Le
grand serpent de mer et les énigmes
de la flèche faîtière kanake.
Les théories psychologiques primitivistes expliquent, par l’étalement du visage et de la nuque sur un plan unique, les formes énigmatiques de la
flèche. Ainsi Leenhardt, dans Notes
d’ethnologie calédonienne, écrivait en 1930 : « j’ai
longtemps interrogé pour connaître le détail de ces figures grotesques…La large
plaque en bas est le ventre, au-dessus la cravate
et le menton, puis les oreilles, le front, la fronde…La large plaque finale
d’où s’élève la flèche représente la
nuque, allongée sur le même plan que la face. C’est, en effet, la vision qui préside au dessin d’enfant où
les parties invisibles sont surajoutées sur le plan des parties visibles. »
Le pasteur avait utilisé des travaux sue la Papouasie britannique : de là
le nom de cssse- tête (p. 181, clubs with
bird’s head -and -neck pattern ) à bec d’oiseau impropre pour la Calédonie, emprunté à Alfred Cort
Haddon, The decorative Art of British new
Guinea :a study in Papuan
Ethnography, 1894,réimprimé à la demande (alors que ce sont des
représentationsq liées à la circoncision, voir mon blog Le secret des
pétroglyphes ou le secret de l’homme en
calédonie et surtout pour nous la curieuse théorie exposée p.137 à propos des
dessins géométriques à base de
« méandres » retrouvés au Japon, en Europe et en Amérique et
dont il contesstait la parenté historique : « Il n’y a aucun doute que ces
motifs [géométriques] sont dérivés de visages humains qui ont été comprimés latéralement et
développés verticalement en raison des exigences d’un espace restreint et de la
difficulté de sculptures plus réalistes sur de telles étroites
baguettes. »
Eliane Metais résume très honnêtement dans L’art
néo-calédonien la situation
de cette flèche faîtière qu’elle
qualifie de géométrique : elle est « géométrique :
on ne peut en retrouver les éléments, les indigènes réinterprétant par analogie les figures qui la constituent, car toute la sculpture change
d’âme au cours des années… Personne ne
peut en donner la traduction… Toutes les suppositions sont possibles, aucune
certitude n’est permise, car les porteurs de cette culture ont disparu. »
Il faut préciser que
les motifs des flèches varient dans le temps et dans la géographie et qu’aucune
explication ne vaudra pour toutes. Le sens en était réservé aux hommes, à
l’exclusion des femmes, et aux initiés de très haut grade, en petit nombre, à
l’exclusion des profanes. Il ne faut pas avoir peur de dire que, même à
l’époque de Leenhardt, les insulaires ne pouvaient plus comprendre cet art hermétique. . Les sculpteurs devaient,
bien entendu, être initiés, mais en se recopiant les uns les autres ils devaient rajouter des détails. Ce que
j’ai écrit en 1982 se rapportait à une ré- interprétation moderne de la
flèche, tandis que ce qui va suivre en décrit le sens originel. De plus, le premier plan de flèche n’a pas
obligatoirement été dressé en Calédonie, mais peut-être avant les migrations.
L’existence du calmar colossal (Mesonychoteuthis hamiltoni) n’est connue que depuis 2003. Avant cette date, rares
étaient les témoignages sur les monstres habitant les rivages calédoniens.
Les témoignages sur un Serpent de mer (calmar colossal) en Calédonie.
J’emprunte au livre de J. J. Barloy , Serpent de mer et monstres aquatiques , 1979, p.215,
ces témoignages : le serpent de mer, « … en Nouvelle-Calédonie,
est signalé dès 1878 ; un spécimen montre, cette année-là, sa tête et sa
crinière aux officiers du navire de guerre français la Seudre.
« En 1923, se situent
plusieurs observations dont le combat avec l’Architeuthis » [dux, calmar géant et non calmar colossal].
Extrait des Echos d’Altaïr, article consacré à
l’apparition, d’un Grand Serpent de mer repéré en Nouvelle-Calédonie à
plusieurs reprises durant l’année 1923. « Le
22 novembre de cette année-là, deux
Néo-Calédoniennes [autochtones] se trouvent près de la pointe Abel, quand elles
entendent une détonation semblable à un coup de fusil. A 60 mètres de distance,
elles aperçoivent un curieux animal de couleur brun acajou avec une sorte de
crête sur le dos. Il pousse un long sifflement et rejette « un jet de
fumée, puis une gerbe d’eau ».
