François Nodot
est-il un faussaire ?
Ou comment les
universitaires catholiques ont réussi à rendre inintéressante le Satyricon
de Pétrone, boycottant le manuscrit de Belgrade découvert par le
Français Nodot en 1688 et lançant contre
cet érudit de fausses accusations de supercherie et d’imposture.
Une chose curieuse est le
fait que les critiques suppriment du texte de Pétrone tout ce que donne la tradition,
arguant que les manuscrits qui aujourd’hui n’ont pas été détruits ne les
confirment pas.
Un premier assaut (1629-1643) contre les
prétendues "additions" de Gonsali de Salas.
Un Espagnol, Dom Joseph
Antoine Gonsali de Salas, propriétaire d'un manuscrit de Pétrone, publie
en 1629 à Francfort chez Wolfgang Hoffmann avec les notes de
Gaspard Schopp (Scioppus) un Pétrone
auquel il donne les leçons de son manuscrit, et en 1643 il publie Satyricon extrema editio ex
Musaeo D. Josephi Antonii Gonsali de Salas: ce qu'on appelle, bien à tort,
ses "additions ingénieuses et controuvées" continue d'être absent d'éditions comme Budé (Ernout) ou la
Pléiade (Pierre Grimal), alors qu'il les a tirées d'un de ces nombreux
manuscrits qui n’avaient pas encore été brûlés dans des autodafés à l'époque,
comme le Tolosanus (peut-être
identique au manuscrit de Gonsali et de même famille que celui de Nodot) ou le
manuscrit de Bude (Budapest aujourd’hui) en Hongrie (Vetus Pithoei , de Pithou , protestant , au XVIe ou Vetus
Benedictum exemplar, ancien
exemplaire bénédictin ), le
Cujacianus de Jacques Cujas, le
Bituricus de Bourges , le codex Memmianus. Nodot avait une
édition tenant compte des précieux apports der Gonsali de Salas. Nous devrons y
revenir en détail parce qu'elles sont confirmées par le manuscrit de Nodot.
Le deuxième et terrible assaut (1666), contre le Souper de Trimalcion.
La première attaque de la contre-réforme
contre Pétrone avait eu lieu lors de la redécouverte (qui n'est encore
aujourd’hui acceptée que du bout des
lèvres), en Dalmatie, à Trau, dans la bibliothèque d'une famille de riches mais
prudents lettrés italiens, les Cippico, d’un manuscrit contenant en entier le
festin de Trimalcion , par un Français
s’appelant Pierre Petit mais assez sage pour
publier à Padoue ses trouvailles
sous un nom d'emprunt italien, celui de Marino Statileo . A Paris, la
même année, sous l’anagramme de J. C.
Tilebomenus , Jacques Mentel (Jacobus Mentelus ) ose le publier. Hadrien de
Valois et Jo. Ch. Ph. Wagenseil le taxèrent de faux dans Hadr. Valesii et Jo.
Ch. Ph. Wagenseilli de cena Trimalchioni nuper sub Petronii nomine vulgate
dissertati, Paris, 1666, in-8°, XXXVI-30p. Pierre Petit répond dans Responsio
ad Wagenseilli et Valesii dissertationem de Tragurensi (nom latin de Trau) Petronii
fragmento, 1666, in-8°, 80 p., Paris, Edm. Martin éditeur. Il reprendra ses
arguments en 1670 ou 1671 dans Integrum Titi Petronii Arbitri fragmentum ex
antiquo Tragurensi Romae exscriptum cum apologia Mario Statili (et Gradili), Amsterdam,
Blaesio, in-8°, LXX et 31p. Hadrien de
Valois publiera sans un mot ledit fragment quelques années plus tard, se reniant
et se ralliant à l'authenticité. En effet, l'évêque de Chartres Jean de
Salisbury qui vivait au XIIe siècle (1120-1180) avait fait plusieurs allusions
au Festin de Trimalcion, notamment au cochon farci dont s'envolent des
grives : "porcus gravidus", dit-il au chapitre XL (cf .
le mot « truie », du latin troja,
porc farci). De plus, le texte avait déjà été publié en1575 sur le même
manuscrit communiqué par le grand-père de Nicolas Cippico. En outre, le début
et la fin du "nouveau texte" étaient déjà dans le texte traditionnel
de Pétrone.
Un troisième assaut (entre
1670 et 1677) : le refus d’autorisation de l ‘édition de François Galaup, marquis de Chasteuil.
Vers 1670, François Galaup de Chasteuil
prépare une édition de Pétrone :
"on prétend, écrit l'abbé Goujet, que François Galaup de Chasteuil,
Provençal, avait traduit tout ce qui nous reste de Pétrone, et Gui- Patin
parle, dans ses Lettres, d'un savant qui, après avoir rempli les lacunes
du Satyricon, ne put obtenir la permission d'en publier une édition
latine et française."Ce n'est pas de Nodot qu'il s’agit, mais bien de
Galaup de Chasteuil .
Pour le texte latin, Eloi et Alexandre
Johanneau, sous de très nombreux
pseudonymes, en ont donné plusieurs éditions,
souvent introuvables ou méconnues.
Quant à la traduction, jamais publiée sauf un
extrait, elle figure aujourd’hui à la B. N. sous le nom d’un autre traducteur
de Pétrone, Marc- Antoine Chavet , XVIIe siècle Nouvelles Acquisitions
françaises, N°333. La traduction française
de Galaup de Chasteuil se présente sous la forme d'un "in-folio,
relié à la Louis XIV, de 397 pages écrites en grands et nobles caractères, sur
un papier fin et soigneux, commençant par: "Ne faut-il pas qu'il y ait
quelque trouble et quelque désordre dans l'esprit de ces déclamateurs qui
s'enrhument sur les bancs d'une classe..."(même brochure, p. 44-46).
Le quatrième assaut, celui
qui nous intéresse, contre François Nodot (1694).
Voici ce que dit A. Ernout (Budé) à propos du
texte de François Nodot qu’il n’avait pas consulté, étant donné que l’œuvre
publiée initialement sans autorisation
du roi est rarissime dans les bibliothèques : « Il faut
signaler pour mémoire les éditions dues au Français Nodot qui prétendait avoir
trouvé dans un manuscrit de Belgrade de nouveaux extraits comblant les lacunes
des manuscrits précédemment connus. La première parut à Rotterdam, chez Régnier
Leers en 1692. En 1693 Nodot publia une traduction « entière » de Pétrone
à Cologne chez Pierre Groth, et en 1694 une édition et une traduction, sans nom
d’imprimeur ni de lieu. Bien que la prétendue
supercherie de Nodot ait été vite
dévoilée et unanimement reconnue,
les suppléments de Nodot ont été accueillis dans nombre d’éditions postérieures,
et notamment dans toutes les traductions françaises. On n’en trouvera pas trace
dans la nôtre. » Quel dommage! Malgré la prétendue unanimité de A .Ernout,
les très sérieuses éditions de Pierre Burman père et fils avec l'aval de
Nicolas Heinsius et de Jacques Gronov ainsi que de Reiske et , en 1781,
l'édition de Conrad Anton publiée à Leipzig ainsi que l'édition bipontine (Bavière) de
1790 reproduisent les fragments de Nodot. Comme l’écrivait intelligemment en
1913 Louis de Langle (en tête de sa
traduction sur Internet), « nous n’avons pas osé ôter de cette traduction
les fragments de Nodot parce que, suivant la remarque de Basnage, ils donnent
de la liaison à un ouvrage qui n’en avait pas et en rendent la lecture facile et agréable ». Merci pour le
lecteur et quel aveu! Les éditions modernes de Pétrone, celle de Ernout et de
Pierre Grimal dans la Pléïade, sont illisibles et incompréhensibles,
tandis que, grâce à Nodot, j’ai pu enfin
lire le Satyricon et l'apprécier !
Les indications bibliographiques de Ernout
comme celles de Cioranesco sont incomplètes (la meilleure bibliographie est
anglaise , bien entendu, Ebert et Browne, 1837, A general bibliographical
dictionary, p. 1341, consultable sur le Net, Google Book).: dès lors qu’un
ouvrage paraît clandestinement , que ce soit à l’étranger ou même en
France, sans autorisation, il ne figure pas dans les bibliothèques et parfois disparaît
complètement. Tel est l’effet de la censure royale, qui se manifeste
aujourd’hui encore même sur Internet, défavorable à Nodot ou plutôt à
l’authenticité de son manuscrit.
Consultons d'abord Cioranesco sur François
Nodot, commissionnaire aux armées et érudit, ami de Perrot d’Ablancourt (le
traducteur de Tacite heureusement redécouvert aujourd’hui par Bouquins)
et faisant partie de la tendance janséniste. Il a écrit : Le
munitionnaire des armées de France, qui enseigne à fournir les vivres aux
troupes avec toute l’économie possible, Pais, 1697, Privilège du 8 novembre
1698, 615 pages, par M. N.
La rivale travestie, ou
les aventures galantes arrivées au camp de Compiègne, avec tous les mouvements
de l’armée, Paris, 1699, 356 pages.
Mémoires curieux et
galants d’un voyage nouveau d’Italie,
Paris, 1699, 618 pages.
Nodot est l’auteur de l’ Histoire de Mélusine,
tirée des chroniques de Poitou, et qui sert d’origine à l’ancienne maison de
Lusignan, Paris, 1698, privilège du 14 janvier 1698, republié
à Niort en 1876 avec une
introduction sur l’origine des légendes concernant la Mélusine par L. Fabre, , aujourd’hui rééditée en ebook et de la suite, elle aussi rééditée en
ebook : Histoire de Geoffroy, surnommé à la Grand’ Dent, sixième
fils de Mélusine, Paris, 1700 .
Relation de la cour de
Rome, où l’on voit le vrai caractère de cette cour, et de quelle manière on s’y
conduit pour parvenir aux souverains honneurs , ensemble la visite aux anciens
monuments de Rome, par M. N., Paris,
1701, 2 vol. Je ne l’ai pas lue, mais elle passe pour une œuvre libertine.
Nouveaux mémoires de M N., ou
observations qu’il a faites pendant son
voyage d’Italie sur les monuments de l’ancienne et de la nouvelle Rome, Amsterdam,
1706, 2 vols.
Etudes :
Terrebasse (H. de), Recherches
bibliographiques. La traduction de Pétrone, impressions clandestines de
Grenoble, 1694, Lyon, 1888, 24 pages. Liste des éditions de Nodot saisies
comme indécentes, peut-être sur délation du jésuite Pélissier vu la région
(Grenoble) , où auraient été édités 2 textes de Nodot en 1694 .
