Nerval et ses énigmes
Gérard de Nerval est un auteur hérmétique, et les
professeurs de Khagne (Madame Jeanne Genaille , « Sur El Desdichado », Revue
d’Histoire Littéraire, janvier- mars 1960, « Balzac, Nerval et
Aguado », Revue d’Histoire
Littéraire, juillet-. septembre 1961,
Sylvie Lécuyer La généalogie fantastique de Nerval… ) se sont disputés pour
l’exégèse de ses neuf sonnets intitulés Chimères ou des 9 Autres
chimères. Les gloses et les variantes des manuscrits sont importantes pour
tenter de percer le sens de ces sonnets.
Le pseudonyme de Nerval et son prénom, Gérard .
Le nom du clos Nerval à qui
Nerval a pris son nom, vient du latin nervalis,
plantain. ainsi appelé à cause des cinq nervures de la feuille, mais le poète préférait,
naturellement, le faire dériver du nom de l’empereur romain Nerva. On trouve aussi
ce nom en Normandie. Le grand-oncle maternel de Gérard Labrunie, Pierre- Charles Laurent, possédait à Mortefontaine, à moins d’un
kilomètre de Loisy, commune de Ver- sur
– Launette, un terrain de 51 ares appelé
le clos de Nerval.
Le poète tient son
prénom Gérard de son parrain , Jean- Marie- Gérard Dublan, frère de la mère de son
père.
Deux sonnets parmi les
moins étudiés et les plus obscurs : Delfica
et Erythrea
Les personnes
auxquelles Nerval a dédié ses sonnets
Une remarque d’abord : ce sont toutes des femmes.
J_y Colonna, Jenny
Colon, ainsi rattachée à Francesco Colonna, l’auteur du Songe de Polyphile.
Louise d’Or…, reine,
non pas Louise d’Orléans, comme on pourrait le penser, mais la reine Hortense
de Beauharnais.
Hélène de
Mecklenbourg, la belle-soeur d’Hortense.
Madame Sand,
George Sand.
Madame Ida Dumas,
la femme d ’Alexandre Dumas.
Madame d’Avogado.
Nous la connaissons grâce à Madame J. Genaille (j’ai été
élève de Robert Genaille en khagne au Lycée Louis -le- Grand) et à son article « Balzac, Nerval et
Aguado », Revue d’Histoire
Littéraire, juillet- septembre 1961.
Son mari Alexandre- Marie Aguado était
un banquier. Le fils aîné d’Alexandre et de son épouse Carmen, Jean Manuel
Aguado , est attaché à la légation de France à Vienne ; il aime
le théâtre comme Nerval ;mais la
mort du jeune marquis , loin de ses parents,
survient subitement le 12 avril 1842 au milieu des neiges de Gijon dans
les Asturies .C’est elle qui donne
lieu à l’envoi de ce sonnet.
Deux sonnets parmi les moins étudiés et les plus obscurs : Delfica et Erythrea
1 Delfica
Il existe de ce sonnet 4 versions : A J_y Colonna, A Madame Aguado,Erythrea,Myrthô.
Dans Delfica, le
premier vers
La connais-tu, Dafné,
cette ancienne romance…pose le problème du sens de l’apostrophe à Dafné.
Les commentateurs ont cru qu’il
s’agissait de la nymphe Daphné poursuivie par Apollon et transformée en laurier
pour échapper à ses assiduités.Mais Nerval avait pour ami intime Eugène de Stadler qui avait écrit une pièce antique en vers avec choeurs, Le bois de Daphné,dont l'action se passe en Syrie près de la ville de Daphné, consacrée à Apollon. La pièce, dit Nerval, traite "de la décadence", disons plutôt du passage du paganisme au christianisme: le préfet Paulus, amoureux éconduit d'Hélène, qui, à l'inverse de la nymphe Daphné, est amoureuse d'Apollon avant de préférer à Apollon et au préfet Paulus le chrétien Attale. Paulus, reconnaissant sa défaite, s'écrie :"Ah!Le monde s'éteint!". A quoi Attale rétorque :"Non! Le monde se lève!". Selon moi, Nerval s'adresse, sous le nom de Daphné ,au personnage d' Hélène dans la pièce ,prêtresse d'Apollon,car , dans son bois,Daphné assiste à la rebuffade essuyée par le préfet amoureux d'Hélène , préfet qui s'est déguisé en Apollon pour tenter de plaire , -en vain, -à sa belle.
Mais Daphné peut aussi être cette ville de Haute- Egypte, que Vigny a donnée pour titre en 1837 a un roman (qui ne sera publié qu’en 1912), dont le thème est similaire . L’action se passe à Daphné, en Syrie près d’Antioche pareillement, lieu de retraite du sage Libanios . Antioche , au IVe siècle ap. J.- C., se trouve déchirée par les luttes religieuses entre les chrétiens, représentés par Jean Chrysostome et Basile de Césarée, et les païens, défendus par le sage Libanios, ami de l’empereur Julien ; ce dernier veut rétablir le polythéisme ; mais Libanios condamne son entreprise : il pense que les dieux païens sont morts. Pour Nerval, le paganisme enveloppe l’esprit nouveau, l’esprit de Napoléon aussi bien que les religions perse et indienne. Le message du sonnet est que l’histoire est un éternel retour, un perpétuel recommencement et que les dieux païens, peut-être sous la forme d’un descendant de Napoléon, vont revenir. La transmigration des âmes chère à Pythagore et au bouddhisme ressuscitera aussi les histoires d’amour. Jenny Colon revivra sous une autre forme.
Mais Daphné peut aussi être cette ville de Haute- Egypte, que Vigny a donnée pour titre en 1837 a un roman (qui ne sera publié qu’en 1912), dont le thème est similaire . L’action se passe à Daphné, en Syrie près d’Antioche pareillement, lieu de retraite du sage Libanios . Antioche , au IVe siècle ap. J.- C., se trouve déchirée par les luttes religieuses entre les chrétiens, représentés par Jean Chrysostome et Basile de Césarée, et les païens, défendus par le sage Libanios, ami de l’empereur Julien ; ce dernier veut rétablir le polythéisme ; mais Libanios condamne son entreprise : il pense que les dieux païens sont morts. Pour Nerval, le paganisme enveloppe l’esprit nouveau, l’esprit de Napoléon aussi bien que les religions perse et indienne. Le message du sonnet est que l’histoire est un éternel retour, un perpétuel recommencement et que les dieux païens, peut-être sous la forme d’un descendant de Napoléon, vont revenir. La transmigration des âmes chère à Pythagore et au bouddhisme ressuscitera aussi les histoires d’amour. Jenny Colon revivra sous une autre forme.
Le mot romance selon Littré est : « ancienne histoire écrite en
vers simples et naïfs » ou bien « une chanson tendre et
plaintive ». Nerval joue sur les deux sens :
Ils reviendront ces dieux que tu
pleures toujours !
Le temps va ramener l’ordre des anciens jours ;
La terre a tressailli d’un souffle prophétique…
Cette ancienne romance…
Cette chanson d’amour qui toujours recommence
Deuxième vers
Reconnais-tu le TEMPLE au péristyle immense… ?
F. Constans, dans « Daphné
et le retour des Dieu », Revue
d‘histoire littéraire juillet- septembre 1958, p. 354, a suggéré que le temple au péristyle immense n’en était pas un ; c’est la basilique Saint Pierre, bâtie, précise Richer,dans
son magistral ouvrage Nerval, expérience et création ,sur
l’emplacement d’un temple d’Apollon, ce qui montre la continuité des religions.Mais ce pourrait être le Temple de Jérusalem rebâti en l'honneur de Jupiter par les Romains sur l'emplacement du temple de Salomon et de son immense esplanade. de toute façon, la continuité desvreligions est étable dans un cas comme dans l'autre.