« Un gendarme à la retraite, M. Millot [ le père de Alexandre Mllot, décédé
récemment} gardien de la quarantaine de l’îlot Freycinet, confirma à son
tour le témoignage de la femme kanak
Fels. Voici ce qu’il déclara au quotidien néo-calédonien La France Australe : « Le 22 septembre vers 16 heures,
étant dans mon jardin, j’ai vu un jet d’eau dans la direction de la Pointe aux
Lantanas. Ce jet me semblait avoir la hauteur de la colline qui domine cette
pointe ; puis, un autre jet, moins élevé, plus à l’ouest .Par trois fois, en quelques minutes,
il m’a semblé voir plusieurs gros animaux, plus forts que des marsouins ;
puis, avec regret, j’avais perdu de vue ces apparitions, quand un bruit sec,
formidable, suivi d’un autre, plus
prolongé, me fit reprendre ma veille. [Le bruit en question était dû au
choc provoqué par l’animal quand il retombait dans l’eau.] Je vis
plusieurs « morceaux » plus gros chacun qu’un cachalot, puis une
masse noire : la queue présentait un écran de 2 mètres de hauteur sur 3
mètres de large, environ. Le bruit et les apparitions devinrent plus fréquents
et plus nets, la couleur noire persistant. L’animal est venu entre Freycinet,
l’île aux Chèvres et la presqu’île Ducos. Le plus beau tableau que j’en aie vu
représentait trois dômes successifs de plusieurs mètres de haut, qui m’ont paru
tenir plus de place que mon habitation. J’en étais à 1500 mètres ; ces
trois morceaux me semblaient trois baleines à la suite les unes des autres. Je
ne puis rendre plus exactement ce monstre, qui m’a paru plus poisson que
serpent. La longueur est difficile à estimer ; les trois parties que j’ai
vues, se touchant presque, mesuraient
plus de 20 mètres, et on devinait sous l’eau un prolongement de l’animal (à
moins d’admettre une famille à la queue leu- leu). Je n’ai pas vu la
tête ; mais à chaque apparition, j’ai entendu ce bruit formidable
semblable au barrissement de l’éléphant, suivi du bruit du remous comparable à
celui que ferait la chute de nombreuses feuilles de tôle. Il faisait calme
plat. »
« A nouveau, le dimanche 30 septembre, le
monstre apparut. Cette fois, ce fut à 3 kilomètres du port de Nouméa, entre l’îlot
Maître et le Tabou, que M. et Mme Bailly, accompagnés d’un Kanak nommé Emile,
le virent distinctement alors qu’ils allaient pêcher en pétrolette .D’après M.
Bailly, l’animal « avait érigé son corps verticalement comme un mât.
Parfois, il y avait deux branches
dressées à la fois, comme la tête et la
queue d’un même animal. Ces deux branches s’abattaient en sens contraire, et
dans le prolongement l’une de l’autre, avec grand bruit. Mme Bailly
précisa que la créature « jetait fréquemment un jet de fumée. »
Extrait du livre de Bernard Heuvelmans, Le
Grand Serpent -de- mer, 1975.
Barloy se fonde sur la crinière aperçue pour penser que ces monstres sont des chevaux marins (Halshippus olaimagni).
Pour Heuvelmans que je suivrais plus
volontiers, il s’agit du calmar colossal. « Par
moments, écrit-il, [le calmar] avait
projeté ses deux longs tentacules au-dessus de la surface, et parfois il avait
rejeté de l’eau ou de la vapeur d’eau par son siphon locomoteur. » On peut
aussi supposer que l’eau est rejetée par des cachalots qui s’attaquent aux
calmars. Néanmoins, comme le souligne Heuvelmans, « cette identification
est certainement légitime, mais elle n’explique pas l’excellente description
que les femmes indigènes ont faite d’un
serpent- de- mer à crinière. Le comportement insolite et bruyant de la créature
serait la preuve que cet animal était en difficulté dans un affrontement
possible contre un Architeuthis
» (calmar géant et non calmar colossal). »
Selon moi, ce qu’on a pris pour une crinière peut être constitué en réalité par les huit tentacules projetés au-dessus de la tête du
calmar colossal. Mais, même si c’était
bien un cheval marin, comme le suppose
Barloy, il est d’ailleurs possible que
la « crinière « du cheval marin soit composée de filaments à fonction
respiratoire.
