L’ETUDE DU PRINCE LOUIS-LUCIEN BONAPARTE SUR LES DIALECTES CORSES.
Dans mon blog sur la toponymie corse d’origine basque,
j’avais cité l’étude parue en 1877 dans les Annales
de la Corse, p.51-55 du prince Louis- Lucien Bonaparte sur les toponymes
corses d’origine basque, précédée et suivie d’un essai du docteur A. Matteï, et
intitulée Remarques sur les dialectes de
la Corse et sur l’origine basque de plusieurs noms locaux de cette île, mais
je n’avais pas retrouvé la photocopie du texte dans mes papiers. Un rangement m’a fait
retrouver son texte.
D’abord, qui est le prince Louis- Lucien Bonaparte ?
Fils de Lucien Bonaparte (la psychanalyste et amie de Freud qu’elle protégea
courageusement au moment des persécutions antisémites en favorisant son exfiltration
hors d’Allemagne, Marie Bonaparte, auteur des traductions de Freud et d’une
magistrale étude sur Edgar Poë , descend elle aussi de Lucien), élu député de Corse, ce polyglotte est un grand
linguiste et un spécialiste du basque, en particulier de la classification des
dialectes basques. Il a publié de nombreuses traductions en basque et en corse
des Evangiles.
Le classement des
langues italiennes du Prince Bonaparte.
Il distingue , dans les langues indo-européennes , une branche
gréco -albano- latine, divisée en trois branches (grec, albanais, latin) ;
la branche dite latine est divisée en deux groupes : groupe italique comprenant le latin et les langues dites romanes
dérivées : l’italien, le sarde,
l’espagnol, le portugais le valaque ou
roumain ;
Le groupe roman
comprenant : le français, le roman
espagnol ou catalan ; le roman français ou provençal ;le roman suisse
ou grison ;le roman carnique ou frioulan, le roman italien ou gallo- italique.
Familles italiennes : 1 la tosco- latine ; 2 la napolitaine ;
3 la sicilienne ;4 la vénitienne ;5 la génoise qui sert à relier la
langue italienne au gallo- italique que
le prince regarde comme une langue indépendante dérivée du latin, sœur de
l’italien, du sarde non- septentrional ou sarde propre, de l’espagnol, du
portugais,du valaque ou roumain, du français,du catalan qu’il sépare du
provençal, du provençal, du grison dont
il sépare le frioulan ,
A La branche toscano- romaine comprend :
a) le toscan qui est la base de l’italien dans sa variété florentine ;
b) l’arétin (Arezzo,
Cortone, etc .)
c) le pérugin et le sicilien ;
d) l’ombre (Spolète, etc.)
e) le dialecte de la région d’Ancône (excepté Ascoli
et quelques autres localités) ;
e) le
romain ;
f) le dialecte d’Aquila ;
g) le corse d’en
deçà des monts, dans ses variétés de Corte, d’Alessani (avec son o final au lieu de u), de Bastia, de Rogliano,
etc ;
B Lla branche
sardo- corse, qui est représentée par le dialecte sarde septentrional de
Sassari et par ses codialectes, le sarde septentrional de Tempio et le corse d’au-delà des
monts parlé à Ajaccio, à Sartène, à Bonifacio, etc.
Les deux dialectes corses, quoique appartenant à
deux branches différentes de la même famille, servent toutefois à les relier,
car il est évident que si le corse d’Ajaccio se rapproche du sarde de Tempio,
beaucoup plus que du sicilien proche du pérugin, il ressemble aussi au corse de
Corte qui, à son tour, est presque un dialecte toscan. C’est par le système phonétique
que les deux dialectes corses se distinguent. C’est ainsi que la finale i des
singuliers ; le son particulier (une cacuminale) que, faute de signe, on exprime tantôt par
dd, tantôt par dr ; la fréquence de l’autre son [ghj ], propre au sarde de
Tempio et au corse d’Ajaccio,séparent, du moins dans leur ensemble et dans la
majorité de leurs variétés, le dialecte d’au-delà de celui d’en- deçà des
monts.