Et les citrons amers où s’imprimaient tes dents
« La notation, écrit Richer,
« paraît aussi dans Voyage
d’Italie : « la fille blonde qui mange des citrons. »On peut
la rapprocher de Graziella (1849,
édition Folo, Jean-Michel Gardair), Lamartine écrit : « Elle alla
m’acheter des oranges. Elle en mordait l’écorce à belles dents pour en enlever
la peau et pour en faire jaillir le jus dans mon verre en les pressant avec les
doigts » (Chap. II, p. 113).
Et la grotte, fatale aux hôtes imprudents,
Où du dragon vaincu dort l’antique semence ?
La grotte au dragon apparaît déjà dans la traduction
versifiée que Toussenel
a donnée de La Chanson de Mignon, que
Nerval a publiée en 1840 à la suite du Second
Faust et dont il s’est inspiré ici :
Connais-tu la contrée où dans le noir feuillage
Brille comme un fruit d’or le fruit du citronnier,
Où le vent d’un ciel bleu rafraîchit sans orage
Les bocages de myrte
et les bois de laurier ?...
Connais-tu la maison, le
vaste péristyle
Et la sombre caverne
où dort le vieux serpent ?
Il s’agit de la
grotte jadis appelée la Dragonaria ,
que Nerval évoque encore en ces termes
dans Anteros :
Je ressème à ses pieds
les dents du vieux dragon
Cette grotte est située
près de Naples, dans le paysage infernal des Champs
phlégréens : elle est appelée aujourd’hui la Grotte du chien, à cause des émanations toxiques qui s’y accumulent
près du sol et asphyxient l’enfant ou le chien imprudents. Le dragon qui a donné à la grotte son nom ancien, la
Dragonaria, est celui que Cadmus a
tué : Nerval a peut-être rapproché le nom de ce fondateur de Thèbes
du nom de la colonie grecque
voisine de Naples, Cumes, en latin Cumae,
de Cudmae .Cadmus avait semé les dents dans la terre et de ces dents
jaillirent des guerriers tout armés qui se tuèrent tous sauf cinq.
Dans la pièce de
Lamartine, Tristesse (1849), on
relève aussi un souvenir de la Chanson De
Mignon :
Là sous des orangers, sous la vigne fleurie,
Dont le pampre flexible au myrte se marie…
Lamartine, dans Graziella, chapitre premier, cite Corinne (II, chap.3 : Connaissez-vous
cette terre où les orangers fleurissent ?) et Goethe : Kenst du das Land,
wo die Zitronnen blühn… ?, Connais-tu cette terre , où les citronniers
fleurissent ? devenu chez Lamartine : Connais-tu cette terre où les myrtes
fleurissent ?
Cependant, la sibylle au visage latin
La sibylle au visage latin est
celle de Cumes, celle qui fournit son titre au sonnet, Delfica, car la sibylle de Cumes est identique à celle de Delphes
Est endormie encor sous l’arc de Constantin
Constantin est l’empereur romain
qui reconnaît le christianisme comme religion officielle du pays. L’arc de
Constantin est un des principaux monuments de Rome.L’arc de triomphe est celui du christianisme sur les dieux païens.
-Et rien n’a dérangé le sévère portique
Ce « sévère portique », qu’on retrouve dans Erythrea et dans Myrthô, est,
nous indique F. Constans, op. Cit, celui
des Dii consentes, découvert l’année
même du passage de Gérard de Nerval à Rome.
Variante de Erythréa :
Cependant la Prêtresse
au visage vermeil
Est endormie sous l’Arche
du Soleil ;
Et rien n’a dérangé le sévère portique.
Erythrea
On trouve dans A
Madame Aguado des variantes. Au lieu de
MADHEWA ! Fais flotter tes voiles sur les eaux !
on a
Lanassa ! Fais
flotter ton voile sur les eaux !
Voici les gloses de Nerval :
Ben-Arès, la fille
de Mars ;
Vautour, Typhon ;
Patani, Patna ou
hiéro-solime, la ville sainte
Mahdéwa , Mahadoé la
Zindovère
Cathay,
Thibet,
Prêtresse, Amany
A La rencontre en 1838 à Paris de Nerval et de Gautier avec
trois bayadères indiennes en tournée, dont l’une s’appelle Amani.
Nous disposons de trois
articles,l’un de Nerval signé G-D, texte 57 de La vie du théâtre, « Les Bayadères à Paris ».les deux
autres de Gautier. Il faut y ajouter un compte rendu du Messager du 29 août 1838 signé L. G. (Labrunie Gérard) :
« Ce que l’Orient a de plus
étonnant et de plus frais, toutes ces diverses beautés des Mille et Une Nuits, joyeuses bandes de
fées aux écharpes flottantes, les reins nus, nous est arrivée comme une troupe
égarée de colombes….Elles s’agenouillent, elles font voltiger leurs étoffes,
elles lancent leurs beaux regards de flamme, qui ressemblent tantôt à la
douceur de l’amour, tantôt à la fureur de la haine, elles éclatent avec des
poignards [cf. la glose de Gérard : Ben
-Arès, la fille de Mars,- le dieu de la guerre], elles se calment et se
radoucissent en formant par leurs danses gracieuses, infinies, de charmants
dessins de colombes, comme elles, et puis elles se redressent avec toute la
fierté sauvage de Diane, et elles semblent en proie à un oracle ou à un
délire. »Dans l’article de Nerval « Les Bayadères à Paris ».le
poète nous décrit le pas des colombes
(les ramiers du sonnet) : « Amany, la plus grande d’entre elles,
a paru au milieu de la salle, entre Saoudiroum et Ramgoun [sans doute une
danseuse birmane ], qui n’ont pas cessé de tourner sans changer de place, en
façonnant chacune entre leurs doigts une longue écharpe grise qui devait
représenter, à la fin des pas, une colombe perchée au sommet d’un palmier.
Pendant ce gracieux travail, Amany
jouait, chantait et dansait une sorte de monologue poétique, lyrique et
chorégraphique qui sera, si l’on veut la complainte de la Sulamite [ la bien
–aimée du le Cantique des Cantiques
prêté par Nerval à Salomon], le
monologue d’Ariane délaissée [ par Bacchus, Catulle,64, vers 132-201 ), ou
plutôt encore le chant de la reine de Saba , Balkis attendant l’arrivée tardive
de l’oiseau Hud-Hud [une huppe] , messager de ses amours… La scène
finie, les deux jeunes filles, qui n’avaient pas cessé de tourner sur
elles-mêmes avec une extrême rapidité, nous ont apporté chacune leur
ouvrage : l’écharpe grise qu’elles roulaient dans leur doigts avait pris
la forme exacte d’un pigeon posé sur un tronc, d’où sortaient de larges
feuilles formées par les bouillons de la gaze : le pigeon était fort
solidement figuré par l’étoffe tordue, avec son bec, ses ailes, sa queue…
Un détail charmant, c’est la petite veste tressée d’or et de perles, brodée de
feuillages et de serpents, qui enferme exactement leurs seins et laisse tout le
reste du buste à découvert jusqu’aux hanches. »
Le condisciple de Gérard au Lycée Charlemagne, Théophile
Gautier, dans « Les devadasis dites bayadères » (la Presse du 20 août 1838, texte repris
dans Caprices et zigzags, puis dans
le tome II de L’Orient, cité par
Richer) , complète la description en nous expliquant le côté bleuâtre (azur, saphir) : « entre cette
brassière et le pantalon, il reste un assez grand espace entièrement nu , et
qui n’est pas le moins paré. On ne saurait rien voir de plus charmant que cette
peau blonde et dorée, si lisse et si
tendue qu’on la prendrait pour un corset
de satin, et sur laquelle la lumière joue et frissonne en luisants bleuâtres. »
L’or bruni d’Erythréa et de A Madame Aguado renvoie certes au nom du poète, Labrunie et à la
couleur brun –jaune des bayadères indiennes, mais aussi à Catulle, poème 64, vers
100 : « Que de fois Ariane [délaissée, frappée par l’archer Amour ou
Cupidon à qui le poète dit : Prends ton arc et revêts ton corset d’or
bruni] est devenue plus pâle (expalluit) que l’or aux brillants
reflets et poème 81, vers 4 : plus
blafard (pallidior)qu’une statue
dorée ; la note de l’édition Budé précisant : « L’or frappé par
la lumière a des reflets brillants, mais il n’a pas pour cela la couleur de la
vie ; les gens bien portants ne sont pas jaunes. »De même pour le
visage vermeil de la prêtresse (le
vermeil est de l’or sur de l’argent).
En 1855, Gautier révélera la pendaison de la bayadère au
cours d’un accès dépressif, ce qui
évoque pour nous la pendaison de Nerval.
Gautier a écrit, en hommage à cette danseuse, le livret d’un ballet dérivé du
drame d’un poète indien, Kallidesa :
Sakontala ou l’anneau fatal. . Telle
est l’une des sources d’inspiration du ballet de Petipa La Bayadère, mais il existe aussi pour ce ballet une autre source :
Le dieu et la Bayadère, ou La Courtisane amoureuse, opéra-ballet de
Taglioni ; c’est Scribe qui en a écrit le texte d’après un poème de Goethe
traduit par Nerval, Der Gott und die
Bajadere.
B Les réminiscences
littéraires.
1 Ariane et Catulle :
« La couche nuptiale
destinée à la déesse [Thétis] se
dresse au milieu du palais ; ornée avec les défenses de l’animal indien,
elle est couverte d’un tissu de pourpre,
imprégné du suc de rose qu’on doit à un coquillage [le murex tinctorialis qui donne cette pourpre de Judée ainsi que les
fleurs de pourpre évoquées par le poète].
Ce voile … retrace les hauts faits des
héros…[Lorsque ArIane se rend compte que Thésée l’a abandonnée, ]elle
rejette les ornements qui la
paraient :] plus de bandeau dont le fin tissu retienne sa blonde
chevelure, plus de voile léger qui
couvre sa poitrine mise à nu… Tous ces ornements ont glissé de tout son
corps ! Épars aux pieds de la jeune femme, ils servaient de jouets aux
vagues de la mer. Mais elle n’a plus
aucun souci de son bandeau, ni de son
voile emporté par les flots. »
2 Jean-Paul Richter
Dans L’éclipse de lune,
pièce traduite par Nerval (citée par Richer), le Vautour Typhon dit à Eve : « Je veux
t’enlever tes filles, Eve ; je rassemblerai les blancs papillons sur la fange des marais. » Pour Richer,les papillons
désignent les âmes, les psychè.
3 Hugo et le pantoum
malais de la colombe de Patani.
Gilbert Rouger , dans « En marge des Chlmères », Cahiers du Sud, n°292, 1948, a rapproché notre sonnet d’un pantoum
malais, traduit par Ernest Fouinet et cité par Hugo dans une note des Orientales, à Nourmahal-la-Rousse :
Les papillons
jouent à l’entour sur leurs ailes…
Ils volent vers la mer, près de la chaîne des rochers…
Le vautour dirige
son essor vers Bandam…
Et laisse tomber de
ses plumes à Patani.
Bandan est une altération de Patan, qui existe à l’est de
Bénarès. Quant à Patani, nom d’un
royaume en Malaisie, ce qui est normal pour un pantoum malais, Nerval l’a glosé par
le nom d’une autre ville, indienne cette fois, au nord-est de l’Inde
« Patna, ou Iero -solyme,
la ville sainte » , rapprochant
le nom de Patna du védique patnî , grec homérique potnia, maîtresse.
4 L’Atlantique.
La neige du Cathay tombe sur l’Atlantique.
Le Cathay, ainsi qu'on appelait jadis la ville de Canton, puis par extension la Chine , est glosé par le Thibet, avec un h, soit. Mais
attention ! car pour Nerval,
il ne s’agit pas du Tibet,il s’agit du Tebet,
c’est-à-dire du Yémen, de l’Arabie heureuse, où , d’après la Bibliothèque orientale d’Herbelot, régnaient
des rois appelés tobaï (dérivant leur
nom de Typhon). Quant à l’Atlantique,
selon M. Larroutis, « Une énigme nervalienne : Erythrea », Revue d’Histoire Littéraire, juillet- septembre 1959, p.367, se
référant à l’Essai historique et critique
sur l’Atlantique des Anciens de Frédéric-Charles Baer, c’est un autre nom pour la mer Erythrée . Il y avait étrangement
deux Ethiopies pour les anciens, une Ethiopie occidentale au bord de
l’Atlantique et une Ethiopie orientale, la nôtre, toutes deux au bord d’un océan Atlantique qui faisait le tour de la terre. La
vraisemblance géographique grâce au Yémen et à la mer Persique est rétablie.
C Les trois mystères :
1 Mahdewa (ou
Mahadoé) et Erythrea.
Erythrea est la seconde sibylle de Nerval, non pas selon
moi celle d’Erythrée sur la presqu’île de Clazomène en Ionie, comme le pense
Richer, mais la sibylle indienne
d’Erythrée .où régna Erythras , Rudiras, le rouge, le sanglant en sanskrit , selon Pline, 6, 107 , ou Erythrus selon Quinte-Curce, 8, 9, 14,
qui ajoute que seuls les ignorants peuvent croire que la Mer Rouge, Erythraeum mare (golfe persique ,
mer Erythrée) doit son nom à sa couleur
alors qu’elle le doit à ce roi Erythrus . Le nom de la ville, Erythrae, est parfois francisé en
Erythres. Quand Martial parle de dens
Erythraeus, il évoque la défense de l’éléphant indien.
Où se trouve cette
sibylle d’Erythrée ? Shiva
est la déesse de la danse et
l’un de ses noms est Maha-déwa, la
grande déesse : les bayadères représentaient dans leur danse la toilette
du dieu Shiva. L’un des avatars de Shiva
est Rudhiras (Erythras chez Pline,
latin Libera, italique Loubera,
autre nom de Proserpine, la déesse des Enfers,cf. Libitina,déesse des morts et Liber,Liberi, autre nom de Dionysos), Rudra,
le rouge, le sanglant. La ville d’Erythrées est aujourd’hui le village de Mahahadeva dans le district de Babanki sur
les rives du Ganghra, avec le temple de Lodheswar Mahadev Mandir, où lodhes
–war , la demeure de lodhes , renvoie
à Rhaudes-war ou Rhudesvar, Rudhras, le
sanglant. La divinité adorée dans ce temple est une des plus rares des 52
shivlings et cet ancien temple est mentionné plusieurs fois dans le Mahabharata. Il y existe un puits sacré
à l’eau miraculeuse, et, à l’occasion
des Mahashiratri, des millions de
fidèles y affluent en pèlerinage.
Au début de la traduction par Nerval du poème de Goethe Le dieu et la bayadère, il évoque Mahadoé (même orthographe que dans la
glose de Mahadéwa) comme le maître de la terre, abusé sur le sexe du dieu.
2 Mahadoé la Zundovère, énigme résolue.
« Nous pensions
encore, écrit Nerval, à la Zundovère (sic pour Zindovère, ange brahmaniste : Nerval vise, comme le
montre la suite , Laila Rouch)) de
Thomas Moore, à Lalla Roukh [titre d’un recueil de poèmes de Moore], cet ange transformé … » « Gérard,
écrit Richet, fait alors « de Mahdéwa une déesse ou une héroïne, puisqu’il
explique ce nom par une obscure allusion à Thomas Moore (elle-même résultat
d’une autre confusion !) : « Mahadoé la Zindovère ». Et
Richet commente (note 46, p.206) :
« Nos recherches sur la provenance du mot zindovère (ou Zundovère) et sur sa signification sont demeurées
infructueuses. » Mais zindovère ou zandovère ou glandovère , au sens
d’ange féminin sous les ordres de la femme de Brahma, Sarhazie, figure, p.14, dans le roman- poème La fiancée de Bénarès , nuits indiennes (1825), de Philarète Chasles, auteur qui avait demandé des renseignements sur
l’Inde à Thomas Moore (d’où la confusion de Nerval).Nerval s’adresse à la
bayadère en l’appelant mahdhéwa, Mahdoé la zindovère selon sa glose,
c’est-à-dire grande divinité (maha et dewa) et ange céleste brahmaniste. La variante sur le courant des
ruisseaux fait allusion, non au Gange, mais à des rivières qui donnent leur nom
à la ville sacrée : l’Assi et la Varuna.
2 Lanassa : énigme
résolue
Dans la variante,peut-être antérieure, Nerval ne se set plus
pour apostropher la bayadère du nom de Mahdéwa
ou de Zindovère, mais de Lanassa .
Lanassa est est le nom grec de la femme de Pyrrhus. Or, la bayadère est représentée dansant une danse des poignards. La pyrrhique est une danse qui se faisait
les armes à la main, selon Littré. Peu importe son étymologie véritable :
Nerval l’a rapportée à Pyrrhus,
l’époux de Lanessa, de là l’intervention
de cette reine d’Epire dans le sonnet, rejoignant la glose Ben-Arès,fille
d’Arès.
Le dernier tercet :
Cependant la Prêtresse au visage vermeil
Est endormie encor
sous l’Arche du Soleil …
a obligé Nerval à mettre en italique le mot prêtresse (la bayadère est , non
seulement une danseuse, mais une servante de Shiva) et à remplacer l’arc de
Constantin de Delfica , spécifique à
Rome, par un élément du décor du ballet, l’Arche du Soleil.
El Desdichado
Le
Destin, premier titre, remplacé par El Desdichado, le déshérité.
« Ainsi, moi, le brillant comédien naguère, le prince ignoré, l’amant
mystérieux, le déshérité, le banni de
liesse, le beau ténébreux, adoré des
marquises comme des présidentes, moi, le favori bien indigne de Madame
Bouvillon, je n’ai pas été mieux traité que ce pauvre Ragotin, un poétereau de
province, un robin ! », écrivait Nerval dans sa préface des Filles du feu dédiée à Alexandre Dumas. Le
banni de liesse fait allusion à Jean
Meschinot (né vers 1420), tandis que Madame Bouvillon et le comédien Ragotin sont
des personnages du Roman comique de Scarron, où
le héros se nomme Le Destin et où l’héroïne,
une actrice, se nomme l’Etoile !
El Desdichado est le
chevalier anonyme qui paraît au
chapitre VIII du roman Ivanhoé [prononcez,
s’il vous plaît !aïvanê] , de Walter
Scott, avec cette devise . J. W. Kneller dans « The Poet and his moira » (Publications of the modern languages Association of America,
septembre 1960) a précisé à son propos (cité par Richer, p. 573): “Il apparaîtra
plus tard que le chevalier en question est Wilfred d’Ivanhoé… La cause véritable de son désarroi
est un conflit avec son père Cédric,
qui a deux causes principales, premièrement, le fait « qu’il s’est
abaissé à conserver comme vassal féodal [du
roi Jean] le domaine même que ses pères
possédaient de droit libre et indépendant » (chapitre XIV) ;
deuxièmement, ce qui est plus important encore, il est tombé amoureux de Lady
Rowena, la pupille de Cédric, que son
père destinait à Athelstane de Coningsburgh (chapitre XVIII). Le malheureux
jeune héros, banni de son fief ancestral et auquel l’amour d’une belle
maîtresse est interdit par un père intransigeant et désapprobateur, est une
variante du thème d’Œdipe relevé par C.
Mauron [ Voir Des métaphores obsédantes
au mythe personnel, introduction à la Psychocritique]dans les écrits de
Nerval. »
Le Ténébreux est Beltenebros,
cité par Nerval dans la préface des Filles
du feu, amoureux d’Oriane qui le repousse dans le roman Amadis de Gaule de Montalvo. .
Le veuf est glosé Olim (en latin : jadis), Mausole ?,
suivi d’un point d’interrogation, car le poète s’est demandé si c’était
Mausole ou sa femme et sœur Artémise qui
avait fait édifier le mausolée d’Halicarnasse, une des sept merveilles du
monde. On pense que Artémise II , qui
survécut deux ans au satrape de Carie
, se contenta d’achever le monument que
son mari avait fait édifier pour lui-même ; de toute façon,les restesde sa
femme n’y reposent pas. Aussi le pont d’interrogation est-il justifié ;
c’est Artémis qui est veuve , non Mausole, comme la princesse des Ursins.
L’inconsolé, avec
la glose barrée par Nerval Le prince mort,
nous montre qu’il s’agissait au départ ,
dans l’esprit très confus, du poète , du duc de Montmorency et de la princesse des Ursins . Après la décapitation de son mari , le duc de Montmorency, celle-ci se retira au couvent de la Visitation de
Moulins et y fit dresser un très beau monument.
Voici une traduction de la magnifique épitaphe en latin du monument de Moulins :
« A Henri II, le dernier et le plus grand des ducs de Montmorency, pair,
amiral, maréchal de France, la terreur des ennemis, l’amour des siens ;
Marie- Félicie des Ursins, de race romaine, son unique
épouse, qui, des immenses richesses de son époux, n’estima, vivant, que son
amour, et, mort, que ses cendres, après 18 années passées dans l’union la plus
heureuse ; au mari incomparable dont elle n’a jamais pu rien déplorer que la mort, -comme gage de reconnaissance, -a
édifié ce monument, l’an de salut 1682 et de son deuil le vingtième. »
Telle lettre de Nerval à Paul Bocage du 14 mars 1841 nous renseigne sur la confusion d’esprit
de Nerval à propos de Jenny Colon et de Marie- Félice : «Sy vous voyez
(par hazard) la D-a (domina)Scta)(Sancta)Collumba
di Palma(G. S-d)[George Sand, maîtresse Sainte
-Colombe , nom donné par Nerval à la femme qui dirigeait l'asile d'aliénés où il se trouvait alors et qu'il applique ici à George Sand , mentionnant ses amours à Palma aux Baléares avec Chopin], dites-luy que j’ai
à luy parler pr affr de famille et à l’occasion de la mt [mort, en1666!] d’une coustuyne (cousine)
éloignée di Rioma, M(arie) V(euve) L.[Labrunie!] d’O-li-bi
[d’Orsini]Ursulyna (des
Ursins) », « la plus folle des lettres de Nerval », commente Richer.
Ursins) », « la plus folle des lettres de Nerval », commente Richer.
Le prince d’Aquitaine :
bien qu’on ait proposé de nombreuses autres identifications : Waïfre
(Mounir Hafez), Richard Cœur de lion
(Madame Genaille), le Prince Noir, je pencherai pour Gaston III de Foix, dit Phébus,
que nous retrouverons dans la suite du
sonnet : Suis-je Phébus (l’amoureux
d’Agnès séparé d’elle par de hautes montagnes) ? Nerval nomme Gaston de Foix dans un autre sonnet des Chimères, A Madame Sand :
« Ce roc voûté
par art, chef d’œuvre d’un autre âge,
Ce roc de Tarascon
hébergeait autrefois
Les Géants descendus
des montagnes de Foix,
Dont tant d’os
excessifs rendent sûr témoignage »
sonnet de Du Bartas, retouché par Nerval, évoquant
Tarascon-sur-Ariège et sa grotte de Niaux avec les géants de la préhistoire
gravés sur ses parois : cerfs mégacéros, mammouths laineux etc.]
O seigneur Du Bartas !
Je suis de ton lignage [Guillaume Du Bartas, originaire de
l’Armagnac :Nerval s’était occupé de publier un recueil de ces poètes
oubliés du XVIe siècle]
Moi qui soude mon vers
à ton vers d’autrefois :
Mais les vrais descendants
des vieux Comtes de Foix
Ont besoin de témoins [Nerval]pour parler dans notre âge.
Gérard signe la lettre à George Sand contenant ce sonnet Gaston Phoebus d’Aquitaine.
A la tour abolie :
depuis la décision de Richelieu, les
tours et châteaux ont été détruits, y compris ceux de la famille de Nerval. A quelles
tours songeait le poète ? Aux trois tours d’Agen (les Labrunie habitaient
l’une d’elles, la Tour des Pénitents blancs, détruite en 1856), aux trois tours
de la Dordogne jadis possédées par les trois frères germaniques chevaliers
d’Othon qui fondent sa famille,savoir Coux –et- Bigaroque , Pardoux –et-
Vielvic près d’Urval (Il se trouve un
hameau dit de la Brunie dans chacune
de ces communes) ,et Les Prades (Prades près de Foix ?ou Prayssac ? )
et aux trois tours d’Orthez construites ,
pour l’une d’entre elles au moins, par Gaston de Foix .
Ma seule Etoile est morte,
L’Etoile est évidemment Jenny Colon, morte en 1844.
-et mon luth constellé
Le Dauzat dit que le vocable constellation
apparaît d’abord, en 1265, au sens de groupement
d’étoiles déterminant un horoscope et que c’est un terme d’astrologie : on le retrouve dans l’Histoire de Geoffroy de Lusignan de Nodot. Constellé apparaît chez G. Michel au sens astrologique,
c’est-à-dire, selon Littré, (luth)
« qui a été fait ou fabriqué sous
une constellation ou qui en porte la marque, d’où certaines vertus
supposées » et « en 1694, chez Nodot au sens de parsemé d’étoiles ». Or, la date et le sens donnés par
Dauzat sont faux, car c’est en 1700 que Nodot , dans son Histoire de Geoffroy surnommé à la grand
dent, 6e fils de Mélusine, prince de Lusignan (e-édition)
parle, p. 43, d’un bâton
couvert de hiéroglyphes indiquant le signe de son propriétaire, constellé
au sens astrologique . Voici les autres occurrences : Carathuse, p.46,
le Sarrazin ami de Geoffroy, sort d’un coffre un certain bâton (arabe ud, bois ) rempli de figures héroglyphiques ; Geoffroy dit à Carathuse qu’il sait qu’il cache sous sa robe un bâton doué d’une grande puissance ; surtout,
p 48 :Geoffroy pria Carathuse
de lui confier le bâton mystérieux qu’il avait apporté, - sous prétexte de le
lui garder ; mais c’était pour lui servir de gage de sa fidélité, sachant
bien que la moitié de sa puissance consistait dans la vertu de ce bâton constellé ; Carathuse… le remit entre ses mains sans
hésiter ; enfin, p.225 : Carathuse s’était rendu sans fatigue à la
tour des Arabes à la faveur de son bâton mystérieux ; que là étant devenu
invisible… Nerval avait dû lire
le texte de F. Nodot qui s’inspire de la Chronique de Jean d’Arras et de l’Histoire
de Chypre (1580). « Bâton
constellé » est une mauvaise
traduction de Jean d’Arras et de
l’auteur de l’Histoire de Chypre (1580
) pour luth constellé , luth venant de l’arabe al ud qui signifie le bois, le bâton.
Porte le Soleil noir de la Mélancolie.
L’allusion à la gravure de Durer La Mélancolie est patente.
Second quatrain :
Dans la nuit du tombeau, toi qui m’as consolé,
Rends-moi le
Pausilippe et la mer d’Italie,
Réminiscences
littéraires : Maynard, Graziella,
de Lamartine, et la tentation du suicide.
Nerval a-t-il songé aux Stances
de Maynard, La belle vieille ?
L’âme pleine d’amour et
de mélancolie,
Et couché sur des
fleurs et sous des orangers,
J’ai montré ma
blessure aux deux mers d’Italie
Depuis Graziella de
Lamartine, le Pausilippe est synonyme d’amour. Dans un accès de spleen, Lamartine
fait, pour la seconde fois, l’ascension du Vésuve lorsqu’il apprend le projet
de mariage imposé à la corailleuse Graziella et descend au fond du cratère
pour s’y suicider (IV, 15).Mais chez Lamartine le reste de l’histoire se passe au Pausilippe qui devient
le symbole du bonheur. Dans Octavie, voici Nerval au sommet du
Pausilippe dont le nom signifie « cessation de la tristesse » (par
étymologie populaire , du grec pausis , cessation et lupè, tristesse, alors que le toponyme est lié à
Parthénopée) : « Dans mon cœur, il y avait l’idée de mort « , dit-il , et il
raconte comment il fut tenté de se jeter à la mer et « d’aller
demander compte à Dieu de sa singulière existence » ; mais l’idée du
rendez-vous qu’une jeune Anglaise rencontrée en 1834 à Marseille
lui avait donné à Portici le détourne
pour un temps de son sombre projet.
La fleur
qui plaisait tant à mon cœur désolé,
Sur le manuscrit d’Eluard, le mot ancolie est porté en marge.
Et la treille où le
pampre à la rose s’allie.
Une glose précise qu’il s’agit du Jardin du Vatican à Rome, appelé Jardin de la Pigne à cause de la statue de la pomme de pin de Bacchus.
Ce serait un « souvenir heureux du voyage de 1834. » Deux
variantes :
où la rose à la vigne s’allie
Où le pampre à la vigne s’allie.
Il s’agit de Bacchus
(la pigne, la vigne, le pampre) et d’Ariane (la rose) et leur union est une
hiérogamie mystique, un baiser de mort.
Premier
tercet :
Suis-je Amour ou
Phoebus ?...Lusignan ou Biron ?
Amour ou Eros
fait allusion à la fable d’Eros et de Psyché contée par Apulée dans les Métamorphoses .C’est sa mère, Vénus, qui
interdit à Amour de fréquenter Psyché.
Phébus : il s’agit,
non pas de Phoebus Apollon, mais de Gaston
Phébus, comte de Foix prince d’Aquitaine, déjà rencontré dans le
sonnet.
Lusignan a laissé
son nom à la commune de Saint- Hilaire-
de –Lusignan où se trouve Lusignan-le-
Grand, près d’Agen et à une autre commune,
Lusignan
- Petit, près d’Agen et de Prayssas.
Dans Lusignan- Petit
fut ensevelie Marguerite Labrunie, morte
le 25 septembre 1773 dans la maison du frère Leduc, âgée de 43 ans.
Dans la paroisse de Saint-Hilaire
–de- Lusignan, on trouve, à Agen , l’acte de mariage , le 2 février 1776, de
Joseph Labrunie , tapissier, âgé de 27 ans, fils d’Etienne Labrunie, maître tapissier,
et de Marie-Jeanne Tabutin , avec Marie-Thérèse Dublan, 27 ans, fille de feu
Pierre Dublanc et de Jeanne Roques.
Au même endroit, le 13 juillet 1776, a lieu le baptême de Etienne Labrunie, le père de
Gérard de Nerval, né de la veille, fils
de Joseph Labrunie, tapissier , et de Marie-Thérèse Dublan, avec pour parrain
Etienne Labrunie, tapissier, grand-père paternel, et pour marraine Jeanne Roques, grand-mère
maternelle du baptisé.
On voit comment Nerval pouvait prétendre descendre de
Lusignan.
Qui est ce Lusignan
du sonnet ? Nerval avait lu Nodot, l’Histoire
de Mélusine princesse de Lusignan en deux volumes. Le second volume raconte
l’histoire de Geoffroy de Lusignan et
de ses amours avec Elomire, la nièce de Saladin, empêchées par la rivalité avec
sa mère Rosane amoureuse aussi de Geoffroy.
Biron est une
commune de la Dordogne, près du château de Montpazier, et il en existe une
autre près d’Orthez, avec le lac Orthez- Biron, lié à Gaston de Foix, comme
Prades en Ariège. Madame Norma Rinsler a inventorié le contenu du nom Biron
pour Nerval : le Biron des Peines
d’amour perdues de Shakespeare , qui se passe en Navarre, Byron, Armand de
Gontaut, baron de Biron (1524-1602), son fils Charles, duc de Biron
(1562-1602), le duc de Lauzun (Armand-
Louis de Gontaut, duc de Biron). dont
Nerval prétend aussi descendre : ce dernier est celui qu’on connaît comme
le duc de Lauzun , qui fut enfermé avec le Masque
de Fer par ordre de Louis XIV et que certains ont pris pour le Masque de fer
lui-même, ceci pour avoir voulu épouser la riche Grande Mademoiselle.
Mon front est rouge
encor du baiser de la reine
Nerval porte sur son front la marque indélébile qu’il a visité
le monde des morts et de la folie, même s’il en est revenu provisoirement. La
reine est donc Peséphone , Shiva ou son équivalent, par exemple Balkiss, la
reine de Saba, la Candace d’Ethiopie, c’est-à-dire de Nubie ou du Soudan,
au-delà de la première cataracte du Nil. Le rouge évoque ces grains de grenade
tirés du Jardin d’Hadès, que Perséphone
avait avalés par mégarde, rompant le jeûne et s’interdisant de remonter sur
terre. Car quiconque avait mangé un grain de grenade ne pouvait plus rompre
avec l’empire des morts. La déesse des morts avait, en latin et en sanskrit, le
nom de rouge,Libera ou Rudhiras, épithète
de Shiva, Lodheswar Mahadev Mandir, où
lodhes –war renvoie à Rhaudes-war ou Rhudesvar, Rudhras, le
sanglant et où Mandir , Menedir, fait songer à Benedir, mot barré d’une glose de Nerval. Pour moi, Nerval a songé
d’abord à Shiva, la rouge déesse des morts (Menedir)
puis il s’est repenti et a songé à la reine d’Ethiopie et à sa pyramide funèbre
(candace). Dans mon hypothèse, le mot
Melan demeure incompréhensible (peut-être une épithète de la déesse des
morts,la sombre, la noire, cf le grec mélaïna ?).
La glose de Nerval
porte, sur le manuscrit Eluard, Reine Candace et, barrés, les mots Melan Benedir . Richer a rapproché, p.
676, ce mot du turc menetmek,
empêcher, et melan du turc bela,
malédiction, calamité mais le vocable turc menetmek me semble bien plus éloigné de Benedir que Mandir. Pour Richer,
le sens serait qui éloigne le malheur ; en turc classique on aurait
bela defedilir (éloigner le fléau),
ou belayi defeden (qui éloigne le
fléau). Il s’agirait d’un souhait apotropaïque destiné à détourner la mort
réelle, alors même que ce baiser est un baiser de mort, comme le démontre très
bien Richer. Le baiser d’Amour ( ou Eros) à Psychè est pareillement , comme celui du Cantique des Cantiques, et celui de
Balkiss, la reine de Saba, un baiser de mort,la mors osculi des khabalistes,
comme celui de la reine. Pline
rapporte qu'une femme appelée « Candace »
et régnant dans l'île de Méroé de la
terre des Éthiopiens envoya son officier auprès de saint Philippe en Samarie. Celui-ci revint en Éthiopie avec le
témoignage de la connaissance du Dieu de l'univers.. S’il s’agit de
la candace de Méroè et de Napata, que nous appelons aujourd’hui Amanishakhéto (altéré en Melan pâr Nerval ?) on peut supposer que c’est sa pyramide
funèbre qui , comme le mausolée
d’Artémis, a inspiré d’abord Nerval . En effet, Candace signifie reine en éthiopien.
La candace, reine d’Ethiopie, première
convertie au christianisme est-elle la même ? Les Actes des Apôtres, 8, 27-39,
mentionnent une candace , reine
d’Ethiopie, première convertie au christianisme
en disant que l’un de ses hauts fonctionnaires fut converti et baptisé par Philippe le
diacre, ce qui semble recouper l’information de Pline.
J’ai rêvé dans la
grotte où nage la sirène.
Variante : où verdit la sirène ; les nymphes, selon Nodot , Histoire
de Geoffroy, p. 185 , ont un
teint verdâtre, mais Nerval s’est aperçu que le verbe verdir n’était pas un verbe
d’état, mais marquait le devenir, la transformation, ce qui l’a amené à remplacer
verdir par nager . Richer
rapproche cette sirène de Jenny Colon et d’Octavie : au début d’Octavie,Nerval
écrit : « Une voix délicieuse comme celle des syrènes bruissait à mes
oreilles…Cette fille des eaux, qui se nommait Octavie,vint un jour à moi,
toute glorieuse d’une pêche étrange
qu’elle avait faite. Elle tenait dans ses blanches mains un poisson qu’elle me
donna » (La Pléiade, tome I, P.309 ; 285).
Mais la sirène est Parthénopée
. C’était une belle et jeune Phrygienne qui ne voulut pas rompre ses vœux
de chasteté, bien qu’elle fût amoureuse de Métiochos. Artémis la punit en la transformant en sirène.
Parthénopée tient son nom d’Artémis Opis.
Le Pausilippe, altier selon Nerval, et où l’on reconnaît dans la dernière syllabe le
nom d’ Opis est un mont près de Naples, au bord de la
mer, traversé par un tunnel, avec, à
l’entrée de ce tunnel, la grotte du
Pausilippe . Elle est connue pour abriter le tombeau du Poète (Virgile), mais aussi le tombeau de la sirène Parthénopée.
Second tercet :
Et j’ai deux fois
vainqueur traversé l’Achéron :
Ici, Nerval fait allusion à ses deux crises de folie.
Modulant tour à tour
sur la lyre d’Orphée
Les soupirs de la
Sainte et les cris de la Fée.
Les trois saintes chez
Nerval sont Gudule, Philomène et
surtout Rosalie, la sainte de Palerme en Sicile qui figure dans l’opéra de
Scribe Robert le Diable, où Jenny Colon
jouait le rôle d’Isabelle. Qui est la
sainte ? Selon Richer, il
s’agit d’Artémis ou Diane :
pour Nerval , Diane est «la Vierge sainte, figure à demi idéale, à
demi vivante » . Mais, selon moi,
ce pourrait être sainte Rosalie, la sainte de l’abîme, c’est-à-dire de
l’Enfer, protectrice de Robert le Diable –Nerval et que nous retrouverons dans
le sonnet Artémis.
Et les cris de la Fée.
Une glose précise que la fée est Mélusine
ou Manto . Le nom de Mélusine signifierait mère de Lusignan et, en tout
cas, c’est la protectrice de Raimondin de Lusignan et de ses descendants comme Nerval :
ses cris annoncent toujours une mauvaise nouvelle : mort, folie, trahison…
Quant à Manto, c’est la fille du
devin Tirésias, prophétesse et mère d’Apollon et du devin Mopsos. Mantô est une des sibylles de Delphes. Surtout, elle est éponyme de Mantoue, la patrie de Virgile, donc elle est la protectrice de tous les poètes comme Virgile
et NervaL
Artémis
Le premier titre d’Artémis
était plus explicite : le Ballet
des heures, que rappelle une glose : la XIIIe heure (pivotale). Il s’agit de la répétition, de l’Eternel
Retour si l‘on préfère. Richer résume ainsi le sens du poème : « J’ai vu Jenny Colon à Bruxelles dans
Robert le Diable, il va y avoir tout
juste treize ans, en décembre 1840 » [et l’histoire se répétera]. Jenny
Colon jouait le rôle d’Isabelle dans cet opéra le 25 décembre 1840,-jour de Noël,-
ce qui marque Nerval.
Le poète évoque l’intrigue explicitement dans Myrtho :
Depuis qu’un duc
normand brisa tes dieux d’argile,
Toujours, sous les
rameaux du laurier de Virgile,
Le pâle hortensia
s’unit au myrte vert.
Nerval se souvient des impressions que lui laissa la
représentation : « Lorsque la lune décrit son demi-cercle au-dessus
de la voûte, pendant les nuits claires, on croit entendre le pas furtif des
nonnes enchantées de Robert le Diable,
dont cette nécropole reproduit la décoration du 4e acte avec une
singulière fidélité » (La Pléiade, tome II, p 898, 2e
édition).
Dans la pièce, sainte Rosalie devenue sainte de l’Abyme, c’est-à-dire de l’Enfer chrétien et, pour Nerval, de ses flammes, tient à la main un
rameau vert de cyprès qui est un talisman infernal, prometteur de richesse,
à qui s’en emparera. Or, Robert, malgré les exhortations de son père satanique,
Bertran, s’en empare, mais le détruit, rompant l’enchantement qui maintenait
les nonnes de ce presbytère sicilien pétrifiées comme la statue de Rosalie. L’hortensia, le myrte,
le laurier d’Apollon, ont remplacé le cyprès. Le souvenir de sainte Rosalie
revient dans Octavie : « Une figure de sainte Rosalie, couronnée de
roses violettes, semblait plus loin protéger le berceau d’un enfant
endormi. »
Nerval associe
l’éruption volcanique du Vésuve (dans Octavie,
il se trouve chez une bohémienne à Naples lorsque le volcan entre en éruption)
à sainte Rosalie, la sainte napolitaine
aux mains pleine des feux. Myrtho :
Je sais pourquoi
là-bas le volcan s’est rouvert...
C’est qu’hier tu l’avais
touché d’un pied agile,
Et de cendres soudain
l’horizon s’est couvert.
Ou bien dans A J_y Colonna
Sais-tu pourquoi,
là-bas, le volcan s’est rouvert ?
C’est qu’un jour nous
l’avions touché d’un pied agile,
Et de sa poudre au
loin l’horizon s’est couvert.
Le volcan symbolise le paganisme opposé au christianisme.
L’ascension du Vésuve suffit à le réveiller. pluie de roses blanches de nature ignée dont les diables ne peuvent
supporter le contact à la fin du Second Faust
F. Constans, dans « Deux enfants du feu, la reine de
Saba et Nerval », Mercure de France,
avril et mai 1948 , a rapproché le
psaume 104(103), vers 32 et 33 : Jéhova regarde la terre et elle
tremble, il touche les montagnes, elles fument !
Richet écrit, p. 344 :« Dans le Mousquetaire , Nerval écrira en 1853 : « Je n’ai pas
tout dit sur cette nuit étrange. » et il ajoutera un détail qui fait de
lui un être de légende, un véritable
fils du feu ; il partage en effet avec Myrtho-
Delfica le privilège de susciter l’activité volcanique : « Pendant
cette nuit étrange, un phénomène assez rare s’était accompli. Vers la fin de la
nuit, toutes les ouvertures de la maison où je me trouvais s’étaient éclairées,
une poussière chaude et soufrée m’empêchait de respirer… A mesure que je gravissais
la montagne…, je contemplais sans terreur le Vésuve couvert encore d’une
coupole de fumée. » (La Pléiade, tome I, PP . 314 ; 290)
Le manuscrit remis à Dumas pour publication fin décembre 1853 insérait avant la signature : D. M.(Deis Manibus, aux dieux Mânes) Lucius
(peut-être Lucius Apuleius, initié aux mystères d’Isis) Agatho Priscius.
Nerval a traduit l’inscription latine de Bologne, une énigme dont le mot est la
Pierre Philosophale et que Nicolas Barnaud a publiée dans son Theatrum
chemicum . Voici la traduction qu’en donne Nerval « Aux dieux Mânes.
Aelia Laelia Crispis, qui n’est ni homme
ni femme ni hermaphrodite , ni fille ni
jeune ni vieille, ni chaste ni prostituée ni pudique, mais tout cela ensemble,
qui n’est pas morte de faim, et qui n’a
été tuée ni par le fer, ni par le poison,
mais par ces trois choses , qui n’est ni au ciel ni dans l’eau ni dans la
terre ; mais qui est partout.
Lucius Agatho Priscius, qui n’est
ni son mari ni son amant ni son parent, ni triste ni joyeux ni pleurant, sait
et ne sait pas pourquoi il a posé ceci, qui n’est ni un monument ni une
pyramide ni un tombeau. C’est-à-dire un tombeau qui ne renferme pas de cadavre,
un cadavre qui n’est point renfermé dans un tombeau ; mais un cadavre qui
est tout ensemble à soi même, et cadavre, et tombeau. »
Barnaud a traduit les prénoms de la façon suivante : « Agatho,
c’est-à-dire le bon, Lucius,
c’est-à-dire l’homme gratifié d’une lumière naturelle et
divine ; et Priscius , entendons un homme né à l’âge d’or et non
pas dans notre siècle très corrompu . » Richer, p. 583, traduit à tort priscius par pur : «
le poète prédestiné s’identifiait au Pluton- Mausole alchimique, au
Ténébreux…. Partout c’était sa propre histoire qu’il retrouvait et c’est
ainsi qu’il s’ appliqua à lui-même les extravagantes épithètes Agatho, Lucius,
Priscius : bon, illuminé, pur ! » Mais en réalité priscus
veut dire l’ancien. Priscius (qui n’existe pas en latin ; seul priscus existe et, selon le Gaffiot,
signifie très ancien, des premiers temps, vieux, antique, et implique l’idée de
quelque chose d’oublié, qu’on ne retrouve plus) renvoie peut-être aux
Catacombes de Priscilla où les restes de sainte Philomène ont été découverts en
ce début du XiX e siècle (et donné lieu à polémique). Sainte Prisque ou
Priscilla donne son nom à Priscius.
Ceci rejoint le sens du sonnet sur l’éternel recommencement
des choses et sur la transmigration des âmes, sur la métempsychose chère à
Pythagore.
La rose qu’elle tient,
c’est la rose trémière.
Cette rose trémière hante Nerval. On la retrouve dans Aurélia : « La dame que je
suivais, développant sa taille élancée dans un mouvement qui faisait miroiter
les plis de sa robe en taffetas changeant, entoura gracieusement de son bras nu
une rose trémière, puis elle se mit
à grandir sous un clair rayon de lumière. La fête de la Sainte Gudule, est célébrée le 8 janvier, donc peu après
la représentation de Robert le Diable qui a marqué le poète. Notons à ce propos que la "tremella
deliquescens", une fleur qui porte des fruits au début de Janvier, est
connue sous le nom "Sinte Goulds lampken" (lanterne de Ste
Gudule).Nerval a rattaché tremella (ou plutôt tremula),de tremella
deliquescens, « la tremblante qui se liquéfie », de trémière.
Trémière en réalité vient de rose d’outremer, bleue
d’outremer : selon Dante et selon
Hoffmann, la rose mystique est de couleur violette.
« L’effet
des lanternes voltigeant partout aux mains des promeneurs me faisait penser à
l’acte des nonnes de Robert le Diable », écrit Nerval dans Le
Voyage. La
sainte napolitaine aux mains pleines de feux, sainte de l’enfer et du volcan,
est sainte Rosalie, Les roses trémières de Sainte Rosalie sont confondue par le poète avec les fleurs de sainte Gudule
,dernière sainte qui n’existe que par ses lanternes, Naples
étant identifiée à Bruxelles. La légende dit que le diable ayant éteint la lampe de sainte Gudule, une clarté soudaine et
surnaturelle envahit les lieux.
As-tu trouvé ta croix
dans le désert des cieux ?
On a vu dans ce vers la
modulation d’Alice au pied de la croix dans Robert le Diable (acte III, scène 4), cette modulation qui
enthousiasmait G.Sand ; mais selon
Richet, p. 597, que je suis volontiers,
ce serait une allusion aux deux croix figurant sur le frontispice du
traité de Jacob Boehme, De la grâce
élective, la croix du Bien et celle du Mal. C’est à sainte Rosalie que
s’adresse cette apostrophe.
Dernier tercet de Artémis :
Roses blanches,
tombez ! Vous insultez nos Dieux,
F. Constans, dans « Artémis ou les fleurs du
désespoir », R.LC , avril- juin 1934, a rapproché ces roses blanches
infernales et de nature ignée dont les diables ne peuvent en supporter le contact .de cette pluie de roses blanches dont les diables ne
peuvent supporter le contact et qui s’abattit en 1840 sur la scène de Bruxelles à la fin du Second Faust. Ces roses sont païennes et
infernales, nos dieux (sainte Rosalie
et Dieu) sont chrétiens. Nerval
rapproche la scène du Second Faust et la procession des nonnes enchantées sortant
des tombeaux et tenant des flambeaux , dans Robert
le Diable, le jour de Noël.
Tombez, fantômes blancs, de votre ciel qui brûle :
La sainte de l’abîme
est plus sainte à mes yeux !
Sainte Rosalie,
sainte de l’Enfer, et salvatrice des damnés avec sa rose trémière, est plus sainte que la sainte païenne de
Goethe et ses roses blanches. Le ciel qui
brûle de flammes infernales s’oppose à la fleur de sainte Gudule, une lanterne, et aux
mains pleines de feux de sainte Rosalie confondue avec la sainte Gudule de
Bruxelles. Les gloses Philomène et
Rosalie.
Les gloses abusent le lecteur.car seule compte sainte
Rosalie. Richet, après Constans , l’ont
souligné : « Comment se fait le passage de sainte Rosalie, qualifiée
de « sainte napolitaine -(car c’est bien de Rosalie qu’il s’agit, malgré la
glose trompeuse Philomène qui, comme
l’a dit F. Constans, doit être prise
au sens d’aimée) à une sainte de
l’abîme, identifiée à Artémis- Hécate, à la Mort et à la Morte …? » écrit
Richer, p . 680. Le passage
s’effectue par le nom des Rosalia ,
qui étaient une fête des morts , où l’on
déposait des roses sur les tombeaux ;la fête a été reprise
par Isis. Ces fleurs apportées aux morts étaient originellement un signe de
levée de deuil.
Pourquoi dire de Rosalie, chantée par les Elixirs du Diable de Hoffmann, sainte sicilienne, qu’elle est
une sainte napolitaine, ce qui fait penser à sainte Philomène dont les restes
ont été trouvés près de Naples ? D’abord, parce que Rosalie est pour
Nerval la sainte de l’enfer (l’Abyme signifie l’Enfer chrétien dans la sainte de l’Abyme), donc du volcan
napolitain assimilé à une manifestation infernale. Ensuite, parce que l’existence de Philomène avait déjà
été fortement mise en doute et que Nerval n’y croyait guère. La sainte
Philomène se résout dans la signification de son nom : aimée en grec. D’ailleurs, la glose 2 Philomène renvoie, non à une personne vivante, mais à une fleur, à rose trémière,deux mots soulignés, donc
voulant dire autre chose, renvoyant à l’aimée,
sainte Rosalie, rose au cœur violet. La glose
3, Rosalie, se rapporte à sainte de l’Abyme, ou bien à rose au cœur violet, à côté de quoi on
trouve un pâté : le violet est pour le poète la couleur mystique et elle
est rapportée à Rosalie par fausse
étymologie, Rosalie étant décomposée en rosa
et en viola, violette. La sainte de l’abyme, nommée au dernier vers,
est bien sainte Rosalie de Palerme.
.
Complément généalogique sur Saint-Domingue.
Nerval a évoqué ses parents de Saint-Domingue. J’ai eu la
curiosité de le vérifier. J’ai bien trouvé des Jacques Serres et
Pierre Serres en
1730, alliés aux Dugas et aux Maurisseau,
ainsi qu’une Jeanne Anne Lamaure, épouse Jean-Baptiste
Labrunie.
Quant aux Duborga,
j’ai trouvé un mariage de Jean Duborga, fils de Bernard Duborga et de Jeanne
Forestier, natif de la paroisse de Fregimond, dans le diocèse d’Agen,
avec Anne Crété,
le 18 juillet 1745 à Mirebalais, paroisse Saint- Louis dans l’île de
Saint-Domingue.
Anne Crété est l’une des deux filles de Jean Bernard Crété et de Marguerite Evain, fille de Jean Evain et de Marie
Fouquet, née le 16 juin 1699 à la Croix des bouquets, toujours à)
Saint-Domingue, mariée en premières noces le 29 juillet 1716 à la Croix des
Bouquets (Saint-Domingue) avec Jean Crété .
Leur petit-fils, Justin Duborga , né en 1780 à Bordeaux, a intéressé Nerval parce qu’il a été le condisciple
de son père au Lycée d ’Agen et qu’il devint chirurgien militaire comme son
père. Il était le cousin de Lacepède. Après
avoir servi longtemps en Italie, il fut envoyé à Saint-Domingue par Napoléon et y serait
mort du choléra, au Cap, à son
arrivée dans l’île . Il a laissé
quelques manuscrits.
Dernière
énigme : celle de la pendaison, rue de la Vieille -Lanterne à Paris.
Maxime Ducamp rapporte qu’il alla voir un jour Nerval à la
clinique du docteur Blanche et que le
poète lui dit : « C’est aimable à vous de venir ; ce pauvre
Blanche est fou ; il croit qu’il est à la tête d’une maison de santé et
nous faisons semblant d’êztre des aliénés pour lui être agréables; vous allez
me remplacer, parce qu’il faut que j’aille demain matin à Chantilly pour
épouser Madame de Feuchères. » L’anecdote,
rapportée par Aristide Marie dans Gérard de Nerval, le poète et l’homme, p. 96,
nous montre l’identification que s’était forgée Gérard à l’amant de la duchesse,
le duc de Bourbon ,pendu à l’espagnolette de son château de Saint-Leu, à une époque où la duchesse était morte
depuis longtemps. Dans un accès il poussa l’identification jusqu’à réaliser la
même pendaison.
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