Historique de la découverte
néo-zélandaise d’un calmar colossal.
Le 17
septembre 2014, 120 000 personnes de 180 pays
ont suivi sur le Net l’autopsie
du calmar colossal (elle a duré 3 h 37),
réalisée au Te Papa Tongareva (Muséum d’histoire naturelle de Nouvelle-Zélande)
de Wellington. .
Les plus
gros spécimens de calmar colossal peuvent mesurer 10 mètres et peser plus
d’une tonne ; ils vivent à des profondeurs de 1000 mètres, là où
l’obscurité est permanente et, le plus souvent, dans les eaux de l’Antarctique. Les chercheurs
en connaissaient l’existence grâce aux résidus retrouvés dans l’estomac des
cachalots , qui sont les uniques prédateurs
du calmar colossal. Le calmar colossal se nourrit de légines antarctiques ou
australes (Dissostichus mawsoni), un gros poisson dentu de 2 mètres.
En 2003, un
bateau de pêche en mer de Ross, près du continent Antarctique, a capturé un
premier spécimen de 150 kilos, une femelle, mais il était très abîmé. En 2007, un palangrier néo-zélandais,
à la recherche de légines australes, remonte une autre femelle, de 495 kilos, mais
en très mauvais état. Elle fut cependant réfrigérée, autopsiée et naturalisée
au Musée. .
Enfin, en 2 013, une autre femelle, de 350
kilos, faisant 1 mètre de circonférence
et 4,2 mètres de longueur, est remontée,
pratiquement intacte cette fois.
« Ce
céphalopode a trois cœurs, deux pour le fonctionnement des branchies et un pour celui du corps entier, un bec à la mâchoire inférieure
dépassant la mandibule supérieure et longue de 5 cm, des tentacules armés de
griffes, composés de chitine et dotés de la particularité de pouvoir effectuer
des rotations afin d’agripper les proies. Les yeux sont énormes et situés de chaque côté de la tête : ils mesurent 27 cm de diamètre, soit
la taille d’une citrouille. Son corps est doté de deux ailerons d’un mètre de long sur un de large, de deux longs
bras et de 8 tentacules pourvus de
photophores : ce sont des structures bio luminescentes situées en bordure de rétine et qui, telles
des lampes torches, émettent une lumière suffisante pour éclairer à 100 mètres devant l’animal et pour suppléer à
la déficience de la vue bilatérale du calmar. Pour partir en chasse, le calmar
place ses bras au-dessus de sa tête. » Voir photo ci-dessus (Sciences et Avenir, n°813, novembre
2014, Loïc Chauveau).
Ce monstre,- et c’est ce qui nous
intéresse, - a inspiré plusieurs formes d’art océanien.
Il y a différents
types de flèches faîtières de Calédonie.
Voici le
schéma qu’aujourd’hui les biologistes dressent du calmar colossal (Sciences et Avenir et sur le Net), évocateur de certaines flèches faîtières.
Certaines flèches faîtières représentent le calmar
colossal à l’envers, le haut de la
flèche représentant le bas du calmar, la tête étant vers le bas de la flèche.
Les deux ovales intrigants caractéristiques de la flèche faîtière représentent, le premier (bas du calmar,
haut de la flèche), le plus volumineux, les deux ailerons du calmar presque soudés ensemble, avec la « plume » « osseuse »
entre ces deux nageoires dorsales, plume qui se
prolonge en flèche, l’autre le ventre du calmar, sous la tête aux
yeux placés latéralement, avec les deux bras ou fouets.
Le calmar
colossal
Photo 1 de 4 flèches montrant
, sous la « plume », les deux nageoires qui paraissent
constituer une seule flèche parce qu’elle sont vues soudées ensemble. On
note les poches au noir, ressemblant à des collerettes, bien visibles sur la 2e et sur la 4e.
Photo 2 Musée
de Bourail dont le nom (traduit
souvent par la queue du lézard ou du
Serpent de mer, raye) signifie en
réalité la « plume » du calmar.