Enfin, nous concernant, de
Nodot :
Traduction entière de
Pétrone, suivant le nouveau manuscrit trouvé à Belgrade en 1688. Cologne, 1693-1694, 2 vols ;
La contre- critique de
Pétrone, ou réponse aux Observations sur les
fragments trouvés à Belgrade en 1688, avec la réponse à la Lettre
sur l’ouvrage et la personne de Pétrone, Paris, 1700. Cioranescu attribue ces Observations anonymes à
Brugière de Barante, ce qui est faux , au moins aux yeux de François Nodot , qui attribue la Lettre à Laisné (ou Lainez) , Alexandre (1650-1710),
spécialiste de Pétrone qui , comme Nicolas Venette (1632- 1694), renonça
à publier sa traduction devant les pressions.
Mais c’est , de l’ aveu de l’auteur anonyme (fin de la Lettre), le même
homme qui a écrit les Observations et la Lettre
, savoir un nommé Georges Pélissier
, qui détient d’ailleurs le privilège royal pour les 2 ouvrages.
En effet, en 1694, à Paris, un in-12° de 213
p. paraissait (avec le privilège cette fois,
bien entendu) Observations sur le Pétrone trouvé à Belgrade en 1688
et imprimé à Paris en 1693. Avec une Lettre sur l’ouvrage et la personne de
Pétrone.
On devrait y ajouter Le
tombeau du faux Pétrone de Belgrade, du même Pélissier, opuscule connu de
F. Nodot mais qui a vite dû être retiré, car nous ne l'avons pas trouvé, ainsi
que des Lettres de M. de ... sur un ouvrage qui a pour titre : Traduction
entière..., parues à Grenoble et émanant d'un jésuite, prêtées
par conséquent à Jean -Guillaume de Montgenet , recteur jésuite à
Grenoble, mais qui proviennent de la même source, Pélissier. Il y en eut plusieurs éditions, qui expliquent que
l'infortuné F. Nodot s'adresse à un M.
de ou même à un M. du et
qu'on ait pu croire , Nodot lui-même au
début, à la paternité de Barante. Une
seule plume, mais divers pseudonymes (M.
de, M. du, M. B.) et quatre ou cinq opuscules dont aucun n'apportait du nouveau
par rapport au précédent.
De la bibliographie de Cioranescu s'est évanoui tout ce qui a
paru sans imprimatur, même un Traité de conversion des monnaies anciennes en
monnaies modernes, de Nodot, pourtant
bien inoffensif, et à plus forte raison tout ce qui concernait Pétrone et
datait d’avant 1694, soit une bonne douzaine d’éditions en Allemagne et en
Hollande .Sur Pétrone, la première édition de Nodot semble être de 1691, la
dernière de son vivant en 1713. A signaler une traduction allemande, saisie et brûlée à Leipzig en 1798 dont il ne
reste que 2 exemplaires : Satyricon samt Nodots Ausfüllung. A noter
encore une traduction anglaise par William Burnaby en 1694 et une série
de rééditions qui se succèdent pendant tout le 19e siècle,
1709, 1736, jusqu'à la fin du siècle :
d'autre part, le traducteur de la collection Nisard, Baillard , a eu la bonne
idée de reproduire en 1842 les fragments de Nodot et leur traduction .Grâce à
Google Books , j’ai pu étudier gratuitement les deux volumes possédés par
Harvard, publiés avec un privilège enfin
accordé :
Pétrone latin et français,
traduction entière suivant le manuscrit trouvé à Belgrade en 1688 avec
plusieurs remarques et additions qui
manquent dans la première édition, nouvelle édition augmentée de la Contre- Critique
de Pétrone, 1709
J’ai pu aussi lire, grâce à Google Books, les arguments de l’adversaire
de François Nodot dans sa Contre- Critique et sa Lettre.
Le
but de la cabale vise à faire
disparaître Pétrone par un négationnisme
total : il serait « vain de vouloir déterminer le thème du roman et le
lien qui en unit entre eux les divers épisodes », écrit A.Ernout. Comme on
l’a dit de Shakespeare, les œuvres de Pétrone n’ont pas été écrites par
Pétrone, mais par un inconnu dont on ne sait rien et qui signait Pétrone : même
son prénom est incertain, ses autres œuvres ont disparu, on a coupé tout lien avec
le Pétrone de Tacite, celui de l’œuvre satirique contre Néron et contre ses débauches,
si bien que "Le Point",
dans un hors- série de janvier février 2009 consacré à Ovide,
Spinoza, Sade… Les textes maudits et tous les livres interdits, peut
écrire, p.127: « Satiricon : Œuvre à la fois licencieuse,
picaresque et satirique, écrite en prose et en vers, traditionnellement attribuée
au romain Pétrone (?-65 apr. J.-C.) ».
La découverte du manuscrit de Belgrade
En 1688, François Nodot est aux armées
françaises en Allemagne quand il entend parler du manuscrit, initialement
détenu par un « Grec
renégat », au service des Turcs par conséquent, et vendu par lui au siège
de Belgrade à un officier français au service de l’Autriche dans
l ‘armée ennemie. Ne peut-on
supposer qu’il s’agit du manuscrit dit de Bude en Hongrie (Vetus Pithoei ou Vetus Benedictum
exemplar) et que celui-ci a été dérobé, ce qui explique le secret dont on
l’entoure ? En tout cas, l’officier
français Dupin est riche et lettré , et il veut conserver le manuscrit pour
lui-même, mais il accepte de le montrer à F. Nodot. Ils conviennent de se
retrouver à Francfort : Nodot est enthousiasmé. Il apprend que Dupin va le
faire déchiffrer et transcrire en écriture italique par un spécialiste en
paléographie; grâce à un antiquaire de Francfort, il réussit à soudoyer le
déchiffreur pour en obtenir une copie clandestine qu’il montre à diverses autorités comme
Charpentier, de l’Académie française.
Devant les avis favorables il entreprend de l’annoter et de la publier, puis
de traduire l’œuvre entière, à savoir
les textes traditionnels, le festin de Trimalchion et les additions de son
propre manuscrit. Il dispose de diverses éditions anciennes, en particulier
celles de Jean de Tournes (Tornaesius, 1575), de Jean Dousa (1595) et de Bourdelot (1618)
Le transcripteur de ce manuscrit qui était
rédigé en écriture gothique et datait du
12e ou du 14e
e siècle a bien fait son travail , mais il a supprimé les
marques de séparation en livres ou en chapitres par des signes,parce que,
probablement, elles entraient en conflit avec la nouvelle division qui avait
été introduite par le Suisse de Juges en 1629
et qui s’était imposée jusqu’à maintenant pour sa commodité. 15 et I6 livres
selon le manuscrit du festin de Trimalcion , Codex Traguriensis du XVe siècle, Parisinus 7989 «Petronii Arbitri Satyri fragmenta expliciunt
ex libro quinto decimo et sexto decimo », que je traduis : les
fragments du Satyrei de Petrone
Arbiter se terminent après les livres XV et XVI contenant les extraits qui
précèdent (à titre de comparaison, le roman d’Apulée a onze livres,soit un peu
plus de 200 pages dans la Pléiade, le Saqtyricon , sans les suppléments trouvés
à Belgrade, 130 pages). Un interpolateur
de Fulgence (VI e siècle) dans le manuscrit de Paris 7975 attribue au livre XIV
le chapitre XX, 9 (scène de fascinum,
sortilège de désenvoûtement). Nous n’aurions
donc conservé que les livres XIV, XV et XVI, mais rien n’est
moins sûr Noblot, par fidélité au texte et par
honnêteté, n’a pas voulu introduire de
lui-même la division. Nodot également a été très fidèle et n‘a pas corrigé son texte avec Bourdelot
par exemple.
La controverse lancée par
le jésuite Georges Romain Pélissier.
Le privilège est au nom de Pélissier et de
personne d’autre, il faut y insister. Nous avons de celui-ci une Traduction libre des trois premières
églogues de Virgile en vers patois,
sans date certaine, éditée à Cahors. Or, F. Nodot, dans sa réponse à une
2è critique que nous n’avons pu lire , nous dit qu’elle a paru dans un autre
coin du royaume que Grenoble et que son auteur a enseigné en Bretagne , puis
est allé en Dauphiné (Grenoble) et en Savoie , enfin à Cahors et
Nodot ironise en disant que « du savoyard enté sur du
bas- breton ne fait pas du français ». Il ajoute que le Pélissier en cause
se serait fait appeler M. du ou de (B)… à Paris, qu'il serait un religieux, un
jésuite, professeur de collège et qu’il aurait eu quelque affaire
d’homosexualité avec un de ses élèves : il menace de la publier et de la
révéler à un « grand seigneur de la guerre et des sciences » dont
Pelissier se recommande à tort, puisque ladite personne a adressé à Nodot des
lettres favorables à l’authenticité de son Pétrone. Il s’agit de Claude -Ignace
Brugière de Barante, né à Riom en 1670 (il aurait eu vingt- quatre ans au moment de la parution), mort à Riom en
1745 et violemment anti-protestant. En
tout cas, la menace de divulgation porte ses fruits car cette nouvelle œuvre de
Pélissier est rapidement retirée de la
circulation : il y avait fabriqué de fausses lettres échangées prétendument
entre Nodot et lui-même. Je n'ai pu la lire: il
s’agit du Tombeau du faux
Pétrone de Belgrade, in-12,
Revenons sur le reste de l'œuvre du jésuite
Georges Pélissier, qui, lui, était
détenteur du privilège royal pour publier le libelle Observations sur
le Pétrone trouvé à Belgrade en 1688 et imprimé à Paris en 1693. Avec une
lettre sur l’ouvrage et la personne de Pétrone. Paris,1694, 12°, 213 p. que nous avons pu lire grâce à
Google Books, University of Michigan, mais où les références à l'ouvrage de
Nodot sont malheureusement celles du texte en latin de 1693 publié à Paris, Tiiti
Petronii Arbitri equitis romani satyricon cum fragmentis Albae Graecae (Belgrade)
recuperatis anno 1688 nunc demum integrum, Paris, in-8° identique à
l'édition de Rotterdam et contenant les
lettres de Charpentier et de Nodot en latin ainsi que le texte latin
(non cités dans Cioranescu).
C’est sur cet ouvrage de Pélissier, partial
et bien léger pourtant, que la cabale
jésuite se fonde pour juger, sans
l’avoir lue, l’œuvre apocryphe. Tissu de barbarismes, de solécismes, de gallicismes révélant un faux
indigne d’un élève de 6e,
prétendent-ils, mais qui a trompé alors des savants spécialisés dans
Pétrone comme:
1) le Président de l’Académie
d’Arles, Marc Antoine Chalvet (c’est
à lui,
-M. C.,- qu’est adressée une des
lettres de Nodot dans le tome II) dont
la traduction (anonyme, comme il se doit) de Pétrone avait paru en 1687
et en 1688, comme l'avaient indiqué Petrequin et Péricaud , sous le titre Pétrone :
traduction nouvelle avec les observations sur les endroits les plus difficiles .
A Cologne, Chez Pierre Marteau (indication fictive, imprimé en France en
réalité, de même que le suivant), petit in- 12 comprenant : préface 7 p.,
traduction p.1-192 avec, sans coquilles, la célèbre traduction en vers du poème De la Guerre civile republiée
par Herbert en 1865 et commençant par
"Rome par la faveur
du démon de la guerre"
et les observations. D'autre
part, l’année suivante, simple réédition sous le même titre avec les indications Anvers
François Ducoin (nom imaginaire)
2) le Président de l’Académie
de Marseille ;
3) Charpentier, de l’Académie française ;
4) Perrot d‘Ablancourt.
L’enjeu réel de la
cabale.
En 1662, Claude Le Petit
avait été brûlé vif pour avoir publié une œuvre érotique, ainsi que Théophile de Viau , qui avait aussi été condamné au bûcher et mourut
des suites de l‘emprisonnement préventif. Or, Pélissier critique dans le 2e
et le 3e ouvrage le Concile de Trente qui a autorisé la lecture des
anciens pour l’élégance du langage : il suffit qu’il démontre qu’il s’agit d’un
faux et son auteur, n’étant plus protégé
par le nom de Pétrone, est susceptible
du bûcher, ce dont il menace expressément au moins son livre, ce qui inquiète
fort le pauvre François Nodot. C’est en
effet au nom de la morale et de la
religion que Pélissier mène son combat : « Il y a bien des gens à qui la suppression entière de ce qui nous reste
de cet auteur (Pétrone) paraîtrait plus avantageuse au public, que la
découverte de ce qui pourrait servir à en remplir les lacunes. Ce serait
bien des infamies soustraites à une infinité de jeunes gens, qu’elles sont bien
plus capables de corrompre que de rendre habiles dans la langue latine »,
quoi qu’en ait dit le concile de Trente (Lettre sur Pétrone, p.5). Et
p.149, in fine de l’oeuvre : « Si le sacrifice du Pétrone de M. N. pouvait contribuer en
quelque chose au bonheur des armes du roi, il n’y a personne qui ne se hâtât
de jeter ce livre au feu. ». Ce serait un acte de foi, un autodafé,
comme celui dont Claude Le Petit fut la victime, il n 'y a guère. Dont acte.
Les arguments de Pélissier
contre l’authenticité.
1°Les coquilles.
Il en cite quelques unes
comme si c’était des crimes : barbarismes, solécismes ou gallicismes: urbem
quem au lieu de quam, mais cette coquille n’appartient même pas aux nouveaux fragments de Nodot, de
même suppellectarium au lieu de supellecticarium,
préposé au garde-meuble, 34, 3, mais là encore pas de chance pour lui : c’est
dans le texte traditionnel ! Il y
d'autres coquilles qu'il n’a pas relevées.
2) Les prétendus
solécismes
Oportet scias, sans ut est condamné à tort par lui, alors
que Cicéron l’emploie dans ses lettres et que la prose de Pétrone est
familière, voire populaire: ce n'est pas du thème latin avec des non classiques.
3) Deux prétendus
barbarismes lexicaux, mapalia et zelotypa.
Pour mapalia, cabane, présent dans les
nouveaux fragments, voici ce qu’il nous dit, p.125: « On trouve dans
la page 25 le mot de mapalia: dein , secundo mapalia in sylvam proximam
effugissemus. Ce mot d'origine punique signifie les huttes dont se
servaient les bergers d’Afrique pour garder leurs troupeaux, les maisons du berger, puis les tentes. C’étaient
de petites loges portatives, dont Virgile nous fait une description dans le
troisième livre des Géorgiques:[Omnia, etc.] Or, je voudrais bien
demander au Pétrone moderne où il a trouvé que ces huttes fussent connues en
Italie? Virgile lui-même ne prétend qu’elles fussent d’usage que parmi les
bergers de Libye. [Quid tibi pastores Libyae…]Je sais bien qu’il n’y a
pas d’impossibilité que cet usage se soit établi parmi les Romains, comme il
l’était en Libye et comme il l’est encore dans quelques endroits, mais je n’en
vois point de preuve et il faudrait bien des autorités comme celle du nouveau
Pétrone pour faire une opinion probable en fait d’érudition. Il ne
passera de longtemps pour un auteur grave ». Le mot probable
évoque tel bon père jésuite des Provinciales.
Mais surtout le mot mapalia a déjà été
employé par Pétrone dans l’ancien texte (58,13) .sans paraître suspect
aux critiques.
C’est la même chose pour zelotypa,
jalouse, rejeté par Pélissier comme non classique (ce qui serait juste pour un thème
latin) alors qu’il est présent deux fois (45 et 69) dans l’ancien texte.
4) Les prétendus gallicismes.
Pélissier rejette comme
gallicisme révélateur castellum
traduit par Nodot comme le « château « (de Lycurgue), château au sens
défini par Littré comme « grande et belle maison de campagne »
(et non pas de château fort, de redoute), mais le Gaffiot atteste ce mot chez
Virgile ou Tite Live au sens de ferme ou de chalet. Deloffre avait demandé à
une étudiante de chercher les lusitanismes dans les Lettres portugaises,
mais, on le sait, elle ne trouva que des gallicismes, puis le privilège au nom
du comte de Guilleragues. Chez Nodot, on trouve seulement des... latinismes.
5) Les 69 fragments
attribués à Pétrone.
Pélissier se plaint de ne pas
les retrouver dans les fragments découverts par Nodot. Mais celui-ci lui répond qu'il n’a pas voulu les rajouter à
son texte parce qu’ils ne figuraient pas dans son manuscrit et il a eu raison
de ne pas le faire, alors que, disposant de l’édition de Jean Bourdelot de 1618 (Petronii Arbitri Satyricon. Io Bourdelotius emendavit, supplevit, commentarium perpetuum adjecit, Parisiis, apud
Isaacum Mesnier, 1618, in-12, 299-1 pages, Il aurait pu suivre Bourdelot et replacer un bon nombre de fragments à une
place plus ou moins vraisemblable. Car rien ne prouve que ces fragments soient
tous extraits du Satyricon, deux fragments viennent de deux autres œuvres
de Pétrone, Euscion et Albutia, d’autres contiennent des vers de
Lucrèce, de Lucain et de Stace, et de personnages appelés également Pétrone,
mais différents du nôtre, comme Afranius Petronius ou Caius Petronius, alors que le nôtre
s’appelle Titus.
Le titre obscur de l’oeuvre : Satyricon.
L’explication la plus
évidente fait venir ce mot composé d’un radical romain satura, et d’un suffixe grec—icon,
en notant le neutre. La satura (Menippea)
est un mélange de prose et de vers
comme notre œuvre, un mêli- mêlo (tel
est le sens originel de satura) qui
se passait dans le monde hellénique chez Ménippe ; mais chez Varron qui a
suivi le philosophe de Gadara, la scène se passe à Rome. On pourrait supposer
que le suffixe grec rappelle les noms grecs des personnages du roman. L’élément
caustique ou satirique contre Néron se
développe à partir de l’origine étrusque
des chants fescennins. Citons Ennius et Lucilius, Horace, Perse, Juvénal,
Martial.
Toutefois, en
tête de certains manuscrits, comme celui trouvé à Trau(manuscrit du Xv1e
siècle, a, , Paris, 7899, apparaît le titre petronii Arbitri Satyri(i), où
Satyri est le génitif de Satyrium . Or, le latin satyrium ,
satureium ou satureum ou
satureïon, correspondent
au grec to saturion, qui désigne une plante aphrodisiaque
utilisée en magie, de la famille des orchis
(orchidées, de la famille des plantes à bulbes , ces derniers étant appelés
du nom grec du testicule , orchis) ou
de la Sarrietta montana, le pèbre d’ai ou pèbre d’ase (poivre d’âne,
latin, asellus, connu pour sa
sexualité ) des Provençaux. Le mot sarriette vient d’ailleurs de satureia, du nom des Satyres
réputés pour leur luxure. Précisément, le chapitre XX, 7, est
une scène de désenvoûtement, consistant
à faire boire à l’impuissant un philtre semblable à la boisson que les créoles appellent très clairement, avec un gérondif archaïque, le boisbander,
sorte de viagra à base de sarriette et
d’orchis entre autres .Le pseudo- Apulée, dans De herbarum medicaminibus, l’appelle
Priapicon , ce qui n’est pas sans
rappeler satyricon. On l’appelle
encore erythronion, ou satyrium
rouge,une plante à bulbe, ou encore priapiscon, priapiscus, Herbe de l’Indien, indica (chanvre indien) ou ,
en 15, testiculum (orchis) leporis. Pour
sa part, Pétrone le nomme satureum , et le mot apparaît sept fois au moins : Nodot , p. 83 sqq,deux
fois
dont un gobelet plein de satyrium ; Budé, p. 7 : omnes mihi videbantur satureum
bibisse ; Nodot p. 82 sqq. , un verre plein de satureo, et
Budé p.17
quicquid saturei fuit , tout le satyrium Budé, p 17 : penicillo puella , quod et ipsum satureo tinxerat , Ascylton
opprimebat, la fillette, armée d’un pinceau qu’elle avait, lui aussi [comme
Ascylte], trempé de saturion , persécutait
le pauvre Ascylte ; Il y a un passage obscur dans Budé,p . 17, même
avec le texte corrigé par Strelitz et il vaut mieux prendre Nodot qui a sans correction du texte latin: «[ENCOLPE] La
servante [Psyché] apporta un gobelet plein de satyrion et elle fit si bien
que j’en bus plus de la moitié, en me faisant mille contes fort plaisants et, parce qu’Ascylte avait
rebuté ses caresses dès le commencement,
elle lui jeta le reste du satyrium, sur le dos, sans qu’il s’en aperçût. [Reprise
du texte traditionnel :] Comme cette plaisante conversation finissait, Ascylte dit : « Hé
quoi, ne suis-je pas digne de boire, moi
aussi ? »La servante se vit découverte par un souris qui m’était échappé, elle battit des mains et
dit [à Encolpe ]: « je
t’en en ai pourtant servi, Encolpe,beau gosse, et même tu as été le seul à boire le philtre
jusqu’au bout (correction de Strelitz :j’en ai pourtant servi et même
Encolpe a été le seul à boire le philtre jusqu’au bout] . -Est-ce bien vrai, dit Quartilla, tout le satyrion, c’est
Encolpe qui l’a bu ? »
Le
neutre suffixé saturicon ou satyricon , -ce qui est rattaché au
philtre,- sur
le modèle de priapicon, donne
peut-être son nom au roman, où l’impuissance (celle de Trimalchion -Néron en
particulier) est un thème important, puis
il n’a plus été compris.
La vie de Titus Pétrone Arbiter et les allusions à Néron, adepte de la Déesse
syrienne.
D’abord le prénom de Pétrone : Titus et non pas
Caïus. Plutarque , dans Comment
distinguer l’ami du flatteur dit expressément : « on reproche
aux débauchés leurs infamies comme Titus Pétrone l’a fait contre Néron »
et Pline le Jeune, livre 7, chapitre 2 : « Titus Pétrone,
consulaire, qui composa le Satyricon
sur le point de mourir » et surtout Tacite, Annales, XVI, :18 et 19 « C. (Caius pour Titus )
Petronius décrivit sous les noms de débauchés et de femmes perdues les vices de Néron » .tacite a dû
confondre le prénom de notre auteur avec celui de son grand-père, second préfet
d’Egypte sous Auguste entre -20et-25contre la reine Candace Caius
Petronius, cité par Dion
Cassius (54, 5,4), tandis que Pline (VI,
181) appelle ce préfet victorieux Publius. Le hasard des inscriptions permet de
suivre Petronius après l’Egypte jusqu’en Gaule, où, près de Moirans-en-Montagne
dans le Jura on trouve une inscription concernant deux Pétrone revenant
d’Egypte sous Auguste (Jacques Maissiat, vol. 3, Jules César en Gaule, p. 210), un C. (lu Q à tort)Petronius
Metellus et un M. Petronius Magnus
quatuorvir. Pétrone s’appelait Titus,
abréviation T. et non Caius.
Nodot n’a pas hésité à
publier les clés de ce roman.
Trimalchion est
la caricature de Néron. Il s’agit dans
le roman de Pétrone d’un affranchi syrien, son nom est donc apparemment
syrien : on trouve le nom de Malchion,
génitif Malchionos, dans Lucien de Samosate (H. Conscr., De la manière d’écrire l’histoire, 28), où il désigne
un Syrien. Syrien malch,
roi,
+ suffixe hellénistique signifiant fils
de –ion. Ce pourrait être un nom du dieu syrien assimilé à Hercule, Haroket,
signifiant marchand, savoir Melkar-Haroket,
signifiant le roi de la cité des marchands, où Haroket désigne les marchands, melk roi et qart,
peut-être cité cf. les noms du
Carthaginois Hamilcar, de (a) malk et
de ar , de Moloch et du roi mage
Melchior, du juge biblique Abimelec,
de Anamelek, qui vient du nom de
la déesse sumérienne Inanna et de
Melek. Chez Martial, Epigrammes,
livre 3, 82, 32, on trouve aussi un Malchio
et peut-être (certains manuscrits ; d’autres ont Malthinus) chez Horace, Satires,
1, 2,25, un Malchinus. )
Néron a eu des rapports particuliers
avec la Déesse syrienne
en
l’honneur de qui il fit bâtir un temple à Rome. Selon Suétone qui n’a pas compris
cette religion, au chapitre LVI, Néron fut
un fidèle de cette déesse dont le nom ne se dit pas, appelée Ma, Man (du nom indien du dieu Ahriman)
ou Mén, identique à Atargatis ou à Derketo. Les castrations ordonnées par
Néron, son culte des lions, sa construction d’un immense vivier avec des
poissons sacrés (au chapitre XXXI) en
sont des indices. La statuette remise
par un homme du peuple et représentant
une déesse à laquelle il sacrifiait trois fois par jour était vraisemblablement une image de la Déesse
La barbe
de Néron mise dans un coffret d’or en est un autre, car si Suétone, Budé,
p. 340, chap. XII, écrit qu’il se fit couper la barbe tandis que l’on sacrifiait en
grande pompe des bœufs, l’enferma dans un coffret d’or, orné . de perles très
précieuses et les consacra au Capitole, Pétrone , p . 254, chapitre
XXIX nous révèle que Encolpe remarque
dans un coin de l’atrium « une grande armoire avec, au-dedans, un
reliquaire contenant des Lares d’argent, une statue de Vénus (ancêtre de César
, certes, mais surtout assimilée à Isis et à la Déesse syrienne) et une boîte d’or qui était fort grande et
passait pour renfermer la première barbe du maître de maison »Trimalchion.
Pétrone y revient, p 74, .au chapitre LXXIII : « c’est
aujourd’hui,qu’un de mes esclaves fête
sa première barbe. » Lucien , dans De dea
Syria, chap.60, nous en donne la raison:
« Ils ont encore une autre coutume, qui ne
leur est commune qu'avec un autre peuple de la Grèce, les habitants de Trézène.
Je vais dire ce qui a lieu chez ces derniers. Les habitants de Trézène ont fait
une loi qui défend aux jeunes filles et aux jeunes gens de contracter mariage,
avant d'avoir coupé leur chevelure en l'honneur d'Hippolyte. La même loi existe
aussi à Hiérapolis. Les jeunes gens y consacrent aussi les prémices de leur
barbe. On laisse croître les cheveux [et la barbe] des enfants depuis leur
naissance, pour les consacrer aux dieux; arrivés dans le temple, on les leur
coupe, on les dépose dans des vases
d'argent, et quelquefois d'or, qu'on
attache avec des clous ; on inscrit le nom de chaque enfant sur le vase et l'on
s'en va. Il y a encore dans le temple mes cheveux et mon nom. »
Le bassin
Selon
Lucien, à Hiérapolis, la grande ville de la déesse, il y avait un lac
sacré :
45. A peu de distance du
temple, il y a un lac dans lequel on
nourrit une grande quantité de poissons sacrés de toute espèce. Quelques-uns
sont devenus énormes. Ils ont des noms, et ils viennent quand on les appelle.
J'en ai vu un entre autres qui avait un ornement d'or ; c'était un bijou
attaché à sa nageoire ; je l'ai vu souvent avec son bijou.
46. La profondeur de ce lac
est très considérable ; je ne l'ai pas sondée, mais on m'a dit qu'elle était au
moins de deux cents brasses. Au milieu s'élève un autel de marbre. On dirait, à
première vue , qu'il flotte, porté sur l'eau, et la foule le croit ainsi ; mais
je crois, pour ma part, que l'autel est soutenu sur une haute colonne. En tout
temps, il est couronné de guirlandes, et l'encens y fume sans cesse. Beaucoup
de gens, couronnés de fleurs, s'y rendent chaque jour à la nage, afin d'y faire
leur prière.
Edesse, en grec Bambycè , au
nord et à l’est de Hierapolis
Au nord et à l'est de
Hiéropolis se trouvait Édesse (aujourd'hui Urfa, nom arabe de Vénus assimilée
tant à Isis qu’à la déesse Syrienne) qui, selon la légende chrétienne, fut le
premier royaume à devenir chrétien avec la présence ancienne d’Adam et Eve
d’abord, puis d’Abraham. Les Kurdes, d’origine ibère (cf les Turdes en Espagne)
appellent la cité (et la déesse) Riha,
les Araméens Orhai, les Grecs Osroë, les Arméniens Urhai, les Syriens Urhoy, ce qui semble signifier la ville de Rhéa(cf. le latin rabia,
rage, transports furieux, transes comme celles qui agitaient la déesse) en grec
Rhéïa, assimilée à Cybèle et à
Atargatis, souveraine avec Kronos du monde. Toutefois, au V e siècle de notre
ère, la cité avait un temple dédié à Atargatis (comme elle en avait un autre
dédié à l'étoile Vénus, Urfa). Encore et encore, l'évêque chrétien de cette
période a dû interdire l'auto- castration qui se pratiquait toujours en
l'honneur de la déesse Un plan
d'eau contenant les poissons sacrés chers à la déesse existe toujours à Urfa,
bien qu'il soit maintenant consacré à Abraham ou en arabe Ibrahim.
Le
nom d’Atargatis
signifiant peut-être l’épouse d’Atar ou
en grec Atlas dont une statue figure au
temple de Hiérapolis selon Lucien, (voir
mon blog sur la déesse syrienne) et
son image apparaissent sur une "variété déconcertante" de pièces de
monnaie datant de la dernière partie du 4e siècle et du début du 3e siècle
avant notre ère Une forme araméenne de son nom s'écrivait "tr'th", Ataratha,dont les Grecs ont altéré la
cacuminale araméenne tara ou tr en Derketo
ou Derceto . Parmi les autres
variations de son nom se trouvent Ataryatis,
Attayathe, Ataryate et Tar'atha.
Pour nous, tri de Trimalchion est une forme syrienne dialectale de Atar (gata)
, où tri note bien une cacuminale araméenne + melchion, roi, de melk signifiant roi et d’un suffixe -ion, ou -ior,
signifiant fils de , cf. Melchior.
Trimalchion signifie le fils de roi Atar.
Lucien, dans De Dea Syria, 31,
écrit : « [Dans l’enceinte du temple de Hierapolis], sont
placées les statues de Junon et de Jupiter,
auquel ils donnent un autre nom. Ces deux statues sont d'or, et assises,
Junon sur des lions, Jupiter sur des taureaux. La statue de Jupiter représente
parfaitement ce dieu : c'est sa tête, son costume, son trône ; on le voudrait,
qu'on ne pourrait le prendre pour un autre. » L’ « autre
nom » donné par les indigènes syriens est Trimalchion, tandis que,
pour les Arabe, il est Hadad [nom venant de Tar’atha, de (t)arath(a)] ou bien Baal
–Hadad.
Mais on a rapproché aussi le grec malakos,
latin mollis, vieux -slave mlucati, se taire, et surtout le grec malkè,
engourdissement par le froid, aux mains, aux pieds, ou ailleurs, onglée,
impuissance (celle de Néron précisément).En
ce cas, malkion, adjectif dérivé du
nom grec malkè, avec ce qui est
compris comme le préfixe augmentatif tri-, trois fois pourrait être un mot
injurieux qui n’aurait pas survécu dans
nos dictionnaires.
Que Trimalchio désigne Néron
nous est confirmé par Bourdelot , dans Petronii
Arbitri Satyricon, ejusdem Fragmenta cum notis criticis J. Bourdalot ,1648
, p. 233, qui, selon Nodot dans sa préface,
affirme avoir vu une médaille romaine
avec à l’avers C. Nero Augustus
et au revers Trimalchio. S’agit-il
d’une pièce satirique, raillant Néron
« le grand impuissant » ?
Ou bien plutôt Néron lui-même fit-il graver cette pièce, s’estimant le mari de
cette Déesse syrienne ? Trimalchio doit s’interpréter , pour melek, roi et pour tri,
Astarté, noté Trrt, r voyelle se prononçant ri et étant noté rr, les voyelles
ne se notant pas dans l’alphabet sémitique. Des inscriptions chypriotes nous ont révélé le nom de trois rois
phéniciens de Citium sur la côte occidentale de l’île: en 449 av. J. –C, Baal-Melek, roi de Citium , en 410, Baal-Melek II, roi de Citium et d’Idalie, Melek-Jaton. Ils adoraient la déesse Anat ou Anta, assimilée à Astarté et à la déesse syrienne.
Au second livre des Rois , VII, 17,31, on peut lire : « les gens de
Sepharvaïm brûlaient leurs enfants au feu en l’honneur d’Adrammelek et d’Anammelek,
dieux de Sepharvayim. » Anamelek,
vient de de Nania , déesse
sumérienne assimilée à Astarté et à
la déesse syrienne et de melek, roi. Adramelek en est
un doublet qui atteste d’une
cacuminale tr qui s’est transformée en
dr ou en n.
Donc Trimalchion signifie , dans le phénicien parlé en Syrie, le roi (melek)
de Trt, la déesse syrienne
Atargatis.
On a raconté qu’une des épouses de Néron, Acté, était, soit chrétienne, soit sectatrice d’Isis et dérangeait les Romains
par l’étrangeté de ses sistres, mais c’était en réalité une sectatrice de la Déesse syrienne, la Fortunata
du roman. La femme de Néron
était la fille d’un affranchi grec.
Pourquoi ce nom ? Fortuna, équivalent de la déesse grecque Tuchè, était assimilée à la déesse syrienne.
Autres indices.
Dans les Annales de Tacite, I, 15,
ce que nous confirme Suétone, Néron,
Poche , p. 352, chapitre XXVI (« Dès le crépuscule, prenant un bonnet ou
un béret, il allait dans les bouges et errait dans les rues, en courant des
risques, puisqu’il avait coutume de frapper les gens qui revenaient de
dîner … »), on apprend que,
Néron aimait à détrousser des citoyens et à revendre les objets ainsi volés à la porte de derrière du palais, comme
nos héros le font dans le roman en revendant dans un marché aux voleurs , la quintana (d’où notre mot cantine au sens
premier de lieu d’achat pour les militaires ), c’est- à dire une large rue
traversant le camp, un manteau
« chaud ». » « Néron installa dans le palais un marché où
l’on dépensait l’argent produit par le butin ainsi amassé [par les vols de Néron] et qu’il faisait
mettre aux enchères. »
Le trésor de Didon : Suétone, Poche, p. 357, chap. XXXI : « Néron fut
poussé à cette frénésie de dépenses … par l’espoir qui lui vint brusquement de
découvrir des ressources immenses et cachées, à la suite d’une révélation faite
par un chevalier romain qui lui promettait comme une chose certaine que les
trésors amenés autrefois par la reine Didon, lorsqu’elle s’enfuit de Tyr,
étaient en Afrique dissimulés dans d’immenses cavernes et qu’on pouvait les
ramener au jour avec très peu d’effort. .. Cet espoir fut déçu. »
Pétrone , Budé, p ;34, chapitre XXVIII: « Néron a réussi à
attraper le bonnet d’un incube et il a trouvé ainsi un trésor. »
L’eau à la neige à laquelle fait allusion Trimalchion
(Pétrone, Budé, p. 20, chapitre XXXI).
Suétone, p. 353, chap. XXVI, nous explique
l’allusion : « Néron plongeait …l’été, dans de
l’eau rafraîchie avec de la
neige. » et p. 377, chapitre XLVII : Néron, traqué, puise avec sa main de l’eau
dans une flaque qui se trouvait à ses pieds, s’exclamant : « Voilà
donc la boisson de Néron ! » , faisant allusion à sa célèbre
invention qui consistait en de l’eau que
l’on avait fait bouillir et que l’on avait refroidie en y mettant de la neige
importée des Alpes.
Enfin,
le monument funèbre que Trimalchion fait construire rappelle la vanité de Néron.
Le maître de rhétorique, Agamemnon : il s’agit de Sénèque, le premier ministre de
Néron.
Eumolpe, celui
qui chante bien en vers : c’est la caricature du poète
que vouait être Néron. La prise de Troie,
en grec, fait allusion à un poème de Néron chanté sur la lyre au moment de
l’incendie de Rome. La guerre civile
est une critique de la Pharsale de Lucain, en même temps que
ce poème maladroit est destiné à montrer la jalousie de Néron contre Lucain
qu’il fit mourir parce qu’il était meilleur poète que lui.
Circé est
une femme de sénateur, Silia, dont
parle Tacite. Elle s’était éprise de Néron dont elle avait pourtant fait la
connaissance sous l’habit d’un esclave (Tacite raconte que Néron aimait rôder
la nuit déguisé en esclave, avec souvent une bande de voyous). Quand Néron
l’eut trompée, elle révéla les secrets de l’empereur, savoir son impuissance :
celui-ci l’exila.
Polyaenos , en
grec celui qui est digne de louanges (ironique) : tel est le déguisement
d’Encolpe qui séduit sous l’aspect d’un esclave
une dame romaine, Silia, mais se révèle impuissant :on
comprend la colère de Néron à cette révélation, même si elle est déguisée sous
le nom de Polyaenos-Encolpe. . Diverses habitudes de Néron sont raillées par
Pétrone, ou bien son mariage religieux avec un, débauché appelé Pythagore
.mariage où il prend l’habit de la femme, ou bien le fait d’avoir mis à mort un
ouvrier qui avait inventé le procédé du verre incassable.
Les arguments pour l’authenticité :
critique externe.
Il
faut comparer le manuscrit de Nodot avec
d’autres manuscrits. Pour cela, le plus intéressant est le fragment XXX sur les
songes, même s’il ne faut pas négliger le début du roman,déjà étudié supra , et sa conclusion que nous étudierons à la fin, Nodot ne
s’est pas aperçu que son manuscrit intégrait en réalité au moins deux fragments, celui sur les songes et celui sur les Marseillais à la fin du roman, ce qui
lui fournissait un élément de réponse à
ses adversaires.
Le fragment XXX sur les songes.
Il
est très intéressant de comparer le
texte du manuscrit de Nodot sur les songes avec le texte du manuscrit de Leyde
par lequel nous connaissons ce fragment XXX
Il est intégré par le manuscrit de Nodot après le songe de Lichas au chapitre CIV comme Bourdelot l’avait déjà
proposé en l’insérant après ratione
condemnat et avant Ceterum Lichas (deuxième
paragraphe). , mais le texte de ces 16
vers est meilleur : il intègre aussi un vers
suspecté à tort par Ernout qui, en note seulement,
écrit : « Voir plus loin, dans les Fragmenta, le poème XXX ».
De quelques
fragments insérés par Bourdelot mais non par Nodot :
Nodot n’a pas essayé
d’incruster dans son texte divers fragments insérés par Bourdelot dans
l’édition de 1618 qu’il possédait, par exemple le fragment
XXVII, inséré au chapitre CVI après inscriptione derisi par Bourdelot .ainsi
que le fragment XLVII inséré au paragraphe LIV après pecuniam positri, le fragment XLVIII inséré au chapitre CXXIX après
Achilles eram. Ceci semble prouver
que le manuscrit de Nodot existait bien, puisqu’il comprenait ce texte sur les
songes, qui nous est aussi connu par un manuscrit du XII e siècle, peut-être de la même famille, le Codex Leidensis (de Leyde) Vossianus CXI, folio 38 au recto, ,
avec également le fragment XXIX, mais
placés après les poèmes cités respectivement aux chapitres XIV et LXXXIII. Va riantes du Codex profuso , abondant, au lieu de
perfuso , teint superficiellement, de Ernout, corde au lieu de chorte,cour, correction de Mommsen
adoptée par Ernout et lustrat , correction de Burman, latrat, qui signifie aboie, au lieu de lustrat , parcourt, correction de Burman.
Le manuscrit de Nodot, outre une ponctuation différente, présente les variantes
qui suivent :
Vers 6 au lieu de eruit dans le manuscrit de Leyde, saevit ;
Vers 8, perfuso comme le veut la correction d’Ernout au lieu de profuso du manuscrit de Leyde;
Vers 10 , pavido, au lieu de pavidi comme dans le manuscrit de Leyde ; et corde, comme dans le manuscrit de Leyde
avant correction en chorte par Mommsen ; vers 15, latrat comme dans le manuscrit de Leyde au lieu de la correction
en lustrat de Vossius ;
Vers 16, spatio au lieu de spatium du
manuscrit de Leyde.
Au vers 13, orthographe
archaïque puppim au lieu de puppem comme
dans le manuscrit de Leyde.
Bref, le point de comparaison
entre le texte de Leyde et celui de Nodot démontre qu’il s’agit bien d’un
manuscrit différent et non d’une invention de Nodot.
La place des quatre vers qu’on trouve dans Budé,
P .84, chapitre LXXXII sur l’avare comparé à Tantale.
Ernout reconnaît lui- même
que ce fragment « se rattache assez mal à ce qui précède ». De plus,
il est contraint d’admettre la correction de Jacobs, acervans, entassant, en lieu et place de cernens que donnent les manuscrits (l’avare qui scrute toute chose , plein de crainte,omnia cernens qui timet ). Or, le manuscrit
de Nodot situe ces vers dans un long fragment qui relate l’histoire de
Lycurgue,Lychas et de Tryphamène , où il convient très bien à la peinture de
l’avarice de Lycurgue. .
Un autre
fragment (I Servius )
Il fait allusion à la fin
d’Eumolpe élevé pendant un an aux frais du public avant d’être tué selon la
coutume pratiquée par les Marseillais pendant les épidémies de peste , ce qui
constitue la fin du roman conservée .
Gonsali de Salas avait déjà
correctement placé à la fin du roman le texte de son manuscrit, presque
identique d’ailleurs à la scolie
de Servius à l’Enéide, III,
57 : « il décapite Polydore et s’empare de ses richesses. A quoi ne
pousses-tu pas le cœur des mortels, maudite
[auri sacra fames] soif de l’or ! », depuis Massilienses jusqu’à et sic projiciebatur. Mais chez Gonsali comme chez Servius où le mot execrationibus employé par Pétrone , qui signifie au sens
propre serment avec imprécations contre soi
en cas de parjure, et au sens dérivé de malédictions, donne prétexte à cette
citation du Satyricon, le mot projiciebatur était compris comme était
banni :grâce à l’adjonction des deux mots de rupe du manuscrit de Nodot,
il y a normalisation par rapport au reste du texte qui exige la mort de la victime : elle
était projetée du haut du rocher: Faut-il
supposer une suite perdue ? D’ailleurs, le fragment XXIX conservé par le
manuscrit de Leyde nous y invite.
Les variantes du manuscrit
publié par François Nodot critiquées par Pélissier comme des rectifications
abusives : sparsivum au lieu de prasinum (vert) au
chapitre XXVII, 2, oboedire au
lieu de audire au chap.CXI, 13 et damnanda au lieu de damnata
au chap.CVIII, 5.
Pélissier n’a qu’une édition
donnant pour le festin de Trimalcion la version corrigée du manuscrit de Trau
et il ne semble pas savoir que ce manuscrit H recoupe, au début notamment, les
anciens textes, si bien qu’il tempête contre l’hapax legomenon sparsivum qu’il prête à François Nodot,
alors que tous les manuscrits autres que H la comportent, bien qu’elle soit une
erreur : sparsivum , qui est encore au Gaffiot, au
lieu de prasinum (Budé, p. 23):
(balle de jeu) verte. De même pour oboedire au lieu de audire. Ces
variantes que Pélissier ne comprend pas sont la preuve de la fidélité de Nodot
à un manuscrit qui semble unique, puisque l’heureuse variante oboedire
ne paraît pas attestée dans d’autres manuscrits, non plus que la faute du
scribe, par haplologie avec verberanda,
pour damnata
Argument pour l’authenticité
que la mention de Crotone comme la plus ancienne ville d’Italie. Peu de gens
savent que la ville passe pour avoir été
fondée par le Hercule carien, Macaris ou Melkart, donc avant Rome.
Le début du roman, la
tradition et les nouveaux fragments.
Il y a une suppression fâcheuse des
prétendues "additions" de Gonsali de Salas au début du roman chez
Ernout ou Grimal. D'ailleurs, il me semble stupide de taxer de faux les
éditions anciennes dont nous n'avons plus les manuscrits et elles sont
nombreuses. Voici la phrase liminaire du roman d’après le manuscrit de Gonsali,
phrase que confirme le manuscrit de Belgrade (c’est Encolpe qui parle dans
l’école de rhétorique d’Agamemnon près de Naples, ville choisie parcecque
Néron, ; aun témoignage de Suétone, y chantait souvent): « Il y a si
longtemps que je promets de vous raconter mes aventures que je veux m’en
acquitter aujourd’hui que nous nous trouvons heureusement assemblés pour
parler, non seulement de science, mais aussi de toutes les choses qui peuvent
donner de l’enjouement à nos conversations ».
Or, le premier fragment
découvert par F. Nodot, qui fait allusion à une partie précédente perdue
où Veijenton parlait de la gestuelle des prêtres, savoir
« Véjenton vient de vous entretenir , en homme savant, des abus qui se commettent en matière de
religion et avec quel enthousiasme étudié nos prêtres en expliquent les
mystères, souvent sans les entendre. Mais les déclamateurs ne vous
paraissent-ils pas être transportés d’une autre espèce de fureur,
etc. » va déclencher le courroux
de Pélissier. Pourtant, l’enchaînement
est parfait, l’orateur nous est connu par Tacite, Annales, I, 14,50 qui
nous apprend, indique Nodot, que Vejenton avait fait une "satire terrible
contre les prêtres de son temps, où il décrivait leur artifice à l’égard de ces
divines fureurs dont ils paraissaient transportés », satire qui lui valut
l'exil. Mais les jésuites se sentent attaqués dès les premiers mots, pour eux
Nodot abat le masque, s'en prenant aux
prêtres et aux mystères de la religion. Pourtant, l'ensemble va très bien, ce
qui confirme une fois de plus les textes
tant de Nodot que de Gonsali. En revanche, le fragment XXIX, comme le
fragment I sur les Marseillais est placé à la toute fin du roman par Gonsali
mais le manuscrit de François Nodot ne suit pas Gonsali : cette divergence montre que Nodot ne cherche
pas à nous tromper; tout se passe comme si la cabale voulait nous précipiter
sur ces fragments afin de nous éviter d'étudier des manuscrits plus
intéressants.
Les mauvaises leçons du manuscrit de Nodot non
corrigées.
Je citerai via regia, la voie royale, en un lieu où il n'y a aucune voie royale. En réalité, il faut corriger via Regina, le chemin de Regium , qui mène à Regium (en Calabre)
Je citerai via regia, la voie royale, en un lieu où il n'y a aucune voie royale. En réalité, il faut corriger via Regina, le chemin de Regium , qui mène à Regium (en Calabre)
P 64 du manuscrit, il y
a d’abord un ajout de 6 lignes, puis un texte qu’on peut comparer avec celui de
Budé, P. 11. Le manuscrit de Nodot ,
comme le manuscrit L Scaliger , porte :
sed praeter dipondium siliciumque quibus
lupinos destinaveramus mercari, à corriger en dupondius quo lupinos silica que (sauf un dupondius que nous avions destiné
à acheter des lupins et des petits pois). Les manuscrits portent
: sicel (pour silica,
accusatif neutre pluriel, petits pois) lupinosque quibus . Budé,
p. 11, porte quibus (corrigé en quo par
Iacob. F. Gronbow) cicer lupinosque.
Une mauvaise interprétation de Nodot.
Nodot a ajouté au texte, p.
17, dans Budé, l’interprétation que
Psyché remplit de satyrion la bouche d’Ascylte avec un pinceau.
En réalité, elle lui passe du saturion
sur le sexe avec un pinceau.
Le festin de Trimalchion.
Le texte suivi par Nodot
n’est plus le manuscrit de Belgrade et
semble suivre L du XVIe siècle, manuscrit de Leyde Q61 Scaliger et p, édition Pithoeana sur un manuscrit perdu, Paris
1577 et 1587, t, l’édition tornaesiana de Lyon 1575, sur un manuscrit différent
appelé T. Cela explique l’intérêt de son texte, bien meilleur que celui
d’Ernout.
A)
P .31, Budé,
le sagittaire qui a tué un lièvre avec son arc et le tient par les oreilles est
orné d’un oclopetam (H), autres
manuscrits Lpt odopetam.Nodot , P.
126, p.126, a otopetam avec la
traduction un lièvre, otopeta étant
dans le Gaffiot au sens qui a deux larges oreilles , mot composé à l’imitation
d’Homère, à parti de grec ous, otos,
oreille, et de grec petalos, longue,
donc otopetalam homérique.
Commentaire d’Ernout : épithète du corbeau, celui qui vise, de peto, aux yeux (oculus).
B)
Budé p .33, lupatria : Ernout traduit par loup
-cervier ou cette putain-là.
Nodot a eupatria, de eupatereia, fille d’un noble père, épithète
d’Hélène chez Lucilius, ironique pour une fille d’esclave comme l’était Actè,
la femme de Néron.
C)
Budé, p. 38, staminatas , avec note : « le
sens exact de l’expression latine est
pas connu « et traduction : j’ai vidé tout un estaminet et Nodot, p.
60,diminutif à l’accusatif pluriel neutre
stamineta du grec stamnion, amphore à vin,, cf. wallon staminé,français estaminet, salle de réunion où l’on boit.
1 Une fausse interpolation à cause des lacunes des
manuscrits.
Budé,
p. 162, avec cette note : « Le passage semble bien interpolé. Il est
impossible de le rattacher aux événements qui précèdent et qui suivent. »,
Nodot, p. 232., donne l’explication en invoquant le dérangement d’esprit
d’Encolpe : « à dire le vrai, j’avais l’esprit si accablé de tous mes
malheurs que j’extravaguais quelquefois et que souvent il n’y avait pas beaucoup de
raison dans mes discours. Car à quel
propos rappeler des choses que je
devrais avoir oubliées pour mon repos ?
Enfin, je fis ce que je pus pour rétablir mes
forces. Je voulus même me vouer aux dieux. Pour cet effet, j’allai implorer le
secours de Priape et, quoi qu’il pût en arriver, prenant un air de confiance,
je me mis à genoux à la porte du temple et fis cette prière à la divinité qui m’était hostile, en latin ,et, ut res se haberet, spem vultu simulavi,
positoque
in limine genu sic deprecatus sum numen
aversum. »en italique, texte de Gonsali que Nodot a repris, bien qu’il
ne fasse apparemment pas partie de son manuscrit , et que Ernout a
dédaigné !En gras le passage repris
par Ernout dabs Budé, les manuscrits ayant comme chez Nodot numina
versu et Ernout ayant eu raison de
corriger en numen aversum (Priape)
Quelques fautes des manuscrits.
1 Les interpolations.
Après
avoir cité un vers du chant IV, 38, de l’Enéide, Budé P . 123, certains
manuscrits de Pétrone , comme celui de Nodot,
citent le vers suivant, inapproprié en cet endroit, alors que les
manuscrits Nd du XII e siècle
et Ml , Milan, Ambrosianus , XV 2e siècle ne le citent pas. Nodot a été trop
scrupuleux e vers 39 est donc à supprimer.
Budé,
p.159, nous avons une inscription absurde : Encolpe à propos du jeune Endymion et un
passage sur l’amour physique de Circé et d’Encolpe sous le nom de
Polyaenos . » lI s’agit sans doute, écrit Ernout, d’un fragment d’une
partie perdue, qui a été rapproché par un lecteur de l’épisode de Circé ;
l’aventure semble être de même nature » (panne sexuelle sur laquelle Nodot
nous a conservé le fragment manquant.) .Il ne s’agit d’aucune partie perdue du
roman en réalité, comme ci-dessus. Nodot laisse à bon droit son manuscrit
continuer.
2 Les interprétations abusives.
Budé,
p. 106, Nodot, p.26 :Exsulem Truphenam, Tryphène
l’ exilée.
Le
mot est intéressant, car il est typique de la manière de Pétrone qui,
souvent, n’est plus comprise
aujourd’hui. Tryphène est une grecque de Tarente au sud de la botte italienne,
en Grande Grèce, qui s’est retrouvée à Naples où elle a rencontré Lichas. Elle
désire rentrer chez elle, dans sa patrie dont elle est en quelque sorte exilée, à Tarente et Eumolpe, la nomme qui cherche à expliquer pourquoi il n’a pas
prévenu Encolpe et Giton qu’elle avait embarqué sur le navire de Lichas, à bord
duquel il avait réservé sa place, la nomme au passage l’exilée, celle qui veut
retourner chez elle, ce qui explique sa présence à bord. La note
d’Ernout : « l’épithète « l’exilée » est obscure, et fait
sans doute allusion à quelque épisode perdu de notre roman ». N’en
rajoutons pas, s’il vous plaît !
Budé,
p. 107, Nodot, p. 35 avec chez Nodot la correction de Juste Lipse gravatim, avec peine, à regret,
pour curvatis des manuscrits,
est bonne : Eumolpe dit que cela ne
se pouvait, « car les grands bâtiments n’ entrent
qu’avec peine dans les ports
Budé, p . 109, Nodot, P .39 : Mea, mihi [manuscrit t, suivi
par Nodot sans autre explication] ou antea , auparavant, de Scioppius, Menelao, bonne correction pour mea. « Texte peu sûr, écrit , Ernout.
S’il est authentique, il ferait allusion à une partie du roman aujourd’hui,
perdue. Certains [Iahn] , au lieu de mea,du manuscrit, lisent Menelao, datif grec de Ménélas, :
« parce que l’expédient a réussi à Ménélas » ; cf. Homère ,
Odyssée, IV, 425 et suivants. »il
s’agit de la ruse conseillée à Ménélas par la nymphe Idothée pour capturer son père Protée. Elle les fait coucher dans des
peaux de phoques, comme Eumolpe propose d’envelopper et de dissimuler ses amis
dans des couvertures.
Budé,
p.125 reprend la supposition de Bücheler sur le personnage d e l’épouse
corrompue de Lichas qui s’appellerait, selon lui, Hédylè tandis que
Nodot, volume 2, p.92, rétablit
le mot moechile, d’origine grecque, commission
d’adultère, en lieu et place de hedile des
manuscrits BLRT(T étant le manuscrit de Tornaesii).
Le
mot mascarpio, budé p ; 164,
avec la note « sens douteux » est pourtant donné par le Gaffiot à partir de manus et de carpo,
masturber..
Budé,
P.100, Nodot, vol. 2, p. 6, ille tot hospitum potionibus liber urceolum fictilem. Il s’agit
ici autant d’un problème de traduction que de texte : liberum , donné par les manuscrits L(Leyde)s (éditin Sambucus) t ( édition tornaesii ) au lieu de liber signifie, comme Nodot l’a bien
vu, libre de contenu, vide ; quant à hospitum,
il faut le supprimer, car est dû à une
haplologie avec le hospitum qui se
trouve quatre lignes plus bas : fit
concursus familae hospitumque ebriorum frequentia,il se produit un
attroupement de valetaille et de clients ivres. Ce qui donne en finale
: ille tot potionibus liberum urceolum fictilem. l’aubergiste
jeta à la tête d’Eumolpe une grosse amphore
(urciolum) en argile (fictilem) vide
à force d’avoir servi à un si grand
nombre de bolées. L’urciolum est une
sorte de dolium, vaste vase de terre
à large ouverture , où l’on conservait le vin dans les cabarets et qui était
bien enfoncé dans la terre pour en assurer la fraîcheur..
Budé,
p. 122, texte de Budé : donec ancilla vini certe ab eo odore
corrupta rectifiée par Nodot, sur la base des manuscrits NdT qui a vini odore et R qui a vini
certe , en vino certe grato odore corrupta , jusqu’à ce que la
servante, troublée sans doute par le bouquet agréable du vin,
Budé,
p. 134, le texte est correct : per ambages deorumque ministeria et fabulosum
sententiarum tormentum. Mais
Ernout traduit : à travers mille péripéties, des interventions divines et
le tourment fabuleux des beautés du style, avec la note : « sens
douteux. L’expression latine est obscure. D’autres entendent »le ressort
des inventions empruntées à la fable »ou encore « les machines fabuleuses
de l’imagination « .Baldwin traduit : the projection of thought
through the realms of imagination ( ?) » [la projection de la pensée
à travers les royaumes de l’imagination]
Nodot
remarque que ambages désigne les
figures de style utiles dans l’épopée, ministeria
deorum le merveilleux paîen avec l’intervention des dieux ; tormentum est une métaphore empruntée à l’artillerie : le mot
désigne au sens propre une machine de
guerre à lancer les traits reposant sur le principe de détente de cordes
préalablement enroulées autour d’un cylindre de façon à élever les
traits ; ici fabulosum sententiarum
tormentum peut se traduire par :
l’emphase faisant appel au mythe
des expressions.
-Budé,
p. 135 : quatre vers qu’il faut
restituer. aes ephyreiacum laudabat miles in unda, le soldat sur l’onde
admirait le bronze de Corinthe . Le manuscrit t et le manuscrit L dans la marge
donne Assyria concham, le
coquillage d’Assyrie ( l’huître perlière de la mer Rouge recherchée pour ses
perles), ce qui donne : concham Assyriae laudabat miles in unda, le
soldat admirait la conque d’Assyrie dans la mer.
Vers
2 : quaesitus tellure nitor
certaverat ostro, l’éclat du minium (vermillon, cinabre, un minerai de
mercure se présentant en cristaux rouge brique, trouvé en Espagne, à Almaden,
et dans la Yougoslavie actuelle, à Ipria) extrait du sol le disputait à la
pourpre du murex tinctorialis
Vers
3 : Budé : hinc Numidae accusant, illinc nova vellera Seres.:
Nodot suit la leçon du manuscrit t et dans la marge du L comme précédemment et
rétablit crustas , au lieu de accusant. D’un côté les Numides exportent des revêtements de marbre, d’un autre les
Sères des toisons nouvelles (la soie). A propos des productions numides, Sénèque (Lettres à Lucilius, 96) , nous apprend que le plus beau ma rbre , le marbre blanc, venait de
Numidie, et, d’une autre source, on apprend que le jaspe, le porphyre en
venaient ausdi. de la province de Pemba Vers quatre , chez Budé ; atque arabum populus sua despoliaverat arva,
corrigé par moi en nemora au sens
poétique d’arbres, et le peuple des Arabes s’était laissé dépouiller de ses
arbres ( à encens et à myrrhe).
Traduction
de Nodot, p ; 129 :
Le
Numide apportait ses marbres les plus beaux,
Le
Sère ses toisons, l’Arabe, en faisceaux,
De
ses champs dépouillés nous envoyait ces plantes
Où
la Nature a mis des odeurs si
charmantes. »
Deux
exemples d’autres traductions en
vers :
« Et
chacun affectait de montrer quelque joie
En
offrant son parfum, son porphyre ou sa soie (Chalvet)
« Le
Numide, le Sère, industrieux marchands,
Caressant
des Romains l’ardeur capricieuse
Leur
portaient du bombyx l’enveloppe soyeuse ;
l’Arabe
, ses parfums qu’il disputait aux dieux » (Eloi Johannot)
-Budé,
p. 167,Nodot p.260 « Texte
très douteux ; Toute la fin de la pièce est corrompue », selon Ernout
qui donne :
digna sacris Hecales, quam Musa loquentibus
annis
Baccineas veteres mirando tradidit aevo ».
Nodot
a sequentibus au lieu de loquentibus et Battiadae veteris [s pour Sambuci et t pour Tornaesiana] mirando au
lieu de Baccineaes veteres mirando. E
donne mirandam, ce qui est la bonne
leçon. , soit : Hécalè, digne de sacrifices que , les années suivantes, la Muse du poète
(correction de veteris en vatis par Daniel) le fils de Battos [ Callimaque, dans son poème
intitulé Hécalè] a transmis à la postérité pour être admirée.
Budé, p. 170 ; Nodot , p . 260, suit à nouveau les
manuscrits P et T sur lesquels reposent,
pour P, l’édition Pithoeana et, pour T,
l’édition Tornaesiana : et
deos et anseres . « Tu pourras, avec ces deux aureus, t’acheter deux
oies et les dieux qui sont offensés. »Notons la correction de Ernout :
duodenos, douze , au lieu de duos.
Selon moi, il faudrait
lire : et duodenos, tu pourras t’acheter même (latin et) une douzaine (duodenos) d’oies avec chaque (distributif) aureus
La haine des jésuites contre
Pétrone: un exemple parmi d’autres.
L’édition détruite en 1798 de Laporte du
Theil.
De La Porte du Theil, membre de l’Académie
des Inscriptions, passa quelque vingt
ans de sa vie à rassembler les éléments d’une édition de Pétrone en 3 volumes :
T. Petronii satyricon quotquot hodie supersunt fragmenta, ad duorum optimae
notae mss. codicum necnon ipsimet tragutiani libri fidem, recensita, in-8.
Son collègue Guillaume- Emmanuel-
Joseph Guilhem de Clermont- Lodève, baron de Sainte-Croix, le pressa vivement
de détruire ses trois volumes qui étaient déjà sous presse et il s’exécuta!
"Edition détruite par le traducteur", dit Cioranescu. La Porte du
Theil était harcelé par tous ceux qui jetaient le doute sur l’authenticité des
fragments.
Comparaison de la fin du
roman dans la collection Budé (Ernout, chapitre CXLI ) et de celle du manuscrit
de Nodot, avec en italique les parties du texte traditionnel et en écriture
normale les nouveautés du manuscrit trouvées à Belgrade :
« … les hommes ne seraient pas pris, s’ils
n’avaient l’espoir de mordre quelque chose. .Le navire d’Afrique qui, selon les
promesses, devait amener ton argent et ttes esclaves, n’est pas arrivé. Les
chasseurs de testaments sont à sec et ont rebattu de leur libéralité. Ou je me
trompe fort, ou notre fortune à nous
tous commence à se repentir de nous
avoir comblés.
Lacune.
[Eumolpe] « Tous ceux qui ont des legs sur mon testament,
sauf mes affranchis, n’en deviendront possesseurs qu’à la condition de découper mon corps en
morceaux et de les manger en présence du peule assemblé.
Lacune.
Chez certaines peuplades, nous le savons, une
loi qui s’observe encore veut que les défunts soient mangés par leurs proches
parents. ; si bien que souvent même les malades se voient reprocher de
rendre leur viande mauvaise . Aussi je
veux avertir mes amis de ne pas refuser ce
que je leur demande, mais de mettre à manger mon corps le même entrain qu’ils ont mis à me souhaiter la mort. »
Lacune.
L’immense renommée
de richesse qui entourait Eumolpe aveuglait les yeux et l’esprit de ces malheureux…
Gorgias était prêt à obéir.
[Eumolpe] « Que
ton estomac se refuse, je n’en ai pas peur. Il t’obéira, si tu lui
promets qu’au prix d’une seule heure de dégoût, il recevra, en compensation,
beaucoup de bonnes choses. Ferme seulement les yeux et imagine que ce n’est pas
de la chair humaine que tu es en train de manger, mais un bon million de
sesterces. De plus, nous trouverons bien quelque sauce capable de changer le
goût ; car il n’est aucune viande qui soit agréable par elle-même :
c’est l’art qui la modifie et la fait accepter par un estomac rebelle.
[Fragment XXIX du manuscrit de Leyde en vers
hendécasyllabiques phaléciens :
Notre vue nous abuse et nos sens incertains, quand la
raison est mise de côté, nous mentent. La tour carrée qui paraît qu conducteur
de char toute proche, se trouve en réalité bien loin des angles
usés par le frottement des roues. L’homme rassasié repousse
le miel de l’Hybla, l’odorat souvent a horreur du fromage. Ceci ne pourrait plaire plus ou moins que cela, si les objets en
litige ne combattaient continûment les sens par le doute.
]
Si tu veux que j’appuie ma résolution par des
exemples, el bien ! En voici. Les
Sagontins , assiégés par Hannibal, mangèrent de la chair humaine, et ils n’attendaient
pas d’héritage. Les Pétéliens firent de même dans une extrême disette, et ils
ne cherchaient rien d’autre avec ces repas que de calmer leur faim. Lorsque
Numance fut prise par Scipion, on trouva des mères tenant contre leur sein le
corps de leur enfant à moitié dévoré.
Lacune.
La fin du roman a disparu.
