Les quelque
200 ou 300 tumuli de l‘Ile des Pins et les débuts de l’agriculture
préhistorique.
1 La découverte de leur intérêt par le professeur
de géologie Paul Avias en 1949.
C’est
dans « Contribution à la préhistoire de l’Océanie : les tumuli des
plateaux de fer en Nouvelle-Calédonie »,
Journal de la Société des Océanistes,
Tome 5, n°5, 1949, que Paul Avias attira
l’attention sur ces tumuli jusqu’alors méconnus ; sa description est toujours
valable : au centre une colonne de débris calcaires de coquillages,
parfois existent au sommet des trous.
2 Les diverses hypothèses : origine géologique,
origine animale, origine humaine
a) L’origine naturelle
Les
deux hypothèses d’une origine naturelle, géologique ou animale, des tumuli.
1) En Australie, on a trouvé des stromatolithes,
c’est-à-dire des colonnes calcaires
fossiles formées par l’activité de bactéries. Pascal Philippot, au CNRS,
Institut de physique du globe, Paris, a étudié ces bactéries très nombreuses
d’il y a 2,72 milliards d’années, vivant dans des lacs hypersalés et peu profonds et capables de se nourrir d’arsenic, malgré la toxicité de cet élément. Le seul
fait d’avoir déposé des détritus de coquillages sur le plateau de l’île des
Pins, comme sur l’îlot Koniene, pourrait
avoir stimulé l’activité bactérienne. On pourrait supposer que les
courants ou les vents ont accumulé des
terres latéritiques autour de ces colonnes.
Discussion.
Les trous de poteau signalés par Luc Chevalier , au
sommet des tertres , incitent, selon moi, à préférer une origine humaine.
2 L’origine
animale.
Des mégapodes
pourraient, selon les partisans de cette hypothèse, être
le bâtisseur du cylindre et du
tumulus.
1Worthy, Trevor H. (2000). "The
fossil megapodes (Aves: Megapodiidae) of Fiji with descriptions of a new genus
and two new species.". Journal of the Royal Society of New
Zealand 30 (4): 337–364. doi:10.1080/03014223.2000.9517627.
2 ,Worthy, T., Mitri, M., Handley, W., Lee, M., Anderson, A., Sand, C.
2016. Osteology supports a steam-galliform affinity for the giant extinct
flightless birds Sylviornis neocaledoniae (Sylviornithidae, Galloanseres). PLOS ONE. doi:
10.1371/journal.pone.0150871
3"Object: Fiji Scrubfowl, Megapodius amissus;
holotype". Collections on line. Museum of New Zealand Te Papa Tongarewa. Retrieved 2012-08-18.
Des spécialistes du Jardin des Plantes ont relié une
tradition de l’île des Pins que j’avais rapportée dans le bulletin de la SEHNC
, Société d’Etude Historique de la Nouvelle-Calédonie (« Deux oiseaux
fossiles de Nouvelle-Calédonie, bulletin n° 29, 2e tr. 1976, savoir
un oiseau noir aptère ,le du, et une
sorte de dindon) sur un oiseau fossile, à
l’existence d’un grand mégapode présent dans la partie indonésienne de la
Nouvelle-Guinée sur l’île Waigeo, localité de Jeimon (Aegypodius brujnii ou talégalle de Bruijin). Celui-ci constitue la seule espèce d’oiseaux qui ne couve pas
ses œufs mais, au lieu d’un nid, construit un
monticule d’incubation haut de 2 mètres avec toutes sortes de débris, si bien que, au centre, se forme un cylindre
organique sur lequel le mégapode dépose ses œufs et les recouvre de terre. Le
mâle porte trois caroncules rouges et une crête noire. Les mégapodes, en voie
d’extinction, étaient largement répandus aux Philippines, en Indonésie, en Australie, aux Fiji, et existaient à l’île des Pins, si l’on se fie à la tradition locale que j’ai rapportée.
Mais d’autres
zoologistes penchent aujourd’hui plutôt pour un rattachement au Mégapode noble
de Fiji, Megavitiornois altirostris, éteint, qui ne pouvait bâtir de telles
colonnes et de tels monticules, étant donné la configuration de ses pattes. Il
couvait ses œufs comme les poules qui lui sont apparentées. Cette hypothèse semblerait
donc devoir être également rejetée.