Ailerons latéraux soudés par-dessus la plume qui se prolonge en
flèche et composant un premier « ventre » rebondi,
avec au-dessous à gauche un tentacule (il y en avait un
autre à droite, qui a été complètement cassé) et deux bras ou fouets de chaque côté avec des
guillemets fermés à gauche et ouverts à
droite symbolisant les crochets
des deux bras, bras
bien plus longs que les 8 tentacules ;
puis encore un tentacule, le 3e orienté
vers le bas (il y en avait, symétriquement , un autre , le 4e , à droite qui a
été cassé ) ; puis, la tête du calmar avec les yeux latéraux dont
l’un cassé en partie ; ensuite une
« collerette » , en réalité la poche au noir défensive du
calmar, un 5e
tentacules à gauche et un 6e à
droite dirigés vers le bas; enfin le ventre avec trois têtes de flèches qui sont autant d’hameçons et un rectangle avec double trait à gauche :
ce sont les deux derniers tentacules manquants, le 7e et le 8é Le quadrilatère vise à faire comprendre la souplesse des tentacules qui peuvent faire, et à deux
reprises chacun, des angles droits. A
noter que les deux bras ou plutôt la double série
de crochets acérés qui arment le bout
des deux bras sont représentés ici par
des guillemets ouverts et fermés. Les « guillemets » sont appelés maru
et désignent une ornementation qui se retrouve dans les conques de triton
accrochées à la flèche.
LE CALMAR GEANT (Architeuthis
dux).
Le calmar géant,
que les caméras d’une équipe scientifique japonaise ont réussi à saisir pour la
première fois en 2005 dans le Pacifique Nord,
a pu donner aussi des représentations : celles-ci ne présentent pas,
à première vue, les deux ventres rebondis, si caractéristiques du calmar colossal.
Photo 3 : le calmar géant, son bec avec la radula (racloir en latin),
sorte de langue râpeuse du calmar (la « cravate » de Leenhardt) et
sa poche au noir (la « collerette » de Leenhardt).
Il semble que, sous
la flèche, on ait un globe bien moins
important que celui du calmar
colossal, constitué en réalité , lui aussi, de deux nageoires ; puis les
deux bras aux extrémités tournées
vers le bas , dont une cassée ,
avec au-dessous le visage aux
deux yeux latéraux comme dans la
réalité (des trous de chaque côté) et le bec avec la mandibule supérieure et , à la mandibule inférieure, la
radula , sorte de langue triangulaire
, munie de dents et râpeuse (c’est
cette radula qui est appelée « cravate »
par Leenhardt).. Chez le calmar, la mâchoire inférieure dépasse la mandibule
supérieure, et elle est longue de 5 à 10 cm.
La « collerette »,
en réalité la poche au noir du calmar.
Il y a ensuite , sur
la flèche comme sur le schéma ci-joint,
au-dessous du bec, ce que
Leenhardt appelle la « collerette » , en réalité la poche au noir , une glande
productrice de mélanine,- enfin les huit tentacules , intacts ici , sauf les bouts des tentacules extérieurs, qui
sont à la hauteur de ce qui, pour l’artiste kanak , constitue une
seconde poche au noir , le foie pour
nous ou au moins une glande digestive comme les biologistes l’appellent de nos jours. .La poche à encre, équivalent du pancréas, est, chez le calmar géant, encastrée dans le foie, mais
telle n’est pas la représentation. . La poche au noir, en tout cas, est l’emblème du calmar.
La sculpture a été réalisée par un artiste qui n’avait peut-être
pas vu de ses yeux le monstre et qui n’avait pas les connaissances anatomiques
d’Aristote ; de là, à mon avis, le
fait qu’il ait pris le foie, appelé glande digestive dans le schéma ci-dessous, pour une seconde
poche au noir contribuant à l’excrétion de l’encre et qu’il l’ait représenté
dans le seconde masse transversale située vers la fin du corps du calmar.
Effectivement, la sépia est éjectée par
l’anus. Il est intéressant de noter qu’à l’époque mycénienne, deux mille ans
avant le christ et en Europe, la représentation était voisine , avec un bras en
haut ,au sommet de la tête 3 bras
restants dont certains, cinq, cassés,la
radula, et surtout un « ventre »
en bas chargé d’emmagasiner le noir (voir
mon blog sur la déesse syrienne, à dolmens et à Crète mycénienne, pour des
représentations sur la partie basse des talés qui peuvent refléter des œufs de seiche)
De là aussi le fait que
l’artiste mélanésien ait ajouté deux
yeux sur le front, si bien que les deux yeux
latéraux , représentés sur son
modèle et conformes à la réalité , faisant dès lors double emploi, soient devenus
des oreilles curieusement percées , absentes chez le calmar. .