Mon père né à Ajaccio , mon grand-père né à Vezzani, ma grand-mère née à
Pancheracci et qui ne parlait pas français
et ne savait pas écrire avaient
pour langue maternelle une parlure d’au-delà des monts. Pour eux, le
corse était leur langue maternelle, mais aujourd’hui je crains que le corse ne
soit devenu un argot, c’est-à-dire un moyen de communiquer sans être compris
des témoins indésirables.
Les publications
en corse du prince et de Matteï.
Matteï publia en 1867 dans l’Avenir de la Corse un recueil
de proverbes corses précédé d’une introduction générale sur la parlure corse.
Le prince avec qui il entra alors en relation lui montra l’Evangile de Saint
Matthieu traduit en corse qu’il avait fait paraître en 1861.mais Matteï se
récria et lui dit que ce n’était pas là le dialecte de l’île ; que cet
évangile se rapprochait tout au plus du dialecte parlé du côté
d’Ajaccio .Il lui dit que le nord, l’est et de l’ouest de la Corse
parlaient un dialecte bien plus italien. En effet, lui répondit le prince, cet évangile
avait été écrit sous la direction de M.
Friess et, l’ayant montré à M. l’abbé
Casanova, celui-ci l’a, hélas ! corrigé en y supprimant les idiotismes
d’Ajaccio et en faisant une langue plus générale.
Le prince manifesta au docteur Mattei le désir d’avoir le
même évangile en dialecte de Corte et pour cela Mattéi appela un homme et une
femme de Corte,sous la dictée desquels il écrivit cet évangile , lui-même étant
d’ailleurs de Corte,.
Etant donné que Humboldt, Mérimée et le prince Bonaparte sont
les seuls à avoir suggéré les affinités basques de la toponymie corse,
je crois utile de donner ci-après les 25 rapprochements donnés par le prince
qui complèteront mon blog sur la toponymie corse d’origine basque :
1Forêt d’Aitone,
rapproché d’aiton, aitona, génitif aitonaren, qui signifie grand-père en
basque guipuscoan et désignait ici l’équivalent du dieu Saturne. Mérimée le
rapprochait du basque aitz ona, le bon
rocher.
2 Village et commune d’Arro
, à rapprocher de l’adjectif arro
qui en basque signifie vain, orgueilleux ; cf. Arros, commune de
Larceneau- Arros- Cibits dans les
Pyrénées atlantiques et Arros d’Oloron , commune de Asasp- Arros, Arrosès,
Arros- de- Nay. Note du prince :
L’adjectif arro, orgueilleux, appliqué à une localité corse rappelle le nom
local Mont-orgueil appliqué à une rue de Paris [Ier et 2e
arrondissement]; et originellement à une tour et à une montagne.
3 mont Artica , à
rapprocher du nom basque du village d’Artica en Navarre, qui signifie friche , lieu défriché, cf. les nombreux Artigue en
Provence .
4 commune d’ Asco, à
rapprocher de asco , qui signifie
beaucoup, plusieurs, donc (la ville) importante, peuplée, (finale augmentative basque –asca , dans l’espagnol peñasco,le
gros rocher, de peña, rocher).[A
rapprocher du marqueur basque de pluriel
en –aka, qu’on retrouve en aïnou,la
langue des blancs indigènes japonais , kem-aki, les pieds].
5 mont Asto, à
rapprocher de asto, qui signifie
âne, latin asinus, lieu où paissent
des ânes sauvages.
6 commune de Bilia,
à rapprocher du basque belia, corbeau. Le mot bele, corbeau, se trouve aussi dans Bel-asco-ain, village de Navarre. Bel- est suffixé de - asco, plusieurs, et le mot se termine en
–ain, synonyme très usité de -aren, morphème de génitif , de
sorte que Belascoain veut dire , à la
lettre, la ville hantée par de nombreux corbeaux ; Belaunza, village du Guipuscoa ; Belunza, village d’Alava ; Belaya,montagne
de Navarre, paraissent, eux aussi, renfermer
le mot bele [de launza,, rocailles avec un -a de
collectif, cf ; Zonza, de launza, par prolepse et métathèse.
