  Alfred Thomas  Briarley (anagramme de [c] ream) qui  séduisit  son épouse et lui prodigua  des conseils pour empoisonner son mari. Curieusement,  elle réserve une chambre pour une semaine à l’hôtel Flatman  dans Henrietta Street à Londres, au nom de «  M. [son amant, Thomas Briarley] et Madame Thomas Maybrick, de Manchester ».  Elle écrit à son amant : « Chéri, N’aie aucune crainte d’être découvert, que ce soit maintenant ou dans le futur… Tu n’as donc pas besoin de partir à l’étranger [au Canada]  pour cette raison  ». La découverte porte sur la strychnine  et non sur l’adultère. Pour des raisons d’héritage, les frères de Maybrick fabriquent un faux testament qui déshérite son épouse  et surtout ils ourdissent une machination contre elle : lors d’un procès retentissant, celle-ci  fut condamnée à mort,  mais graciée.

 Le Journal de Jack l’Eventreur, « découvert » en 1991 par Mike Barrett, est censé avoir été rédigé en mai 1889 par James Maybrick sous l’influence de ses drogues : il nous raconte comment il devient Jack l’Eventreur et les assassinats qu’il commet à Whitechapel par haine de sa femme adultère . Quoi qu’il en soit, c’est une magnifique œuvre poétique évoquant Une saison en enfer de Rimbaud ou Misérable miracle (1956) de Michaux. , cette dernoière œuvre écrit sous la dépendance de la mescaline.  Cette habile mystification littéraire est sans doute l’œuvre d’une femme de Liverpool , nourrie de Lord Jim de Conrad (1900) en qui elle voit des traits qui lui rappellent  son mari,  un ancien de la marine comme Lord Jim : la mystificatrice pourrait-elle être Ann Barrett ?

15 En juin 1889 les restes d’une femme démembrée furent découverts à Londres.

16  Le 16 juillet 1889, le cadavre d’Alice Mac Kenzie, une prostituée,  fut découvert à Whitechapel, le ventre mutilé, la gorge tranchée. « Mon opinion, est que ce meurtre a été exécuté part la même personne qui a commis la précédente série des meurtres à Whitechapel », déclara le Docteur Thomas qui fut chargé de l’autopsie.

17 Le 6 août 1889, le cadavre d’une fillette de 8 ans, Caroline Winter est découvert près de Newcastle -upon- Tyner, le crâne fracassé, le corps portant « d’autres blessures épouvantables ».On l’avait jetée dans une mare à proximité d’un égout . Caroline avait parlé avec un homme aux cheveux noirs, avec une moustache noire et un costume gris miteux.  « Il avait offert un shilling à Caroline pour qu’elle l’accompagne et elle l’avait suivi. »

18 Le 10 septembre1889, un torse de femme atteste d’un  meurtre.  Le 20 juillet 1889, Jack annonçait : « J’ai l’intention de finir mon travail à la fin août, lorsque je mettrai les voiles pour l’étranger [Canada] ».Le . 2 septembre 1889, on trouve une bouteille à la mer près de Folkerstone : « Navire S. S. Northumbria Castle Left. Suis de nouveau en chasse. Jack l’Eventreur. « Un homme habillé en soldat (à savoir lui-même) avait  annoncé devant les locaux du Herald, ,  le 8 septembre 1888,  l’endroit où l’on trouverait le torse féminin, avant de s’enfuir.

19  Le 15 septembre 1889, on découvrit le corps en décomposition d’un garçon dans une maison abandonnée de Southport « Je commettrai le meurtre dans une maison vide » , avait écrit l’Eventreur .

20 Le 13 décembre 1889, des restes humains en décomposition sont découverts, parmi lesquels une main droite de femme au petit doigt de laquelle il manquait deux phalanges. Or, le 4 décembre 1889, Jack l’Eventreur avait écrit : « je m’exerce à couper les jointures, et si j’y parviens, je vous enverrai un doigt. » Est-ce son dernier meurtre sauvage ?