L’œil du calmar
géant.
Heuvelmans écrit (Dans le sillage des monstres marins, tome 2, p.271) à propos de l’œil de ce monstre : « [Le fait ] que
[son cristallin] ressemble, tant par la
forme que par l’aspect, à une perle
avait été remarqué depuis bien longtemps, puisque des fouilles archéologiques
ont démontré qu’au temps des Incas, les Péruviens se servaient des cristallins
des grands céphalopodes à des fins ornementales et que les anciens Egyptiens en
mettaient comme yeux à leurs momies .A une époque plus récente, les
indigènes des îles Sandwich en vendirent comme perles authentiques à de naïfs
voyageurs russes. » On remarque aussi sur les masques calédoniens des
opercules à la place des yeux.
Les Tuamotous se servirent des cristallins
comme boucles d’oreille qu’ils remplacèrent
plus tard par des perles lorsque commença le commerce de ces parures
sacrées (taumi, etc.) vers Tahiti. Mais le port d’une perle, comme,
initialement, celui du cristallin, était un hommage au divin céphalopode
et à sa force divine. Il sera aussi plus tard symbolisé par l’opercule d’un
coquillage considéré comme l’œil du calmar
et porté en boucle d’oreille créole.
Dans la tribu de Méchin près de Kouaoua on a des flèches
faîtières similaires avec au sommet, les 8 tentacules dont certains sont cassés,
puis le motif losangé représentant les deux bras, les yeux bien excentrés, la
poche au noir qu’on peut prendre pour le nez, au-dessous la glande digestive, plus petite
et la radula, fort longue qu’on
peut prendre pour une langue tirée. . Photo n°3 bis.ci-dessus.
La couleur blanche suffisait
autrefois à marquer blanche suffisait autrefois à marquer le calmar comme
vivant.
Les couleurs du calmar.
Nous allons tenter de vérifier
la couleur de ce calmar divin et colossal grâce au livre passionnant de Bernard
Heuvelmans sur les calmars, Dans le
sillage des monstres marins, Le kraken et le poulpe colossal, tome second,
p. 298. Etant rappelé que ces monstres peuvent mesurer 20 m de long
et peser 700 kg, voici ce que ce cryptozoologue écrit à propos de la couleur
décrite par un observateur comme un manteau d’écarlate :
« Cette teinte
écarlate est familière à la plupart des
calmars d’une taille exceptionnelle. En
réalité il est impossible de définir la couleur des céphalopodes, car ceux-ci,
grâce au jeu des chromatopohores qui garnissent leur peau, en changent avec une
facilité surprenante.Ainsi les poulpes , qui , à l’état de repos, sont d’une
couleur gris verdâtre, marqués de taches ou de mouchetures rousses, ont le
corps parcouru de vagues multicolores quand ils sont excités : toutes les
nuances du rouge, du pourpre, du violet et du bleu déferlent sur eux en un
éclair et se fixent parfois en des marbrures très contrastées. ..Parlant d’un
calmar -flèche de la Méditerranée, Jean-Baptiste Vérany
écrivait : « Dans l’état
de vie, ce céphalopode est d’un blanc livide peu transparent, se nuançant
de bleu, de verdâtre et de rose irisé par des reflets argentés…Quand il a perdu
toute vitalité, et que le jeu des points chromatophores a cessé, sa couleur est
d’un rouge brique uniforme. » Il
n’est pas étonnant que les calmars géants trouvés moribonds sur une plage ou à
la surface de la mer, -ou même leurs restes mutilés,- aient souvent été décrits
comme d’un rouge plus ou moins éclatant. » Tel est le cas au Japon, où akkoro (de ligoro, l’enroulé, parfois le serpent) désigne le calmar super-
géant, Architeuthis dux et où il est
décrit comme de couleur rouge ».