Voici le texte correspondant du manuscrit de Nodot,
avec en italique le manuscrit de Belgrade: «[C’est Encolpe qui parle] Si
les hommes ne voyaient rien à mordre, ils se garderaient bien d’être jamais la
dupe de l’espérance. C’est aussi pour
cette raison que les habitants de Crotone nous ont traités jusqu’à présent avec
tant de magnificence ; mais à propos, on ne voit point venir d’Afrique
ce vaisseau chargé d’argent et du reste de vos domestiques, dont vous vous êtes
vanté ; et les brigueurs de succession, qui sont presque épuisés, ont déjà
limité leurs libéralités à notre égard, de sorte que si je ne me trompe, nous
voilà retournés pour nos péchés, au malheureux état où nous étions auparavant.
J’ai inventé,
dit Eumolpe, un expédient merveilleux pour tenir ces gens le bec à l’eau ;
et le voici, ajouta-t-il, en tirant des tablettes de sa poche, où il nous lut ainsi
ses dernières volontés :
Tous ceux qui
sont couchés sur mon testament, excepté mes
affranchis [repris par
les textes traditionnels], ne
recevront ce que je leur ai légué qu’à condition qu’ils
couperont mon corps en morceaux et le mangeront à la vue du peuple. Cela ne
doit pas faire tant d’horreur qu’on se l’imagine, puisque nous savons que
certaines peuplades observent la coutume de manger leurs parents après leur
mort, ce qui est cause qu’ils reprochent souvent aux malades que par la
longueur de leurs maladies ils rendent leur chair moins bonne. Par ces
exemples, j’avertis mes amis de ne point s’opposer à mes dernières
volontés ; au contraire, je les prie de dévorer mon corps avec la même
ardeur qu’ils auront souhaité ma mort. »
Comme il
achevait de lire ce premier article, quelques-uns de nos prétendus héritiers,
les plus assidus auprès d’Eumolpe, entrèrent dans la chambre ; et, voyant
qu’il serrait son testament, le prièrent de le leur communiquer, ce qu’il leur accorda
volontiers. Mais, après avoir entendu l’obligation qu’il leur imposait de
manger son corps mort, ils en parurent fort chagrins. Cependant, la réputation
qu’il avait d’être riche, aveuglait
ces misérables, et les tenait si rampants
devant lui qu’ils n’osèrent rien lui en témoigner. Néanmoins, l’un d’eux, nommé
Gorgias, était déjà prêt à tout exécuter,
pourvu qu’il n’y eût pas encore un long
temps à attendre, ce qui obligea Eumolpe à lui dire : « Je n’ai
rien à craindre du côté de votre estomac, car je suis persuadé qu’il fera ce
que vous souhaitez, si vous lui promettez, pour un dégoût d’une heure,la
récompense de tant de biens. Fermez seulement les yeux, et figurez –vous qu’au
lieu de manger les entrailles d’un homme vous avalez cinq cent mille
francs ; De plus, on trouvera moyen d’assaisonner cette chair d’une sauce
qui changera le goût fade qu’elle a naturellement ; car, à parler en
général, toute sorte de viande ne plaît aucunement d’elle-même, mais la manière
de l’accommoder la rend agréable à ceux qui auparavant n’auraient pu la
souffrir.
[Fragment XXIX du manuscrit de Leyde en vers
hendécasyllabiques phaléciens :
Notre vue nous abuse et nos sens incertains, quand la
raison est mise de côté, nous mentent. La tour carrée qui paraît qu conducteur
de char toute proche, se trouve en réalité bien loin des angles
usés par le frottement des roues. L’homme rassasié repousse
le miel de l’Hybla, l’odorat souvent a horreur du fromage. Ceci ne pourrait plaire plus ou moins que cela, si les objets en
litige ne combattaient
continûment les sens par le doute. ]
S’il est nécessaire de prouver ce que je dis par des
exemples, l’histoire rapporte que les Sagontins assiégés par Hannibal ont mangé
de la chair humaine, et ils n’attendaient pas une succession. Les Pétavins
firent la même chose dans une extrême famine et en mangeant d’un mets si
extraordinaire ils ne gagnaient autre chose que de s’empêcher de mourir de
faim. Lorsque la ville de Numance fut prise par Scipion, on trouva des femmes
qui tenaient entre leurs bras les corps
de leurs enfants à demi dévorés. Enfin,
comme il n’y a que l’imagination qui peut donner du dégoût à manger de la chair
humaine, vous ferez vos efforts pour vaincre la répugnance que vous y trouveront,
afin de vous acquérir les biens immenses dont je dispose en votre
faveur. »
Encolpe
débita ces extravagantes nouveautés d’un ton de voix et d’un air si peu sérieux
que ceux qui étaient présents commencèrent à douter de l’effet de ses
promesses. Et dans la suite examinant de plus près nos actions et nos discours
leurs soupçons augmentèrent jusqu’à un point qu’ils furent convaincus que nous
étions des fripons et des voleurs ; Ajoutez à cela que quelques étrangers
nous reconnurent. C’est pourquoi ceux qui avaient fait le plus de dépense
résolurent de se saisir de nous, pour nous punir selon nos mérites.
Mais Chrysis
qui était de toutes les intrigues de la ville me découvrit les desseins des
Crotoniates, ce qui m’épouvanta si fort que je pris aussitôt le parti de
m’enfuir avec Giton, abandonnant Eumolpe à son mauvais destin, et depuis
quelques jours j’ai reçu nouvelle que
ces gens-là , chagrins de ce que ce vieux fourbe avait vécu longtemps en prince
à leurs dépens l’avaient traité « à la Marseillaise ». Pour
comprendre ce que c’est ; vous saurez que , toutes les fois que ceux de Marseille se voyaient
affligés de la peste, un homme de la lie du peuple venait s’offrir aux
magistrats, pour être nourri de viandes les plus exquises pendant un an entier
aux dépens du public ;après cela, on lui faisait faire le tour de la ville, couvert de verveines et d’ornements
destinés aux victimes ;et partout où il passait, le peuple l’accablait de
malédictions, afin que tous leurs maux retombassent sur sa personne; ensuite,
on le précipitait du haut d’un rocher.
«
Gonsali de Salas avait déjà correctement placé à la
fin du roman le texte de son manuscrit, identique d’ailleurs à la
scolie de Servius à l’Enéide, III, 57 : « il
décapite Polydore et s’empare de ses richesses. A quoi ne pousses-tu pas le
cœur des mortels, maudite [auri sacra
fames] soif de l’or ! » Chez
Servius , le mot execrationibus
employé par Pétrone , qui signifie au sens propre serment avec
imprécations contre soi en cas de
parjure, et au sens dérivé de malédictions,
Le fragment I »
conservé par Servius, depuis Massilienses
jusqu’à et sic projiciebatur, fait allusion à la fin d’Eumolpe élevé pendant
un an aux frais du public avant d’être tué selon la coutume pratiquée par les
Marseillais pendant les épidémies de peste. Le mot projiciebatur pouvait, dans la citation de Servius, être compris comme « était banni », mais
grâce à l’adjonction des deux mots de
rupe du manuscrit de Nodot, il y
a normalisation par rapport au reste du texte qui exige la mort de la victime : elle était
projetée du haut du rocher: était-elle
mangée ? le texte ne le dit pas. Faut-il supposer une suite perdue ?
D’ailleurs, le fragment XXIX conservé par le manuscrit de Leyde nous y invite.
Même si Encolpe et Giton déclarent abandonner Eumolpe
à son mauvais destin dans le manuscrit de Belgrade, n’importe quel scénariste,
même subventionné, devrait être capable de
trouver une échappatoire pour Eumolpe : par exemple,
les amis d’Eumolpe lui font absorber un peu de satureion qui provoque chez lui un priapisme persistant. Ils crient au prodige
et déclarent qu’il serait sacrilège
d’immoler une personne que le dieu Priape a ainsi
distinguée. Sauvé, mais pauvre, il lui
faut inventer par la suite un nouveau
stratagème : justement, une
épidémie de peste se déclare réellement
à Crotone, Eumolpe se porte volontaire pour… être nourri durant un an
aux frais des Crotoniates, à la façon des Marseillais. Pour quelqu’un qu’on prétend habile à forger et à inventer de quoi combler
les lacunes du Satyricon, Nodot ne
semble pas s’être montré très
imaginatif ; il faudrait comparer
ce pseudo- dénouement avec Galaup de
Chasteuil.
Conclusion
Aujourd’hui, il existe
plusieurs possibilités pour qui veut lire le Satryricon ; indépendamment des Romans latins de la Pléiade, de Pierre Grimal et de Ernout dans la collection Budé, peu
intéressants et bien chers pour le lecteur, la possibilité la moins onéreuse
est Google Books, gratis, malgré les obstacles que dressent la France et la
Bibliothèque nationale, prétendant qu’il y a un droit d’auteur (pour Pétrone, il y a 2000 ans ?) ou au
moins d’éditeur (pour Pétrone ?), disons plutôt pour le gardien de
certains exemplaires et le défenseur de l’argent vite gagné. Il y a aussi, et
c’est le plus sûr et le plus facile, sur
Abebooks, à partir des USA, des ebooks qui permettent de recevoir par
email les 2 volumes pour 8 € environ
chacun plus le transport..Pour 30 euros environ le volume (et il y en a deux), broché, plus le
transport, les ebooks imprimés à la demande et venant des
Etats-Unis, du Canada, du Royaume –Uni, voire d’Italie, sous le titre : Petrone latin et français, volume I ou II,
traduction entière suivant le manuscrit trouvé à Belgrade en 1688.
On peut parler de trahison
des clercs quand on voit que le déni français de Nodot, sans même avoir étudié
le texte, à abouti à la lecture à l’étranger de la traduction de Nodot et au
discrédit des éditions françaises.
De ce qui précède, il me
semble que le manuscrit de Belgrade, comme celui de Gonzali de Salas, a bien existé ;
qu’il n’est pas logique d’admettre dans l’apparat critique de la collection
Budé des variantes provenant d’éditions dont les manuscrits ont disparu comme
celle de Pierre Pithou et de et de dénier ce même droit à François Nodot ,
alors que qu’il en a été le fidèle
dépositaire.
Aujourd’hui, la meilleure
édition du Satyricon serait donc de rééditer
l’édition de Nodot sans le texte latin, (c’est ce qu’ont fait les Anglais en
publiant la traduction anglaise seule de Nodot), , mise en français moderne, avec les vers de
Pétrone traduits en prose, précédé d’une
préface reprenant l’introduction du premier volume de Nodot
sur C. Arbiter Petronius et sur la comparaison avec Néron, de façon à le rendre accessible à un public relativement vaste. Une collection
comme Bouquins serait tout indiquée, me semble-t-il. On pourrait y ajouter le
texte français inventé par Galaup de Chasteuil pour combler les lacunes de la tradition,
particulièrement licencieux, texte manuscrit qui dort dans les manuscrits de la
Bibliothèque Nationale, mis facétieusement par Alexandre Johanneau sous le nom
du chaste janséniste Chalvet (voir mon
blog Qui est l’auteur des Fragmens du
derniert voyage de Lapérouse ?).
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