Les empoisonnements

Le FBI, dans son étude sur les tueurs en série, montre que le serial killer est un opportuniste et n’est pas fixé à un modus operandi déterminé : ainsi, le tueur cannibale Ottis Toole abattit ses victimes avec un fusil ou un révolver, mais aussi en les poignardant, en leur fracassant le crâne à coups de pierre, en les étranglant, voire en les pendant et même en les crucifiant. Cette réflexion est destinée à ceux qui trouveraient étonnant qu’un meurtrier sadique devienne un empoisonneur.

Il n’a jamais été gênant pour ses partisans qu’un autre criminel, le juif polonais Severin Klosovski, dit Chapman du nom d’une de ses épouses,  soit censé avoir le même  parcours criminel, passant des meurtres à l’empoisonnement : il  a été soupçonné par l’inspecteur Abberline d’être Jack l’Eventreur. Klosovski  était arrivé de Pologne où il avait  fait cinq ans d’études médicales, avant le début des meurtres qui s’arrêteront après son départ en Amérique.Il empoisonnera successivement trois de ses épouses et sera pendu en 1903.à Londres .L’inspecteur Abberline, chaud partisan de Klosovski comme suspect d’être Jack l’Eventreur, expliquera le changement de méthodes de Klosovski par « la différence de classe de ces nouvelles victimes qui exige, évidemment, une nouvelle façon de tuer ».

Neil disparaît ensuite au Canada, s’y fait oublier, puis revient à Londres où il sévit à nouveau  et passe à l’empoisonnement, en 1891, mais  toujours à la strychnine et sur des prostituées : 4 empoisonnements réussis  (il en rate un 5e) : 21 Ellen Donworth , 22 Alice March,  23 Emma Schirvel, 24 Mathilde Clover . Pris, il est pendu.

 

Les divers couteaux  de Jack l’Eventreur: un  Toronto afghan knife, puis un kukri , à nouveau un Toronto et enfin un dirk écossais.

Patricia Cornwell, dans  Jack l’Eventreur, affaire classée, portait d’un tueur, P. 53, écrit : « les Britanniques qui se rendaient en Asie rapportaient chez eux toutes sortes de souvenirs,  certains plus adaptés que d’autres pour poignarder ou découper. Ainsi, le pesh balz indien est l’exemple même d’une arme pouvant provoquer des blessures de plusieurs largeurs, en fonction de la profondeur. La solide lame en acier de ce « poignard », comme on l’appelait, pouvait infliger une variété de blessures capable de laisser perplexe n’importe quel légiste, aujourd’hui encore. La lame incurvée mesure presque 3 cm de large au niveau du manche en ivoire et, aux deux tiers, elle devient à double tranchant, à l’endroit où elle commence à s’affiner pour finir par ressembler à une aiguille. Celui que j’ai acheté chez un antiquaire a été fabriqué en 1830 et il tenait aisément (y compris sa gaine) dans la ceinture du pantalon, dans une botte, dans les grandes poches d’un manteau ou dans une manche.  La lame incurvée du poignard oriental baptisé jambya (vers 1840) laisse,  elle aussi, des plaies de largeur différente, même si toute la longueur est à double tranchant.  » Pour être plus précis, je pense que Neill a acheté un jambya, ou kyber, à Toronto,  savoir un Toronto afghan knife, à lame fabriquée aux Etats-Unis, mais de marque canadienne (marque « Toronto », aujourd’hui encore).  

 Le 19 octobre 1888, Jack l’Eventreur écrit qu’il se sent «  abattu, à cause de mon couteau que j’ai perdu en venant ici et il m’en faut un ce soir. ». Le 21 octobre, un agent de police découvre un kukri ensanglanté dans des fourrés. Or, le kukri est un couteau indien avec une lame incurvée, très robuste, utilisé pour égorger et pour trancher les membres. Mais, faute d’avoir retrouvé son kukri,le 30 octobre 1888,  l’Eventreur a dû se contenter d’un Toronto pour tuer Mary Kelly   « La peau et les chairs de l’abdomen ont été ôtées de manière importante en trois  endroits, la cuisse droite était dépecée jusqu’à l’os, la partie inférieure du poumon droit était endommagée et arrachée, le péricarde était ouvert au dessous et le cœur absent   ainsi que l’utérus  et des morceaux de ses parties génitales » (rapport d’autopsie de Mary Jane Kelly).

