Le
dernier message de l’ « amiral » Jean Guillou
Un grand auteur maritime méconnu a disparu le 22 août 2014 à
Nouméa, celui
qu’on surnommait « l’Amiral ».Ce Breton des Côtes -d’Armor,
né le 8 novembre 1916, près de Paimpol,
était entré, en 1935,dans une Ecole d’ingénieurs des Arts et Métiers,
puis, en
1938, à l’Ecole Navale de Brest
et il était devenu officier de la Marine Nationale. Il navigue ensuite sur
divers bâtiments. Pendant la guerre. Il finit sa carrière comme capitaine de vaisseau. En 1968, il découvre la
Nouvelle-Calédonie comme expert du Bureau International du Travail, puis, dans
la formation professionnelle, les Nouvelles-Hébrides (Vanuatu) pendant un an et
demi. Il prend sa retraite en Nouvelle-Calédonie.
Son œuvre comprend un recueil de nouvelles aux éditions Bénévent , Les quatre rues, un roman aux éditions Edilivre, Le garde-malade, et aux éditions de
l’Etrave (Verrières), de 1999 à 2008, un
roman historique : Moi Jean Guillou,
second chirurgien de l’Astrolabe, où il se penche sur le destin
imaginaire d’un homonyme dont il imagine la fin en Australie, à Temple Island,
où des épaves attribuées à l’expédition Lapérouse ont effectivement été retrouvées,
(Jean Guillou y croyait : il était allé sur place), Peter Dillon, Capitaine des mers du Sud, L’odyssée d’Ann Smith, roman historique sur le personnage réel
d’Ann Smith, embarquée à Botany Bay avec
Lapérouse et dont les plongeurs australiens ont retrouvé les os et le bassin dans les épaves de Lapérouse à Vanikoro,
Aventures dans les mers du Sud, publié
dans La page littéraire de la Mission
pour le Livre de Nouvelle-Calédonie (Les
Nouvelles Calédoniennes 2004, présentation par Hélène Colombani), Des
jalons de l’Histoire, Echos du grand océan, Sarmiento de Gamboa, Les mers du sud m’ont raconté, (présentation
de ces deux derniers ouvrages par Hélène Colombani, Altitudes), La Pérouse… Et
après ?Dernières nouvelles de l’Astrolabe, 2011, son
dernier ouvrage. Il a aussi traduit de l’anglais (c’était un excellent angliciste)
L’archipel des fantômes en colère,
de Hugh Edwards et réalisé The French presence in Australia, James
Cook University of North Queensland, traduction en anglais par Marc Serge
Rivière et Michelle Kuilboer .Il a
contribué à un recueil de nouvelles des écrivains du Cercle des auteurs du Pacifique intitulé Du
rocher à la voile, avec préface d’Hélène Colombani, L’Harmattan.Il a publié
de nombreux articles dans La Revue
maritime et surtout dans les bulletins de la Société d’etudes historiques de
Nouvelle-Calédonie , par exemple sur la colonisation française ratée à
Port- Praslin en Nouvelle-Guinée ou bien
dans Navigateurs d’Eure-et-Loir dans les
grandes expéditions des XVIII et XIX e siècles, de la Boussole et de l’Astrolabe
à la Méduse, de l’expédition de Lapérouse (1785) à la
mission au Sénégal (1816), Société Archéologique d’ Eure -et- Loir (SAEL), décembre 2006 , « Sur les
pas de Simon Lavau, chirurgien de l’Astrolabe »,
p.165-177 et p. 407-506 .
Jean Guillou a aussi participé à diverses associations,
comme Fortunes de Mer, recensement et localisation des
épaves de navires autour de la Nouvelle-calédonie, au Musée d’histoire maritime
et à l’Association Salomon, pour
l’étude du mystère La Pérouse. Il a participé aux diverses expéditions à Vanikoro sur les épaves de
Lapérouse.
Voilà pour la biographie officielle. Il faut ajouter les
voyages sur les traces de Lapérouse, et même en Papouasie -Nouvelle-Guinée sur
les traces d’un survivant, Lavo. Il est ainsi amené à assister à l’accouchement
dans une pirogue d’une femme indigène dans l’archipel Bismarck. Mais l’essentiel est ailleurs. « J’’ai essayé de résoudre le mystère
Lapérouse, j’ai cru le résoudre un jour. Mais la vérité n’était pas là
» : tel est son dernier message. Les idées de Jean Guillou avaient
en effet évolué, et ceci à partir de ses trouvailles sur les survivants de
l’expédition Lapérouse, de Lavo (quelle que soit l’orthographe : Lavaux, Laveaux)
en particulier.