Le motif dit de l’ « œil qui pleure » si répandu à la proue des pirogues
polynésiennes , , comme celui des « côtes
saillantes » prises pour un signe de famine, me semblent
refléter les bras du calmar super-
géant , comme le v des poteries
djomon .De même , certaines
figures géométriques des urnes ouatom comme celle du losange, renvoient
peut-être aux bras des
encornets
. Il y a ainsi comme deux
poches au noir sur la flèche, l’une correspondant à la poche au noir de l’animal, au- dessous du foie sur le schéma , juste sous
le menton sur la flèche, la « collerette » de Leenhardt,
la seconde
à la hauteur du bout des
tentacules et de l’extrémité du corps, le foie dans lequel la poche au noir est
encastrée sur le calmar, où l’animal,
selon l’artiste mélanésien, puise pour expulser
l’encre noire , la sépia destinée à se cacher de son ennemi et à aveugler
celui-ci.. A noter ce fait surprenant, -s’il est exact,-
que le nuage projeté épouserait, dit-on, la forme du calmar, pour achever de terroriser
l’ennemi.
A remarquer les
angles que forment à deux reprises ces tentacules, qui sont dotés
de la particularité remarquable de
pouvoir effectuer des rotations afin d’agripper et de saisir les proies.
Photo 4 d’une
flèche montrant six tentacules intacts
sur les 8 du calmar géant. Au-dessous
des ces 6 tentacules, on voit les
zigzags des deux bras du calmar géant ,
qui
représentent les rotations de ces tentacules entortillées. Il s’agit des
bras pliés et repliés avec leurs crochets.
Puis les deux nageoires.
Le visage avec des
trous latéraux pour les yeux, la collerette (la poche au noir), le
ventre avec une croix.
La croix sur le ventre, signe
qui se retrouve sur les pétroglyphes, représente
le nombril , euphémisme pour vagin
emprunté aux cérémonies de circoncision.
Photo 5
montrant 5 flèches faîtières appelées pwam-abaï,
le ventre (pwam) du
calmar (abaï). La 4e flèche à partir de la gauche
est celle étudiée ci-dessus, la 5e
montre le calmar colossal avec ses deux
ovales caractéristiques.
La 3e
montre d’abord 3 tentacules sur les 8, puis 7 passages des deux bras
(dans la réalité, rappelons-le, ils font
2 mètres de long), l’un des deux bras à droite se prolongeant longuement vers le
bas, l’autre étant cassé. Ces zigzags ou ce treillis losangé (maru)
représente les 2 bras. . Puis la « collerette »
(la poche au noir ) et enfin le ventre.
Le conte du poulpe et du rat,
répandu à Tiga ( le nom de Tiga vient de
tegan, nom du serpent de mer ou
calmar , cf. près de La Foa Tiha et le teganpaïk à la fin de l’article) et
dans le reste de la Calédonie , doit être le réaménagement et l’utilisation
technologique d’une ancienne légende destinée à expliquer le combat du calmar
géant (tiga) et du cachalot (l’absence de cheveux raillée dans le
conte , c’est-à-dire de tentacules ,nous amenant à songer au crâne lisse du cachalot) : le rat ayant été introduit par les bateaux européens, le nom du
leurre en forme de rat qui servait de piège pour piéger les calmars et qui
ressemblait plus à un calmar avec ses
tentacules (les calmars sont aussi agressifs vis-à-vis de leurs congénères ) qu’à un rat doit être récent.
La « plume » ou glaive
des calmars
La « plume » du calmar, constituée de carbonate de calcium,
est l’équivalent de l’ « os de seiche » des plages
calédoniennes : le pseudo- squelette de cet invertébré ressemble d’ailleurs
vraiment à une plume. Il a servi de modèle aux insulaires du Pacifique pour
leurs armes courbes, boumerangs, de bou et mere,
bras du calmar, ou autres, comme les patu-patu ou mere polynésiens. Tant il
est vrai qu’on a trop sous-estimé le rôle du monde sous-marin dans
les représentations de ces insulaires.
Les casses- têtes dits à bec d’oiseau ou à bec de tortue
Les casses- têtes dits à bec d’oiseau ou à bec de tortue
Les casse-tête dit à bec
d’oiseau n’ont rien de spécifique à la Nouvelle-Calédonie. On les trouve aussi
aux Fiji, aux Samoa, à Tonga…L’expression
bec d’oiseau vient de Leenhardt qui
l’a empruntée à Haddon et à la Papouasie
où ce type de casse-tête était d’usage courant, Il renvoie, selon moi, au bec de ces calmars colossaux, et ils seraient mieux appelés « casse -têtes à bec de calmar colossal » En langue Paici, à Ponérihouen ,
ils sont appelés goporo puwa rawerewa, . On reconnaît dans
puwa le nom ancien du calmar.. Otto Dempwolff établit pour la racine austronésienne du nom du
calmar la forme kwigwa, qui donne puwa en paîci
Les casses -têtes sont faits
de bois importé par les Européens comme l’acacia et sont donc récents. Il a dû y
avoir une erreur de traduction sur le mot oiseau (quel
oiseau calédonien a un bec pareil ?), qui semble signifier tortue ou plutôt tortue-
serpent, c’est-à-dire calmar.
Les chambranles.
On reconnaît sur les talés la poche au noir sous la forme d’une mince cordelette. Ce
qu’on prend pour une langue tirée dans la région de Hienghène est en réalité le
bec du calmar.colossal, ou plutôt la radula, sorte de langue du calmar très
râpeuse munie de dents. Ce qui surprend sur certains talés, c’est une sorte de nez
en bec d’aigle, très peu mélanésien : en réalité, c’était le bec du
calmar avec sa mandibule inférieure proéminente, dépassant la mâchoire
supérieure et longue de 5 à 10 cm.
Autres représentations.
Il a existé d’autres
monstres marins qui ont pu servir pour
d’autres représentations sur les flèches : l’anguille géante, le reptile
océanique géant qui a laissé son nom à Gosana (Ouvéa aux Loyauté, îles où le calmar géant
semble absent des flèches) : le mot gosana est parent du nom caraïbe d’un gros lézard, l’iguana,
et du goana ou goarge australien, sorte de varan . le gosana d’Ouvéa était-il un crocodile marin ?.Le varan a aussi inspiré certains pétroglyphes.
La hache ostensoir et le
tiki maori.
Origine australienne de la « hache-ostensoir »et du tiki.
Geza Roheim, dans Héros phalliques et sqymboles maternels dans
la mythologie australienne, p.315, a étudié après R. et C. Berndt dans la
région d’Ooldea en Australie, en provenance du sud-est, de Imbo, les objets les
plus sacrés et les plus sacrés des tribus de cette région d’Australie
occidentale du Sud et représentant :
A) les corps métamorphosés de Wati Kutjara, soit
1) une grande pierre en jadéite
vert foncé, effilée à ses extrémités et arrondie comme les planchettes
cérémonielles ; elle représente le corps concret de Milpali, le gpoana blanc(le lézard à barbe, Jew lizard, Amphibolurus barbatus, lequel présente une grande
variété de colorations : blanche, verte, etc. ;
2) une pierre similaire, en
jadéite vert foncé, représentant le corps de l’iguane ou en australien goana
noir (dragon d’eau, Physignathus
longirostris ou Physignathus lesueurii,) que les aborigènes appellent amunga quinia quinia. ).Serait-ce l’origine
du tiki maori ?
B) une planche Tjilbil, soit un
mince objet vert foncé en jadéite ; la planche cérémonielle a été découpée
dans un arbre dédié à un enfant issu des Watji Kutjara retrouvée par
l’enfant Walulu qui l’emporta avec lui dans la Voie lactée.
C) 13 œufs milpali de femmes iguanes,
-des pierres ovales, tachetées d’ocre rouge.
La cérémonie est un rite de
multiplication des iguanes junga et milpali. , analogue pour le but aux
pétroglyphes selon moi (voir mon prochain article).
On peut supposer qu’au cours
d’une migration due à la sécheresse les Aborigènes l’emportèrent en Calédonie,
où les reptiles en cause n’existaient pas. Ils a ménagèrent alors leurs pierres sacrées : ils mirent un manche
à la pierre verte et se servirent des 13 œufs de pierre pour provoquer le bruit
d’un bull- roarer lorsqu’on secoue le
manche, gardant sa forme sphérique à
laquelle ils adjoignirent au fil du temps ses huit courroies ou « tentacules ». Elle représenta le corps du calmar
avec ses huit tentacules. On l’appelle, dans la parlure de Canala na-kweta, où na est l’article, et où kweta
semblerait venir de la racine austronésienne kwigwa, calmar, ou encore dans d’autres parlures d’un nom apparenté, bwet ou i-bwet., ou encore kono ,
euphémisme signifiant la verte à cause de la couleur de la serpentine, ou
encore toki , de tigwo, de la racine kwigwa signifiant calmar, à rapprocher
du toponyme de Koutio)-Kweta,
« à la forme rebondie »,. Le nom de la carangue , toki, et celui de la hache- ostensoir sont identiques dans de nombreux dialectes.