  Une de ses lettres, écrite de   Glasgow  témoigne de son amour pour ce kukri : « Je crois que je vais abandonner mon joli couteau  tranchant. Trop bon pour des putains. Suis venu ici pour acheter un  dirk (poignard) écossais. Ha ! Ha !ça leur chatouillera les ovaires », p. 193

 

 

 Le sac noir servant à transporter de quoi protéger ses vêtements et le paquet pour transporter ceux qui étaient ensanglantés.  

  Le 10 octobre 1888,  10 jours après les meurtres de Elizabeth Stride et de Catharine Eddowes, le Daily Post a rapporté que la police  avait pris possession d’un sac noir oublié  au Charing Cross Hotel avec « certains documents, articles d’habillements, carnets de chèques, gravures à caractère obscène ». Les documents suggèrent que le propriétaire du sac s’était souvent rendu en Amérique. Les gravures obscènes rappellent celles que Neill est si fier de  montrer, dans la ville, Québec à Mac Culloch et qui choquent ce dernier, comme les articles d’habillement rappellent les perruques montrées au même voyageur par Neill.  La police interrogea, dans le cadre de l’enquête sur Jack l’Eventreur,  le propriétaire du sac  qui fréquentait les bas quartiers de l’East End de Londres et se disait  résident à Liverpool. Scotland Yard a donc eu entre les mains notre meurtrier, qui, à ce moment, a dû avoir chaud. De là son impression d’invulnérabilité et son sentiment que tous les policiers  sont des imbéciles.

Le 30 octobre 1888, quelques heures avant le  meurtre de Mary Ann  Nichols, un laitier raconta à la police qu’un homme avec un sac noir brillant (que Jack l’Eventreur avait récupéré entre les mains de la police) lui avait demandé, -il était 23 heures, -l’autorisation de se changer dans sa remise. Le laitier surprit l’inconnu en train de protéger son pantalon avec « une cotte blanche comme celles que portent les mécaniciens ». L’inconnu se saisit ensuite d’une veste blanche, qu’il enfila rapidement par-dessus sa jaquette, et il dit : « Effroyable, ce meurtre, hein ? [le meurtre d’Ann Chapman]». Il  récupéra sa sacoche  et se précipita dans la rue en s’exclamant : « Je crois que j’ai un indice [les pilules ?]».

Le lendemain du double   assassinats d’Elizabeth Stride et de Catherine Eddows, le lundi 1er octobre 1888, à 9 heures, M. Chinn, propriétaire de Nelson Tavern à Kentish Town,  découvrit dans sa remise, enveloppé dans du papier journal, un paquet  analogue à celui que portait le meurtrier d’Elizabeth Stride une demi-heure avant sa mort (on l’a vu avec ce paquet) A l’intérieur du paquet,  la police  trouva un pantalon sombre imbibé de sang et des cheveux collés au sang coagulé sur le papier journal. Le meurtre d’Elisabeth Stride est donc à attribuer à Jack l’Eventreur, même si celui de Catherine Eddowe peut être imputé au juif polonais Kosminski.

 

Les déguisements

Neill aimait se déguiser : nous en avons la preuve dans le témoignage de Mc Culloch avec qui Neill se lia d’amitié à Québec. Il lui montra une cantine, en sortit une paire de faux favoris, longs et touffus : « Je m’en sers  pour éviter d’être reconnu quand j’opère », lui dit-il. Il n’hésitait pas à revêtir des uniformes militaires. Dans l’affaire du meurtre d’Annie Chapman, Scotland Yard trouva un bout d’enveloppe taché de sang qui était frappé de l’insigne d’un  régiment du Sussex et portait le cachet de la poste : « Londres, 20 août », ainsi qu’un début de suscription : « M[aster Thomas Neil Cream] », Master étant le titre des chirurgiens. Celui qui lui écrivait était peut-être son ancien complice dans le meurtre de Martha Tabram, ce caporal qui avait passé la nuit avec Pearly Poll, l’amie de la victime. On ne put identifier aucun de ces   deux militaires dont l’un était Neill, revêtu d’un uniforme qui le rendait méconnaissable.

 

Les lettres  de Jack l’Eventreur.

Le problème de la nombreuse correspondance avec la police (plus de 200 lettres et cartes) signée  Jack l’Eventreur est que de nombreux plaisantions  ont profité des publications dans la presse et se sont déchaînés, sans qu’il soit facile de discerner l’authentique du faux.  Voici quelques lettres qui semblent authentiques (avec ces américanismes qui rappellent les séjours de Neill aux USA). Voici la première, en date du 12 septembre 1888, écrite à l’encre rouge :

« Cher boss,

 Je n’arrête pas d’entendre dire que la police m’a pris, mais elle ne m’arrêtera pas de sitôt, ça me fait bien rire qu’ils aient l’air si malin et qu’ils racontent qu’ils sont sur ma piste. La farce de Tablier -de- Cuir m’a fait rire aux larmes.

J’en ai après  les putains et je n’arrêterai  de les découdre que quand je serai bouclé. Superbe, mon dernier boulot. Je n’ai pas  laissé à la dame le temps de couiner. Comment peuvent-ils me capturer maintenant ? J’aime mon travail et je veux recommencer. Vous entendrez bientôt parler de moi et de mes joyeux petits divertissements.

Après mon dernier boulot, j’avais mis de côté dans une bouteille de ginger beer [soda] le vrai liquide rouge pour écrire avec mais il est devenu épais comme de la colle et je ne peux m’en servir. J’espère que l’encre rouge suffira. Ha ! Ha !

Le prochain boulot que je ferai je couperai les oreilles de la dame et je les enverrai à la police pour rigoler, n’est-ce pas ? Conservez cette lettre jusqu’à ce que j’aie fait encore un peu de boulot et puis rendez-la publique aussitôt. Mon couteau est si joli et si tranchant que je veux me remettre au travail tout de suite si je trouve l’occasion. Bonne chance.

                                                                                             Sincèrement vôtre.

                                                                                        JACK L’EVENTREUR.

Pas d’inconvénient à donner ma marque de fabrique [mon pseudonyme de Jack l’Eventreur].Il faut que j’enlève toute cette encre rouge de mes mains avant de mettre cette lettre à la poste.

Malédiction ! Pas eu de chance encore. Maintenant ils disent que je suis un docteur. Ha ! Ha ! »

Voici d’autres exemples, comme  une carte postale avec l’empreinte d’un pouce sanglant (Scotland Yard n’utilisait pas encore les empreintes digitales) :  

« Je ne vous racontais pas de blagues, cher vieux Boss, quand je vous ai donné le tuyau. Vous entendrez parler demain du travail de Saucy Jack (Jack le gandin). Cette fois, coup double. Numéro Un a un peu couiné. Pas pu la finir d’un seul coup. N’ai pas eu le temps de récupérer les oreilles pour la police. Merci d’avoir gardé cette lettre en attente jusqu’à ce que je me remette au travail. Jack l’Eventreur. »

 

 « Cher M. Lusk [le Président du comité de vigilance de Whitechapel], je vous envoie le rein que j’ai prélevé sur une femme et que j’ai conservé pour vous ; l’autre morceau, je l’ai fait frire et je l’ai mangé ; c’était très bon. Je peux vous expédier le couteau ensanglanté qui l’a détaché si seulement vous attendez un peu. Attrapez-moi si vous pouvez, M. Lusk.»

« Old boss [le major Smith qui analysait aussi le rein], est-ce que vous avez vu le diable [le Docteur Openshaw, chef du service de pathologie du London Hospital, chargé d’analyser le rein] examinant avec son microscope et son scalpel un rein ?... Dites donc, Boss, vous avez l’air d’avoir rudement peur. J’aimerais bien vous donner  une crise, mais je ne peux pas attendre de  laisser les flics faire joujou avec ma boîte de jeux [le rein]. Mais j’espère vous voir quand je ne serai pas trop pressé. Au revoir, Boss. »

La correspondance apocryphe.

Un journaliste, une jeune ouvrière de 21 ans originaire de Bradford nommée Maria Coroner et surtout le peintre Sickert  en sont les principaux auteurs identifiés. Les lettres de Walter Sickert sont parfois signées discrètement de l’abréviation de son nom,  St, enrichies de dessins faits avec un mélange de diverses encres pour faire croire à du sang et écrites sur du papier filigrané.

 Nous faisons un sort spécial au peintre  Sickert parce que Patricia Cornwell a voulu voir l’Etrangleur dans Jack L’Eventreur, affaire classée, portait d’un tueur. Sickert avait  loué un studio au 6 Mornington Crescent,   et sa  logeuse lui avait raconté qu’il  avait été occupé par un jeune étudiant polonais qui était Jack L’Eventreur (p.81).  Un des tableaux de Sickert,  La chambre de Jack l’Eventreur, reproduit cette chambre :    Sickert était convaincu que Jack l’Eventreur était bien cet étudiant polonais,  mais il avait oublié son nom, Il s’agissait  d’Aaron Kominsky, juif polonais schizophrène qui fut interné à plusieurs reprises (aujourd’hui. Neill ou Kominski avaient saisi l’occasion du meurtre qu’ils venaient de commettre, celui de Catherine Eddowes, pour se faire l’écho de la rumeur incriminant un juif en inscrivant   sur le mur qui se trouvait près du cadavre de Catherine Eddowes : « Les juifs sont des  hommes qui ne seront pas accusés sans raison ». Est-ce un aveu de culpabilité émanant du juif Kosminkiet répondant à la rumeur antisémite ?  S’il faut en croire Russell Edwards (Naming Jack the ripper, 2014), le meurtre de Catherine Eddowes serait, en effet,  l’œuvre du coiffeur juif polonais Aaron Kosminski, qui a laissé son ADN sur un châle trouvé à côté du cadavre de Catherine Eddowes. Cependant, on a fait remarquer que le procès-verbal  ne mentionnait pas ce châle dans les effets trouvés à côté de Catherine Eddowes et que,  lors d’une Conférence en 2007, le châle avait été manipulé par des descendants de Kosminski et avait pu être contaminé, involontairement ou non, par eux.

Les adresses de Jack l’Eventreur à Liverpool et à Londres.

Liverepool était le port de débarquement et d’embarquement des passagers en provenance du Canada (6 jours en vapeur par New York). Sir Arthur Conan Doyle disait qu’il faudrait chercher le meurtrier du côté de l’Amérique, à cause des américanismes dont ses lettres étaient émaillées et il avait raison.  Jack l’Eventreur  nous livre une de ses adresses dans ce port de Liverpool lorsque, le  29 septembre 1888,  il  nous donne le lieu des Minories, à côté de Mitre Square et la date à un jour près de son prochain meurtre :

 « De Liverpool, Prince William Street  . Attention : je travaillerai le 1er septembre et le 2 aux Minories, à minuit. Je donne une chance sérieuse aux autorités, mais il n’y a jamais de policier près des lieux où je travaille. Jack l’Eventreur

 « Que les policiers sont idiots ! Je leur donne même le nom de la rue où j’habite [|à Liverpool, Prince William Street]. »

 

  Le major Smith poursuivit l’Etrangleur(mais ce peut êtreKosminki) après son meurtre de Mitre Square : quittant le théâtre de son crime, celui-ci avait coupé par Houndsditch et Middlesex street pour rejoindre Goulston Street où il avait abandonné  un chiffon ensanglanté qui fut identifié ensuite comme le tablier de Catherine Eddowes, lacéré à coups de couteau. « Puis il (il s’agit  peut-être cette fois de O’Neill, le vrai éventreur) obliqua vers le nord, se dirigeant vers Dorset Street où il se lava les mains à une fontaine publique invisible depuis la rue et qui se trouvait dans un renfoncement de 5 à 6 mètres. Quand le major Smith arriva, il restait encore de l’eau rougie de sang dans le bassin. » De là il continua sa route vers son hôtel londonien,  Charing Cross Hotel.

A Deptford, il éveilla les soupçons,  tellement il se montra avide d’avoir un  numéro du Evening Standard. Le marchand déclara à la police qu’il avait alertée : « (il m’a) arraché le journal des mains, m’a lancé un penny et s’est précipité hors de la boutique. Sans attendre d’être rentré chez lui, il lut avidement et fébrilement, à la lumière d’une vitrine, le compte rendu du drame… » Mais quand la police arriva, le particulier s’était « éclipsé ».