En 1837, le capitaine américain Morrell, à
son retour d’un voyage dans le Pacifique, informe le ministère français de la
Marine du fait qu’il a découvert les enfants Lavo dans les îles de l’Amirauté.
. Mais le ministère ne donne pas suite. Le texte prouve, en tout cas, que, sept ans avant la publication de Jefferson de 1844,
l’existence de Lavo était déjà connue. La lettre de Daussy est la propriété de la Société de
Paris (Département des cartes et plans) et conservé à la B. N. où il a été
découvert par Jean Guillou. Il a la cote MFILM SG COLIS 7 (2202) et
s’intitule : « Pierre Daussy s’inquiète du sort de Lavaux et
de sa famille, d’après les nouvelles qu’il a reçues d’eux par le capitaine
Morrell, 24 juillet 1837 ».
C’est Jean Guillou à nouveau qui sort de l’oubli un passage de Thomas
Jefferson Jacobs, dans son livre paru à
New York sous le titre Scenes , incidents and adventures in the Pacific Ocean, or The islands of the
Australasian seas, during the cruise of the clipper Margaret Oakley under Capt. Benjamin Morrell, 1844, qui évoque aussi (p. 83) l’existence de survivants du drame de
Lapérouse, Simon Lavo et ses enfants, à l’île Riger , au nord de la
Nouvelle-Irlande , à 2 250 km de Vanikoro. « Riger was first settled by a Frenchman named
Laveaux, a surgeon in the exploring squadron of La Perouse », c’est
–à- dire « l’île Riger fut
d’abord colonisée par un Français nommé Laveaux, chirurgien de l’expédition d’exploration de La
Pérouse ». « This island
is sometimes called … the island of Lavoo », p. 103, « cette île est parfois appelée l’île de Lavoo », Lavongaï. Les
polémiques contre Morrell
n’atteignent pas Jacobs -dont Edgar Poe
s’est inspiré dans Aventures d’Arthur
Gordon Pym-. et ne peuvent rien contre ce fait de l’existence d’une île qui perpétue aujourd’hui le nom de Lavo, ce qui
donne raison à Jean Guillou. . Lorsque je correspondis avec lui par
courriel, après l’inauguration du monument à la mémoire de Simon Lavo à
Germignonville, Jean Guillou me dit , à propos de la localisation nà Narage ou
à Lavongaï de l’île de Lavo, « ce ne sont là que détails, l’essentiel est
dans la survivance » , et il avait raison.
Le conseil municipal de Germigonville en Eure-et-Loir a décidé
de dédier à Simon Lavo un parc fort coquet, ainsi que d’apposer une
plaque sur sa maison natale. J’ai ainsi assisté, le 28 mai 2011, à cette inauguration en présence Jean Guillou qui n’avait rien perdu de sa fougue malgré ses 95 ans (il
venait de sortir un nouveau livre Lapérouse
… Et après ?), de descendants
de Simon Lavo qui arboraient
fièrement leur arbre généalogique. Dans « Santa Cruz ou l’occasion manquée », SEHNC, p.58, bulletin n°102, 1er tr.1995, Jean
Guillou décrit les objets de facture
européenne laissés , selon lui , par
Lavo et ses compagnons et que d’ Entrecasteaux
attribua à tort à l’Espagnol Mendana.
De même que Jean Guillou avait désiré se recueillir auprès
de la stèle dédiée à Fleuriot de Langle à Quemper-Guézennec dans les
Côtes-d’Armor, Jean Guillou, -et je cite cette anecdote pour montrer son
inlassable curiosité, -voulut aussi visiter , dans le voisinagede
Germignonville, au parc de Jeurre (commune de Morigny-Champigny, Essonne) , le
cénotaphe de Cook et la colonne rostrale que le marquis de Laborde fit élever
sur une île du grand lac de Méréville (d’où elle a été déplacée au parc de
Jeurre) . Cette colonne, toute en marbre turquin, est ornée de quatre éperons
ou rostres en bronze pour glorifier à la romaine les vertus héroïques des deux
fils du marquis, Edouard et Ange, morts en1787 à Port- des- Français au cours
de l’expédition Lapérouse.