7 étang de Creno,à
rapprocher du nom du bourg de Cerain en
Guipuscoa ( nom qui signifie la ville à la mare) ;à rapprocher du mot grec , d’prigine basco- ibère, krènè ou éolien kranna , fontaine, krounos,source, vieux norrois hronn, flot.
8 commune d’Ersa, à
rapprocher du basque ertza qui signifie le bord, l’orée, la
limite ;
9 commune de Ghisonaccia,
interprété comme le mauvais Ghison, mais en réalité à rapprocher du pluriel
basque en –ac , guizonac,
les hommes, la tribu ,les
tribus.
12 Ghisoni, à
rapprocher de guizon, singulier,
homme, peuple, tribu ; ;
13 étang de Goria,
à rapprocher du basque gorria, guria, adjectif signifiant
rouge ou le mou (partie de la viande, poumons) en Guipuscoa .Le rouge est une
allusion à la couleur du dieu ancien des Ligures et des Basques, savoir un
poulpe géant.Architeuthis dux, voir
mon blog sur le s0repent de mer et la flèche canaque.
14 commune de Guitera,
à rapprocher du bourg de Guetaria en
Guipuscoa, ou Guéthary dans les
Pyrénées –Atlantiques ; ;
15 le mont Lincinosa, à rapprocher du nom du village de Linzoain en Navarre, nosa
étant une adaptation de ain, morphème
basque de génitif devenu suffixe
adjectivant, et de la ville de Lancia
en Tarraconaise. Radical linc-, lac, mare.
16 la commune de
Lozzi, à rapprocher des noms de villages
Loza (avec suffixe de
collectif en-a) en Navarre et en
Alava.cf .lausa, pierre plate,
ardoise.
17 les deux communes corses d’Ocana , de
alcana(ra),ancienne
Aucana(ra) de Strabon au Ier siècle,, et
d’ Occhiatana, de ocarana , à rapprocher du mot basque désignant la prune, ocarana
en biscaïen, et du nom de la commune d’Alcanar en Catalogne , métathèse d’alcarana qu’on retrouve dans la corse Ocana, de alcarana, puis alcana(ra), la dernière syllabe
s’amuïssant en corse.
18 mont Orba dans
Vagliorba [et Urbalaccone, le
fleuve basque (radical ibère urba, fleuve, rivière, cf.le nom de l’Ebre), qui
appartient à une tribu basque,
basque apparaissant ici sous la forme –laccone pour Vascone,
Gascon, Basque] à rapprocher du nom de la vallée d’Orba en Navarre.
19 rivière d’Oso, à
rapprocher de oso, entier, tout entier. Le mot latin totus, tout entier, se retrouve dans les
mots Teuton ou Deutsch et désigne le
peuple rassemblé.
20 commune d’Ota,
à rapprocher de ota, ajonc en
biscaïen avec suffixe basque de collectif en -a. .
21 monts Ovace, à
rapprocher du nom du bourg d’Obanos en
Navarre.
22 commune de Scata, à
rapprocher de ezcata, écaille de
poisson [francique skal (j) a, tuile, lieu argileux];
23 communes de Sari
d’Orcino et de Sari –Solenzara,
à rapprocher de sari, prix,
récompense, valeur, et de Sare, village en Labourd. Le nom
signifie le lieu qui est de valeur(
diminutif Sarrola)
24 commune de Tavaco
à rapprocher de ville de Tabar, en
Navarre ; à rapprocher du nom de la commune de Tavère et du nom de la rivière le Taravo, métathèse de tavaro,
cf le nom de la Tarraconaise .
25 rivière Tartagine, à rapprocher de la rivière Tartanga en Alava [et de Tartesse,Carghèse].
Le prince n’a pas
consulté la toponymie de la Tarraconaise. Je l’ai fait et m’en suis inspiré pour mon blog sur la toponymie
corse d’origine basque.
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