Free Encyclopédie du Canada nous apprend que Neill était aussi un incendiaire (l’incendie des docks près des quais) et un voleur.Ce tueur en série rapportait chez lui, en guise de trophées (qu’il mangeait parfois) les organes qu’il découpait sur ses victimes.

Une hypothèse absurde, celle de John Montague Druitt.

John Montague Druitt, au moment de son suicide dans la Tamise,  le 3 décembre 1888,  était un jeune homme de 28 ans, ébranlé par la folie de sa mère (elle sera internée quelque temps après le suicide de son fils) et surtout dépressif. Après avoir exercé comme  avocat , ce membre de la  bourgeoisie  était devenu l’un des trois maîtres résidents (maître d’internat) dans une boîte à bachot de Blackheath pour riches élèves, avec  42 pensionnaires. Il encourut la haine et la jalousie de ses collègues d’origine sociale inférieure et qui n’avaient pas son niveau d’études. Ceux-ci, menés par le directeur, un dénommé George Valentine, ourdirent contre lui un complot  qui s’appuyait sur l’attachement homosexuel, réel ou supposé, de l’ordre du fantasme ou des faits, qu’il ressentait pour l’un de ses jeunes  élèves mineurs dont on ignore le nom (l’un des 42 internes) , Scotland Yard n’ayant pas fait d’enquête. On peut supposer qu’un élève complice de M. Valentine lui fit des offres et qu’il se compromit plus ou moins avec lui: les comploteurs lui arrachèrent  sa démission et  cherchèrent   à  le faire chanter en prétendant que la famille du garçon voulait porter plainte devant les tribunaux contre lui pour détournement de mineur, mais que, par l’intermédiaire de ce bon  M. Valentine, le meneur du complot,  elle accepterait une transaction financière de  66 livres dont 16 en or. Druitt recueillit l’argent  (on trouva sur son  cadavre  un chèque de 50 livres et 16 livres en or).  Mais écrasé par un  sens du péché et par  une  culpabilité pathologiques, en proie à une intense dépression nerveuse, l’infortuné Druitt, alors qu’il avait pourtant réuni la somme exigée par le maître -chanteur, préféra se suicider dans la Tamise avec sur lui l’argent exigé  et  une  lettre à Valentine qu’on aimerait bien connaître. J’imagine qu’il devait y protester de son innocence, renvoyer Valentine à sa responsabilité criminelle et lui dire  qu’au moins il n’aurait pas l’argent qu’il convoitait   Un suicide n’est pas un aveu de culpabilité (de quoi d’ailleurs ? Certainement pas des meurtres sauvages de Jack l’Eventreur).Il s’était suicidé, aurait-il dit, parce qu’il ne voulait pas finir dément comme sa mère. Scotland Yard  qui chercha à faire peser sur lui le soupçon qu’il était Jack l’Eventreur  en personne ( !), se montra très peu curieux, ne demandant  ni à lire ni à publier la lettre adressée à M. Valentine, ni  à voir au nom de qui était établi le chèque de 50 livres et n’inquiétant aucunement le dénommé Valentine.   En  tout cas, amitiés particulières ou non,  l’innocent  Druitt, qui était victime d’une cabale d’enseignants jaloux, de sa propre naïveté, ainsi que de son côté névrotique, n’a rien à voir avec Jack l’Eventreur, mais on n’hésita pas à le qualifier  de « maniaque sexuel » ( !) et on fut trop heureux, à Scotland Yard,  de trouver en lui un bouc émissaire. Les meurtres continuèrent d’ailleurs bien après la découverte du cadavre du noyé le 31 décembre 1888. .

  Certains ont voulu voir dans le sadique que fut Jack l’Eventreur un génie indépendant qui a réussi une réforme sociale et urbanistique, celle du East End londonien. Ce qu’il y a de certain, c’est que , de son point de vue, Jack l’Eventreur a gagné en ce sens qu’il a déjoué les enquêtes de Scotland Yard et qu’il a créé une énigme et un mythe.