Note sur le
talégalle de Latham en Calédonie, Megapodius
mollistructor Balouet 1989.
On trouve ce talégale en Australie dans le nord du Queensland et dans
la Nouvelle- Galles du sud jusqu’à
Illawara. Or, ce dindon existait à l’île
des Pins et sur la grande Terre. Il y avait été aperçu par William Anderson (Notes manuscrites)
lors du second voyage de Cook et
celui-ci le nomma Tetrao australis, trouvant qu’il ressemblait aux
tétras d’Ecosse, précisant qu’il était noir,
sans plumes sur les pattes, à la différence du coq de bruyère ou grouse.
Ce mégapode fut encore aperçu en 1860 par Verreaux et des Murs qui
le décrivent comme un dindon des broussailles (les insulaires de Morari [Boulari] , au Mont-Dore, l’appelaient
ndino). Balouet, qui en a trouvé des ossements fossiles, l’appelle Megapodius
mollistructor, nouvelle espèce.
Le Sylviornis
neocaledoniae Poplin 1980, dont le statut est très
débattu, pourrait n’en être qu’une
variété (Mourer- Chauviré et Balouet, monographie de 2005)
Il ne faut pas confondre ces dindons de
grande taille avec le du des Kounié , une sorte de poule noire aptère Megapodius
eremita, analogue à des volatiles voisins aux Salomon (Megapodius
eremita, Mégapode mélanésien), au Vanuatu (Megapodius layardi) et en Papouasie (Megapodius decollatus).
Roheim, Héros phalliques…
, p.131, nous apprend qu’un pulapa (danse des hommes) pitjentara
correspond au mythe du totem du dindon australien apparenté au Megapodius
mollistructor, nouvelle espèce.
c) L’origine artificielle
On la trouvera exposée dans
l’article de J. Exbroyat : « Les tumuli de l’île des Pins, un système
d’irrigation ? », bulletin de la SEHNC n°146, 1er tr. 2006.
4 Mon hypothèse.
a) Les menhirs et pierres à ignames en
Nouvelle-Calédonie
La fonction première du menhir : un catalyseur
magique de la percée végétative.
James George Frazer, dans Le Rameau d’or, Balder le Magnifique, Ed. Robert Laffont,
collection Bouquins, Paris, 1984, 4 vol., vol .4, p. 98,
en donne un exemple : « Dans plusieurs parties de la Bavière,
on pensait que la hauteur des tiges de
lin dépendrait de celle des sauts des jeunes gens. » Au Vanuatu,
sur l’île Pentecôte, le spectaculaire saut du gaul (mot signifiant plongeoir),
toujours pratiqué malgré les accidents mortels et consistant à sauter du point le plus haut, est censé faire pousser les ignames d’autant plus profondément que le saut aura été accompli du plus haut
plongeoir . En Nouvelle-Calédonie existaient de très précieuse pierres
à ignames, sur lesquelles les sorciers faisaient encore, il n’y a pas si longtemps,
leurs conjurations secrètes pou faire
croître celles-ci. Ces pierres à ignames étaient les équivalents en miniature
des pierres pour l’orge, le sésame ou le blé qu’étaient les petits menhirs en France.
Dans le nord de la Nouvelle-Calédonie, à Arama, il existe même une quarantaine de petits menhirs dépassant
du sol de 60 cm environ : eux aussi, comme les plongeoirs de l’île
Pentecôte, sont censés favoriser
magiquement la croissance en profondeur des tubercules souterrains des ignames.
Il existe aussi des sortes de menhirs à Cradji près de Poya (connu des préhistoriens pour la
curieuse hache préhistorique dite de
Poya) et à Païta,où l’on note la présence de
trois tumuli. On trouve aussi dans
la vallée de la Tchamba des tumuli qui présentent, par rapport à ceux de l’île des Pins ou de
Païta, la particularité d’être clos
d’une enceinte de pierres circulaire.
A l’île
des Pins, notons les toponymes N’Ga et Gadgi (ces deux derniers se
retrouvant à Païta et e nom de Gadgi évoque
celui de Cradji près de Poya).
Le nom de Gadgi à Païta évoque celui de Cradji près de Poya , et Cradgi
semble bien être un nom de ces monticules préhistoriques de coquillages appelés kaizuka
au Japon et sambaqui au Brésil.
D’où viennent les mots gadji ou cradji. ?
Ils sont apparentés à l’aïnou kai,
coquillage, avec un suffixe de collectif ainou en –ki.
Au singulier, sans le suffixe de collectif
–ki, on a la forme N’ga (venant de kai), le
pic de 250 m de l’île des Pins , à
rapprocher de celui de Païta du même nom
, tous les deux ayant été comparés à
un coquillage pointu.
b) La culture de l’igname, le rôle de la perche à
igname ou tuteur .
L’igname a été introduite à
partir du Japon par les Aïnous (cf. Avias) ou Djomons. C‘est une plante qui
aime la chaleur et peut mesurer jusqu’à 5 mètres au-dessus du sol, aussi est-on
en droit de déduire que le tertre et son tuteur devaient originellement mesurer
quelque 5 mètres. On réputait que plus la plante croîtrait haut, plus le
tubercule souterrain serait gros et long. Mais les tiges sont flexibles et
fragiles, si bien quelles doivent être tutorées pour résister au vent.
De là les trous, au sommet des buttes, où était plantée une perche dont
parle la tradition. La perche était aussi le symbole magique de l’igname.
Nos épis de faîtage au nom
symbolique reposaient sur la même croyance que, grâce à ces talismans placés en
hauteur les récoltes croîtraient aussi
haut que ces ornements. L’érection d’un
menhir avait ainsi pour but de mimer
analogiquement la pousse de l’orge ou de
l‘igname, de la stimuler et de la favoriser par magie
imitative. Frazer, op. cit, vol. III, Esprits
des blés et des bois, p. 26, écrit
du « Dionysos de l’arbre »
que « son image n’était souvent qu’un poteau planté en terre, sans bras
», imitant très grossièrement
l’arbre fruitier , ici le cep de vigne, qu’il s’agissait de faire
pousser par sympathie.
c) La mort préalable à la renaissance de la
semence végétale
Le grand secret des
menhirs, ou la problématique
fondamentale de la représentation du blé ancien et du blé nouveau dans les menhirs
et ses diverses solutions.
Voltaire
a raillé ce qu’il appelait l’ignorance botanique du Christ lorsque celui-ci
déclare dans Jean 12, 24: « si
le grain de blé qui est tombé en terre ne meurt, il reste seul; mais
s’il meurt, il porte beaucoup de fruit ». Pourtant, le Christ se faisait là l’écho d’une croyance
populaire universelle : le grain ne pouvait germer que s’il mourait
d’abord !
Il faut donc que la mort du
grain, condition de tout, soit symbolisée,
d’une façon ou d’une autre, dans le menhir qui représente la germination du
grain. La solution pratiquée à Göbekli en Turquie (-10000), à Minorque aux
Baléares , en Ethiopie, a consisté en l’adjonction au sommet du menhir
d’une dalle horizontale figurant le grain mort. Ici, les tas de coquillages morts symbolisent cette mort préalable et ont contribué à
l’édification de la concrétion calcaire en forme de colonne au centre du tertre
avant qu’elle ne soit enterrée avec de la terre des proches environs. On peut
se demander d’où vient cette étrange idée de la mort précédant la renaissance ; peut-être est-ce la
considération du germe du cocotier, issu d’une noix verte et vivante qui doit
se dessécher pour que le germe jaillisse de cette pourriture du coco sec.
On connaît la solution de Göbekli en Turquie
(-10000) ou des Baléares: placer sur le fût du menhir une dalle symbolisant le
blé mort. La solution de l’île des Pins semble avoir consisté dans la stèle
centrale du tertre, faite de coquillages morts
compactés et fermentés grâce à l’action des bactéries.
1 Ilot Koniene cf. Kunie, le nom de l’île des
Pins : les deux toponymes signifiant l’île des coquillages morts.
a)Les monticules de coquillages de l’îlot Koniene.
J’emprunte à Max Shekleton
(Bulletin de la SEHNC, n°158, 1er tr. 2009, « « Walkabout
du 14 juillet 1941, sur l’îlot Koniene en Nouvelle-Calédonie, par Wilfred G. Burchett ») la description
suivante :
« Alors que nous traversions l’île vers la côte
faisant face au récif, nous avons rencontré des hectares et des hectares de coquilles en tout genre y compris
des huîtres, des bénitiers, des conques et bien d’autres coquillages qui me
sont inconnus, des monticules entiers
formés de masses compactées de ces coquillages. Mon guide [originaire de Lifou]
m’indiqua qu’on les trouvait jusqu’à une profondeur de deux mètres. Deux mille tonnes ont déjà été prélevées pour en faire de la chaux et l’impact sur la ressource est insignifiant ; mon
hôte [Jules Calimbre] est convaincu
qu’elles représentent des siècles d’accumulation alors que l’île était un lieu de festins pour les indigènes se rendant
au récif à marée basse, récupérant les coquillages par pirogues entières
et revenant sur l’île pour un festin et
un pilou- pilou… « Mais ce n’était pas seulement un lieu pour
festoyer », mon hôte interrompit ainsi mes pensée. « Venez par
ici ! ». Et, en me retournant,
je remarquai un grand banyan. Nous nous en approchâmes lentement, les
coquillages s’écrasant en poudre sous nos pas. A l’ombre, sous les racines du banyan, se trouvait une possibilité
d’explication horrible pour ces festins.
Des os blanchis y étaient éparpillés et, scrutant la pénombre, je
pouvais voir les orbites vides de crânes humains. Lisses, gris et polis, il y
en avait à tous les stades de conservation, certains dont les dents étaient intactes.
Il y avait des os de bras et de jambes, certains avec des traces de fractures.
En certains endroits, les racines et les branches avaient entouré les ossements
humains, -bien implantés dans le bois de l’arbre, -laissant supposer que les
corps avaient pu être placés sur l’arbre même. « Il y avait des
centaines de crânes quand je suis arrivé, mais les Javanais les ont dispersés
et jetés. Pas les indigènes. » Le guide de Lifou
apprend au journaliste qu’il ne s’agissait
pas de cannibalisme, mais de tombes parmi
ce cimetière de coquillages morts .
b) Au Japon
dont viennent selon Avias les constructeurs de ces tertres : des dépôts de coquillages sont n également associés
aux tombes.
Chez les Djomons ou Aïnous du Japon, c’est sous le tumulus que se
trouvent les ossements.
On peut d’abord songer aux kanjo dori qui sont des tumuli abritant
des sépultures collectives, d’une hauteur allant jusqu’à 5 mètres et d’un
diamètre de 30 à 75 mètres ; le
montant de terre est estimé à 300 m² : il a fallu 25 personnes
travaillant pendant 123 jours pour
remuer cette terre en provenance du puits funéraire voisin, un homme remuant 1
mètre cube par jour .Ces tumuli sont associés à des dépôts coquilliers du
Djomon final. Il y a 14 kanjo dori contenant
de 1 à 21 puits funéraires à Kiusu près
de Chitose.
Au Japon préhistorique, à Terano–
Higashi, on compte 127 dépôts
coquilliers (et 804 dans la région
entière), nombre qui serait plus
proche du nôtre : 200 ou 300 tumuli à l’île des Pins. Il y a 1108 dépôts djomons au Japon: d’autres
avancent le chiffre de 4 000 mais en comptant des dépôts de période plus tardive.
Les archéologues japonais pensent qu’il s’agit
au départ de détritus d’ordures qu’on aurait transformés, au fil du temps, en
tumuli funéraires.
c) A l’île des Pins, c’est à Vatcha,
qu’on a trouvé des poteries lapita. Or, ce toponyme évoque le catcha de Lifou, c’est-à-dire ces débris
coralliens qui ont donné à Gaitcha (Lifou)
son nom, et il est intéressant de voir
associées poteries lapita (servant comme
urnes cinéraires ?) et débris
coquilliers.
Il faut décomposer les mots Vatcha, Gaitcha ou catcha en un mot
signifiant coquillage en langage aïnou,
kai, et un suffixe de collectif en –ka :
on a kaika, puis Gaitcha.
d) L’évolution de la culture des ignames.
Les cultivateurs d’ignames
s’aperçurent rapidement que, avant la récolte du tubercule et comme indice de
sa maturité invisible, la partie aérienne de la plante jaunissait, se
flétrissait, c’est-à-dire, en quelque sorte,
mourait. Il pouvait donc être inutile de construire, pour renvoyer à la
mort préalable, ces colonnes de coquillages morts. De là l’avènement des
pétroglyphes qui sont des menhirs sans le renvoi à la mort préalable, comme les
pétroglyphes du pic N’Ga à l’île des Pins.
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