Notre navigateur découvrit également la trace, à Pohnapei en
Micronésie, d’un canon fleurdelysé qui ne peut provenir que d’un survivant de
l’expédition Lapérouse (dans La
Pérouse…Et après ?).Le survivant, appartenant à la Boussole cette fois, est connu des Vanikoriens comme le chef
blanc Mathew, altération vraisemblable de Mouton, nom de l’officier
Laprise-Mouton. L’archéologue Jean-Christophe Galipaud et Valérie Jauneau la
Calédonienne rédactrice en chef adjointe à France-Télévision, ,dans Au-delà d’un naufrage, Les survivants de l’expédition
Lapérouse , 2012, Prix Louis Castex de l’Académie française ont retracé
dans leur passionnant ouvrage les exploits de ce chef blanc associé à des
Polynésiens à Vanikoro.
Guillou, sur ces bases, accorda créance à la déclaration de
l’ « homme fort » Makataï publiée par la SEHNC, janvier 1992,
bulletin n°90, La Pérouse à Vanikoro,
campagne de recherches 1990, p.46 Selon
ce chef, c’est lui-même qui, après avoir
massacré presque tous les membres de l’équipage de l’Astrolabe, démolie par les rescapés pour construire leur nouveau
bâtiment, mit le feu, de nuit et par
surprise, au bateau de secours que construisaient une soixantaine de rescapés. L’épave
incendiée du bateau de secours, le Lapérouse
d’après le nom donné par le guerrier
polynésien qui l’appelle le Laborouse, est située dans la faille du récif où
il est invraisemblable que la Boussole
ait pénétré. Les restes de l’Astrolabe sont dans la fausse passe du
récif, où il est naturel que le bâtiment ait cherché à pénétrer. Quant à la Boussole, dont quatre personnes seulement s’échappèrent, elle
aurait coulé près de Makulumu et de
Noungna comme l’avaient dit les autochtones à Dumont d’Urville : « C’est
ici [à Makulumu] qu’a coulé un
bâtiment [la Boussole]. Je ne
l’ai pas vu, mais on me l’a dit ».
La tragédie de la
recherche de la Boussole a voulu que,
en 1956, le commandant Bonnet, en fonction sur le Tiaré, à une époque où la découverte de l’épave de la faille du
récif n’avait pas encore vicié le débat, passe à côté du véritable gisement de
la Boussole, sans pouvoir
véritablement l’explorer. Il avait
recueilli la tradition d’un vieil
indigène « qui prétendait que
« l’un de ses ancêtres avait
vu dans son enfance, non loin de Vanou (Tevanou, le nom de la petite île), de très grands mâts d’un navire
coulé ». L’individu en
question accepte de lui indiquer précisément l’emplacement, très
éloigné du site de la fausse passe du récif.
Malheureusement, en cours de route, l’embarcation des Français chavire
et les
quatre scaphandres autonomes tombent à l’eau. Il ne reste plus au
commandant du Tiaré et à ses hommes
que quelques masques de plongée pour explorer l’emplacement du naufrage, « à cent mètres environ du sud de
l’île Naoun-Ha » (autre orthographe de Noungna). Les conditions météorologiques étaient
défavorables ; depuis la surface, les nageurs remarquent que le massif de
corail sur lequel ils sont ancrés a une forme oblongue et régulière. Privé des moyens de mener une fouille plus
approfondies, la capitaine Bonnet est persuadé
qu’il s’agit de la coque de la Boussole recouverte
de corail et déclare qu’aucun mémorial n’atteindra jamais la somptuosité de
cette sépulture naturelle. »
« La vérité est ailleurs », laissait entendre le
commandant Guillou. J’ai voulu expliciter son secret dernier, sans le trahir,
je crois, et tel que je l’ai perçu dans
nos échanges de courriels. L’homme était un peu amer quand il voyait que le
tapage médiatique fait autour de Lapérouse le laissait sur la grève et qu’un
gros ouvrage comme La malédiction de
Lapérouse, 1785-2088, Sur les traces d’une expédition tragique (1132 pages,
ne le citait même pas. Il avait été écrasé par la version officielle, relayée
par les média modernes. Il n’en reste pas moins que Jean Guillou a eu le mérite
de frayer la voie et d’être ouvert à
toutes les hypothèses.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire