EXISTE-T-IL UN NOM AUTOCHTONE
POUR LA NOUVELLE-CALEDONIE ET LES
LOYAUTE ?
L’ensemble Nouvelle-Calédonie et Loyauté est le fruit de
l’histoire aléatoire de la colonisation française et l’ensemble aurait aussi
bien pu englober Tanna, Anatom ou Santo au Vanuatu, qui se trouvent à deux
nuits de pirogue de Maré, que les actuelles
et lointaines « dépendances »
Clipperton, Matthew et Hunter (revendiquées par Vanuatu), Walpole, les
Chesterfield ou les Belep. L’irréductible hétérogénéité créée par la trentaine
d’isolats divers ne pouvait trouver de mot pour désigner un ensemble aussi artificiel,
comme cela est fréquent pour les noms de grande île peuplée de plusieurs
ethnies telle la Nouvelle-Guinée ou
la Nouvelle-Irlande, ou d’archipels comme les Salomon qui ont dû garder
le nom des colonisateurs, se contentant de
renoncer au nom de Guadarcanal à
cause de sa ressemblance espagnole pour Honiara Renonçons donc d’emblée à un
nom qui englobe les Loyauté et demandons-nous s’il y a un nom qui ait désigné
la Nouvelle-Calédonie seule, mais prise dans sa totalité. .
I) Le « groupe de Balade ».
Le « groupe de Balade » : telle a été la
première appellation utilisée par les Européens pour désigner la
Nouvelle-Calédonie qui se limitait pour eux à cette portion du territoire. Balade,
Belep, Balabio font écho à Ballarat en Australie, à Bali en Indonésie ou à Bali aux îles Vitu
en Papouasie-Nouvelle-Guinée , Narbade aux Antilles et renvoient à la Grande
Déesse du Serpent. Par une curieuse coïncidence, le mot Calédonie, d’apparence écossaise, mais emprunté à l’ibère, signifie également le
Serpent.
II) La terre d’Ohao ou Opao.
1) La découverte ,
par un ancien professeur du Lycée Lapérouse , Joël Dauphiné, des « Opaos » à Balade en 1844 lors d’un premier rattachement
à la France rapidement annulé.
Un ancien professeur d’histoire
du Lycée Lapérouse , ( « Du nouveau sur la première prise de possession de
la Nouvelle-Calédonie par la France (1843-1846) » in La France et le
Pacifique, étude sous la direction de Paul De Dekker et de Pierre-Yves
Toullelan, société française d’histoire d’Outre-Mer, Paris, 1990, pp. 11-130),
a attiré l’attention sur le nom qui apparaît lors de cette prise de possession
ratée : les « Opaos » ou « les chefs de l’île d’Opao ».Voici
le texte qu’il a déniché , tel qu’il
est cité dans Gabriel Paita, témoignage Kanak, D’Opao au pays de la Nouvelle-Calédonie,
de J. Cazaumayou et Thomas de Dekker (L’Harmattan), p.18:
« Nous, Chefs de l’île d’Opao (Nouvelle-Calédonie) :
Pakili Pouma, roi
du pays de Koko, Dolio et Toe, frères du roi de Koko,
-Paiama, chef du pays de Balade, Goa-Pouma, frère du chef de Balade, et ses
frères Tiangou et Oundo, Teneondi Tombo, roi de Kouma [Koumac] et ses frères
Chope Meaou, Ouloi et Ghibat, Au nom du roi de Bondé, ses fils Dounouma- Tchapea, Kohin et Huangheno,
… plaçant nos personnes
et notre terre d’Opao
(Nouvelle-Calédonie) sous leur haute
protection vis-à-vis de toutes les autres
puissances étrangères, adoptons pour nôtre le pavillon français que nous
jurons de faire respecter par tous les moyens en notre pouvoir. »
Remarquons d’abord
que Opao n’équivaut pas à la Nouvelle-Calédonie entière, comme l’avait déjà
fait remarquer B. Brou, mais seulement aux terres sous la souveraineté du roi
de Koko (Pouebo de Re Pweo) ainsi que
de ses vassaux le chef de Balade, le roi de Koumac et le roi de Bondé, parlant tous trois d’autres
langues que celle du roi de Koko. Le nom de Koko correspond à Koké en
Nouvelle-Guinée et à Kake à Canala. Remarquons
que la forme opao utilisée en 1844
par les interprètes polynésiens du chef
de Pouébo qui utilisent aussi le terme polynésien pour chef, aliki, ou pour dire qu’ils sont
d’accord, leleï , est une prononciation polynésienne du mélanésien
wahoo que nous verrons ci-après. Selon G.
Païta, Opao serait le nom donné à la Grande Terre en 1844 par les habitants
polynésiens d’Ouvéa (op. cit. p.16,
note). Aux Marquises on a Ouapou, proche de Opao (cité par G. Coquilhat sur
le net dans Approche pour une
lecture des pétroglyphes néo-calédonien d’après son article du Bulletin de
la SEHNC N° 79 « Pétyroglyphes de Tchambouène »):et en
Papouasie-Nouvelle-Guinée une île appelée Opao proche d’Orokolo . Ce sont des
nom polynésiens.
2) Les témoignages
du chef Koudjima et de Gabriel Païta sur
la migration des Haveke depuis la Papouasie et leurs conquêtes en « terre d’Ohao »
ou « de Waho ».
a)La déclaration du
chef des Pouebo, Koudjima
Nous avons la bonne fortune d’avoir l’histoire de son peuple
racontée par le chef Koudjima lui-même, grâce à Jules Durand qui a recueilli en
1898 et publié en 1908 ses déclarations
dans Chez les Ouébias (republié
par G. Coquilhat sur le net dans
Approche pour une lecture des
pétroglyphes néo-calédoniens) :
« Nous étions loin, bien loin d’ici, là-bas où le
soleil se couche dans notre patrie lointaine, Ahaké [aujourd’hui Koké de Kawaké en Nouvelle-Guinée –Papouasie] avec
beaucoup, avec beaucoup de Canaques en train de construire des pirogues,
lorsque le fils du chef qui jouait parmi nous fut victime d’un déplorable
accident : une des haches de pierre que tenait un travailleur frappa
malheureusement l’enfant qui fut tué.»
Par crainte de la colère du chef ils décident de s’enfuir à
bord des pirogues. Le chef les avertit et prophétise : « Vous ne
trouverez des terres que loin, très loin d’ici, du côté où le soleil se lève,
où vont les courants et la brise. Et retenez mes paroles, car vous
rencontrerez beaucoup d’écueils, des
flots dangereux et stériles : ne vous arrêtez pas là ! Mais lorsque,
après avoir longtemps voyagé, vous serez à bout de vos vivres, vous découvrirez
une première île [au Vanuatu, près de Mallikolo au Vanuatu, la petite île Avokh où
l’on reconnaît le nom de la langue calédonienne des Pouébos et des gens
d’Oundjo, l’aveké ], ne vous arrêtez pas
là…
« Vous en verrez une autre plus grande [132 Km²], avec
des cocotiers [Ouvéa, anciennement Ahaké
ou Ouvake de Awake, paronyme du nom polynésien Ouvéa ], ne vous arrêtez pas
là.
« Puis une troisième [île, la Nouvelle-Calédonie, Ohao], hérissée de récifs, en face
[d’ Ouvéa], ayant de hautes montagnes ; débarquez-y votre malade [à l’îlot Poudioué
dont le nom est interprété comme signifiant l’homme malade, prophétie
étymologique après coup bien entendu, car il s’agit probablement du souvenir
déformé du premier enterrement d’un blanc, le 6 mai 1793, 3 jours avant le
départ des deux bâtiments l’Espérance et
la Recherche, de nuit et avec toutes sortes de
précautions, ce qui marqua fortement l’imagination de tous les Kanaks ; il
s’agissait du commandant l’Espérance, Huon de Kermadec,de l’expédition
d’Entrecasteaux à la recherche de Lapérouse] et visitez la côte (est] car elle
sera habitée (par les gens de Balade). .Quand les poissons sauteront sur l’eau
autour des pirogues [autre prophétie étymologique qui joue sur le nom du waho, thon- banane, Acanthocybium solandri, gros poisson de plus de 2 mètres, avec le nom voisin des Ohao], arrêtez-vous là [près de Pouébo, forme anciennement attestée
Pweo, de Weo, de
Ohao]
« C’est ainsi que nous arrivâmes dans des parages
peuplés de guerriers [les gens de Balade], lesquels avaient remplacé déjà des
naturels ne sachant pas construire des
cases et vivant dans des trous (les Tuas
qui donnent leur nom à Touho [de Toua] et occupent la région des Poyes, où mon
ami le chef Néa Kyolet Galet me montra les grottes secrètes où ses hommes et
lui se réfugièrent lors des troubles de 1917 : c’étaient ces
« trous » dont parle Koudjima).
« Il y eut de
grandes guerres au commencement [entre gens de Balade qui s’étendaient bien au-delà
de Pouebo et gens nouvellement arrivés],
dans l’endroit où l’on avait débarqué le malade et, victorieux, nous nous
sommes par la suite des temps fondus avec les autres et répandus de toutes
parts sur la terre d’Ohao.». Soulignons
que le chef de Pouébo utilise en 1898 la forme Ohao qui correspond bien,
avec une autre graphie, à wahoo. .
Quant au nom de l’îlot Poudioué , son nom
vient en réalité de pwa yawe,
c’est-à-dire îlot qui appartient au peuple haveké,
même si, dans la prophétie, il est interprété comme l’îlot de l’homme malade, Huon de Kermadec. On peut
déduire de cette déclaration que l’arrivée en Calédonie a dû avoir lieu vers 1793.
b) L’expansion, conquérante des Kamba -Wassio selon un de leurs
descendants, G. Païta : après Ouvéa et le nord, Canala, le sud, l’île des
Pins, Maré
La grande Chefferie de Canala porte les noms de Kaké (de kaveke) Wathio (Wassio) et G. Païta
écrit (op. cit.
p.28) : « Les Kambwa [Kamba] furent toujours alliés au clan
Bakea, ou Baghéa de la grande chefferie de Canala : « nous sommes famille »,
comme l’on dit ici. D’ailleurs, à Canala, ils appellent Bakéa [yakéak cf. le nom du chef Kaféat, de kaveke-at (suffixe indiquant
la descendance) les gens de Païta ! » La grande
chefferie de Canala a subi l’influence des Haveke : les noms propres Kake ,
Wassio, Bakéa en sont des marques.
G. Païta a brièvement évoqué la suite des conquêtes de ce
peuple martial dont il descend par la grande chefferie des Kaba ou Tchambas-
Meindu, la grande chefferie d’Ouvéa (la
première escale de la migration) étant, selon G. Païta, sa
parente. Avec 10000 guerriers
(hyperbole !), son descendant
Poré conquiert le sud (il y a laissé le
nom de Yaoué pour Yawek), s’installe
vers la Tontouta, puis à l’île Nou, conquiert l’île des Pins où les noms de Vao
(de wao) et du pic N’ga qu’on retrouve dans la région de
Païta rappelleraient ses conquêtes et
enfin part à l’attaque de Maré, où il
introduit la paille et le niaouli, à Wabao (de wa avao). Sur trois générations, dit G. Paita, soit en 60 ans, les
Kambas- Wassio donnent naissance à 400 personnes, ce qui montre leur fécondité.
Poré est le conquérant qui a tenté d’unifier, mais en vain, la Calédonie et les
îles.
Quelle est la langue
de ces conquérants, avec ses nombreuses variations dialectales ? Elle s’appelle
le haveke (Oundjo, Gatope, Tieta) , le
hmwa-haveke (Tieta) où hmwa signifie langage , l’haeke
(Kone et Baco), le mwen- ebek (mwen signifiant
langage)
ou ca aak (ca signifiant parler et aak venant de avak) à Pouébo et à la
Conception, le béko, parlé depuis Ti waka (de
ti, rivière et waka, la rivière
des Havekés ) jusqu’à Tié(même sens ; de ti et de ewaek) et le tié en zone camuki parlé aux Poyes, à
Tiwaé et à Touho
Mais avant de se fixer en Nouvelle- Calédonie, les Havekés
se sont installé à Ouvéa et
ont laissé leur langue à Fayawé, de fa, signifiant langue et de yawek,
leur nom. Cette langue s’appelle le iaai, de
yawe . Citons aussi le fwa aai
de Hienghène, de fwa, langage, et de yawe, ainsi que le yawe (pour yawek), parlé à Ouayaguette de (wa yawet pour yawek), et Ouaième(de wa ayek.; le pwaa mei , langue
agonisante parlée à Faténaoué (de fa, rivière, tena pour vena, pays, aoué pour awek) célèbre pour ses momies faites comme dans la patrie d’origine, à Koke en Papouasie ;
le vaamale ou paamale, dialecte de l’hmwaeke parlé dans une partie de Oué Hava(de oué, rivière, et de hava de
Hawaka) et l’abwewe(de
abwa –aweke) ou orowe dans la région de Bourail. Aucune langue calédonienne n’a une
telle extension.
c) L’origine du nom wahoo ou owao
pour le nord calédonien et les migrations lointaines des Papouas Havekés (même
mot que papoua).
Les Polynésiens connaissent,
entre autres, le nom de Oahou aux
Hawaï et de Hao aux Touamotou selon G. Coquilhat (op. cit.) et ils chantent une patrie
originelle appelée Hawaïki, dont ils ont donné le nom aux Hawaï. Tahiti, dans
les nostalgiques mélopées polynésiennes, est appelée Awé Awé o taiti, ce qui n’est plus toujours compris mais
signifie « la lointaine Awe ».
Awé, Hawaïki nous renvoient à Haveke : quelle était donc cette
île ? Il s’agit de Formose, que nous nommons ainsi d’après son nom latin Formosa
qui signifie la belle, que les
Chinois nomment Taïwan, mais qui pour
les peuples autochtones est Paiwan. Les
linguistes et généticiens remontent même plus haut, en Birmanie, dans la
province d’Araukhanie (Cf. le mot ouragan, hurricane en anglais emprunté à une langue caraïbe pour désigner
le dieu, spécialisé ensuite dans les manifestations violentes de la Nature), qui
a donné son nom à Païwan (de abaukania
qui donne baikwan ).Païwan donne
à son tour Haikaïwi, puis par
métathèse Hawaïki.
Les Papouas ont gardé
le k initial à la différence des Polynésiens chez lesquels il a été remplacé par un coup de glotte noté
h. et pour désigner Formose ils se servent
du mot Kavake (mélanésien Cavatch, Kaféat),
avec le k conservé D’Araukhanie en Birmanie nous pouvons les
suivre en Papouasie-Nouvelle-Guinée à Koké (de kaveke) où , comme bous avons pu le voir dans une récente émission
télévisée faire par une archéologue allemande,
leurs cousins continuent aujourd’hui à fabriquer des momies comme aux
bords de la Faténaoué. A partir des
formes évoluées où le coup de glotte a
remplacé le k , savoir Havaike ou Haveke, ils ont baptisé leurs nouveaux lieux d’installation Avokh au Vanuatu près de Mallikolo, et Havake à Ouvéa devenu (Fa) Ayawe. Sur la Grande
Terre, ils se sont plus tard installés près de Pouébo à Ouvak
(où l’on reconnaît sans peine Aveke) à Ouvanou (de ouvak -vanou, la terre ouvak)
et à Pouébo, de Pweo. , toutes formes attestées, le nom de Pouébo ou plutôt de Pweo venant de pwa langage et de evo (de aveke). Le mot evo évolue phonétiquement en Oao ou Ohao, le nom donné au nord du territoire, et au nord seulement
III) La récente Kanaky (avec
altération orthographique du suffixe français –ie).
Lorsque Cook débarqua à Balade, le mot employé fut celui
d’Indien, puis de Néo-Calédonien. A Hawai, Cook nota le terme polynésien de
kanak pour désigner l’homme en général. A Canala le mot tamata, à Houailou, le mot
kamo lui correspondent et j’entends
encore Lacan, dans un séminaire à
l’Ecole normale supérieure , citer do
kamo, le vrai homme de Leenhardt en tonnant contre ces primitifs pour qui
il y avait de vrais hommes . Et les autres ? Est-ce des sous-hommes ?
En tout cas le mot canaque fut employé au XIXe siècle au sens de Polynésien
et désigne le Tahitien chez Gauguin. Les
expressions « gueuler comme un canaque » ou « une denture de
canaque » chez Flaubert, ou four canaque renvoient à un Polynésien comme
l’injure du Capitaine Haddock qui signifie cannibale. . Les colons
l’employèrent au sens de mâle et prirent le mot polynésien dont il est
inséparable, celui de popiné (tahitien
vahiné, fafiné) pour désigner la
femme. Ils traduisirent les langoustines appelées demoiselles de mer (Parribacus
caledonicus) par popiné.
Que signifie donc le mot polynésien kanak ? Il faut aller chercher l’austronésien tel que défini par Otto Dempwolff pour en
comprendre l’étymologie : le mot signifie l’homme en instance d’initiation,
plus exactement l’homme pas encore cuit, cru , par allusion à la cérémonie
consistant à feindre de cuire le candidat à l’initiation et de le manger
IV) Le témoignage de Gabriel
Païta, descendant de la grande chefferie wassio :
du Parti fédéral Kanak de 1985 à la République fédérale d’ Opao en 1986.
Gabriel. Païta créa
d’abord le Parti Fédéral Kanak, puis
en 1986 il rebaptisa son parti le Parti fédéral d’Opao. Voici les raisons
qu’il en donne : « Le terme « kanak »
contrariait nos amis européens, dit-il dans Gabriel
Paita, témoignage Kanak, D’Opao au pays de la Nouvelle-Calédonie, de J.
Cazaumayou et Thomas de Dekker (L’Harmattan), p. 186 , et le qualificatif
« Calédonien » nous gênait.
Qu’avions-nous avoir avec l’Ecosse ?... Pourquoi Opao ? Nous voulions donner au futur pays un nom venu des
vieux, et qui ne soit pas importé. Il renvoyait au traité de protectorat passé
le 1er janvier 1844 entre les
clans du nord de la grande Terre et la France. Opao ? Parce que les Kanak ne pouvaient se reconnaître dans
l’appellation « Calédoniens »,
un mot venu d’Europe .Parce que les Calédoniens et les autres communautés
avaient le sentiment d’être exclus par le mot « Kanak », lui-même
emprunté à la langue polynésienne . Opao faisait partie de l’héritage légué par les vieux de ce pays.
Ce nom devait rassembler les hommes, plutôt que les diviser. »
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