La base renflée du manche (le corps du calmar)
représente le second ovale des flèches, c’est-à-dire la seconde poche à encre
(le foie en réalité).
On peut se demander si les
haches au disque noir (serpentine noire ou tourmaline noire locale) ne
représentent pas une ancienne tradition, à cause de la couleur de l’encre.
L’origine du tiki maori de Nouvelle-Zélande, en jade vert clair : soit une
plaquette de jade destinée à assurer la fécondité de certains reptiles
comestibles, ou bien un œuf d’iguane conformément à l’origine australienne de
la tradition, soit , peut-être, un mammifère marin mystérieux , le teganpaïk
,présent aussi en Calédonie, une
sorte d’otarie à long cou, parente de
l’ornithorynque, Megalotaria longicollis
Heuvelmans 1965.
Selon B. Heuvelmans, dans Sur la piste des bêtes ignorées,
p.133, tome 1, ce mammifère marin a été
entendu pour la première fois en 1801 en Australie.
« En juin 1801, le minéralogiste Charles
Bailly et ses compagnons de l’expédition de Nicolas Baudin s’enfonçaient dans
l’intérieur des terres après avoir donné le nom de leur bâtiment, le Géographe, à la baie de la côte
occidentale. Et soudain les voilà glacés de terreur par un rugissement terrible, plus bruyant
qu’un beuglement de taureau, et qui semble sortir des roseaux de la rivière des
Cygnes. Terrorisés, nos hommes ne demandent pas leur reste et s’éloignent à
toutes jambes. Mais il ne fait pas de doute à leurs yeux qu’une bête aquatique
formidable hante le nouveau continent. » Or, dans le nord de la
Nouvelle-Calédonie, Edouard Normandon a
raconté avoir entendu s’élever des
marécages de l’embouchure du Diahot l’effrayant rugissement d’un animal, et les Mélanésiens ont confirmé ses
dires, tandis que des métropolitains
incrédules se gaussaient et cherchaient à expliquer le phénomène par le cri d’un lion évadé d’un
cirque du temps des Américains ! Le nom de ce mammifère marin subsiste dans le nom de
la tribu littorale de Touho teganpaïk (de tegan, serpent de mer, et de païk,
« long-cou » du type du héron
des récifs (Ardea sacra albolineata). Cela correspond en
Australie au katenpaï (métathèse religieuse de tekan-, paï) ou tunatapan (de tutan, de tukan pan).Terenba en Nouvelle-Calédonie a la même origine :
la palatale g devient souvent r.
Ce mammifère marin
(Heuvelmans, op. cit. p.125, tome 2 , et Peter Costello, dans A
la recherche des monstres lacustres,
p. 233) pondrait des œufs mais
allaiterait ses petits comme l’ornithorynque et ressemblerait à une otarie à long cou, avec trois bosses,
caractérisée par une crinière blanche, et des rugissements rappelant ceux d’un lion.
Maoris et Polynésiens
semblent avoir été frappés par
l’allaitement maternel des petits
d’otaries à la surface de la mer, les pores des bosses diffusant le lait. Rien
d’étonnant dès lors si les tiki (nom
pouvant être apparenté à tegan ,tuka, serpent de mer) autrefois gravés par trois
dans des dents d’otarie aux Touamotou, en
gardent le souvenir, car on peut être tenté de
voir dans ces figures inexpliquées que constituent les tikis porte-bonheur de Nouvelle-Zélande la représentation d’un embryon d’otarie à long
cou, dans lequel les Polynésiens
voyaient le début de toute vie. Pour eux, le fait, à partir de
l’œuf cosmique, de passer à
l’allaitement emblématique des vivipares représente l’histoire de la vie, de son
origine à notre époque. D’autre part, le haka
(de taka, serpent de mer
?) peut imiter le cri du teganpaïk .
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