Essai sur les énigmes des flèches faîtières de Nouvelle-Calédonie (version corrigée) .
Les théories psychologiques
primitivistes ont tenté d’expliquer,
par l’étalement de la face et de
la nuque sur un plan horizontal unique, les formes énigmatiques des flèches faîtières de Calédonie. Ainsi, Leenhardt,
dans Notes d’ethnologie calédonienne,
écrivait en 1930 : « j’ai longtemps interrogé pour connaître le
détail de ces figures grotesques…La large plaque en bas est le ventre, au-dessus la cravate et le menton, puis les oreilles,
le front, la fronde…La large plaque finale d’où s’élève la
flèche représente la nuque [arrière du visage], allongée sur le même plan que la face.
C’est, en effet, la vision qui préside
au dessin d’enfant où les parties invisibles [l’arrière du crâne sont
surajoutées sur le plan des parties visibles. » Le pasteur avait
utilisé des travaux sur la Papouasie britannique : de là le nom de cassse- tête à bec d’oiseau ( clubs with
bird’s head -and -neck pattern), terminologie impropre pour la Calédonie, empruntée à Alfred Cort Haddon, The decorative Art of British new
Guinea :a study in Papuan
Ethnography, 1894, réimprimé (p. 181, clubs
with bird’s head -and -neck
pattern ), et surtout,
pour ce qui nous concerne ici, la
théorie exposée , p.137 de l’ouvrage de Haddon , à propos des dessins « géométriques »
dérivés des humains. Pour Leenhardt, « il n’y
a aucun doute que ces motifs [géométriques] sont dérivés de visages
humains qui ont été comprimés latéralement et développés verticalement en raison des
exigences d’un espace restreint et de la difficulté de sculptures plus
réalistes sur de telles étroites baguettes » (les flèches faîtières ).
Eliane Metais résume très
honnêtement , dans L’art néo-calédonien , le problème de cette flèche faîtière qu’elle qualifie d’emblée de géométrique. Il s’agit « essentiellement de dessins géométriques en forme de losanges étriqués
: on ne peut en retrouver les éléments, les indigènes
réinterprétant par analogie les figures
qui la constituent, car toute sculpture
change d’âme au cours des années… Personne
ne peut en donner la traduction… Toutes les suppositions sont possibles, aucune
certitude n’est permise, car les porteurs de cette culture ont disparu. »
Oui, si cette culture n’est pas celle
des ancêtres immédiats des kanaks, mais de premiers colonisateurs de la
Grande Ile.
Il ne faut pas avoir peur de dire que, même à
l’époque de Leenhardt, les insulaires ne pouvaient plus comprendre cet art dont ils ne voyaient plus guère les
modèles dans la nature. Les sculpteurs recopiaient
un modèle et le rectifiaient sans
vergogne au nom de la vraisemblance, car ils n’avaient pas vu par eux-mêmes les
monstres en cause ; ainsi , ne sachant pas que les céphalopodes avaient des yeux latéraux , et non frontaux comme les
nôtres (et c’est effectivement bien étonnant), ils transformèrent les yeux
de leurs modèles en oreilles placées de
chaque côté de la tête , les perçant même pour qu’on les identifie comme
oreilles, et rajoutèrent deux yeux
superfétatoires au milieu de la face ! L’hypothèse que j’ai exposée en
1982 dans le bulletin n°53, 1er trimestre1982, de la Société d’Etudes Historiques de
Nouvelle-Calédonie (Le symbolisme de la
flèche faîtière) se rapportait à une
ré- interprétation moderne de la flèche, comme chez celle du grand écrivain calédonien Jean Mariotti, tandis que ce qui va suivre tente d’en exposer le sens originel, grâce aux découvertes
récentes de la zoologie marine. Au surplus, le premier schéma de la
flèche n’a pas obligatoirement été dressé en Calédonie, mais date peut-être
d’avant les migrations dans le nord du
Pacifique qui aboutirent à la Grande Ile.
Il faut le préciser : les motifs des flèches varient dans le temps
et dans la géographie et aucune explication ne vaudra pour toutes. Mais, en
tout cas, ce qui frappe l’observateur des flèches conservées au Musée de
Nouméa, c’est une symétrie binaire, qui fait songer à une représentation du règne animal. Je diviserai en trois parties
géographiques ces mystérieuses
représentations : une première partie représentant le calmar géant, Architeuthis dux, à Bourail par exemple,
une deuxième représentant le calmar colossal, Mesonychoteuthis hamiltoni ,
pour la région de Ponerihouen , de Canala, et de Païta ; une 3e pour
la région de Hienghène et d’Ouvéa (représentation d’un crocodile disparu , Trilophosuchus
rackhami Willis).
1) Le calmar géant,, que les caméras d’une équipe scientifique
japonaise ont réussi à saisir pour la première fois en 2005 dans le Pacifique Nord, a
inspiré des représentations : les caractéristiques de
celles-ci sont une sorte de « crinière »
de huit tentacules au-dessus de la tête
, (l’animal est en chasse), deux yeux
latéraux et non frontaux qui ont été percés secondairement pour ressembler à
des oreilles , mais ce qui distingue
surtout le calmar géant du calmar
colossal , c’est l’absence des deux
ventres rebondis à peu près égaux en superficie et l’existence
d’ un seul ovale (la poche au noir),
très important, avec un orifice
d’expulsion de la sépia ou encre , et au-dessous un arc de cercle figurant la
queue .
Photographie d’une flèche de
la région de Bourail dont le nom doit s’interpréter la crinière du calmar (bou)
par opposition à la flèche proprement dite, montrant six tentacules intacts sur les 8 du calmar géant. Au-dessous des ces 6
tentacules restants, on voit les zigzags
des deux bras du calmar géant
(tentacules diversifiés au cours de l’évolution, et plus longs que les autres) , représentant les rotations de ces sortes de
fouets entortillés , comme on appelle aussi les deux bras. Au-dessous de
cette ligne en forme de treillage, on
peut discerner ce qui constitue les
nageoires ou ailerons , puis le visage avec les yeux latéraux, (et non
frontaux) , ensuite le pancréas en arc de cercle, sécrétant la mélanine qui
compose la sépia , celle-ci s’accumulant dans l’énorme poche au noir ou ventre ,
enfin le début du « glaive »
osseux ou « plume » du calmar (l’ « os de seiche ») se
prolongeant en un arc de cercle qui
figure la queue du calmar.
Ci-dessous,
photographie des tentacules qui sont représentés dans la
« crinière » de la flèche.
Autre photographie montrant 5
flèches faîtières de la région de Ponérihouen appelées pwa-ma-baï, ce qui signifie le ventre du calmar. La 3e montre 7 tentacules
sur les 8, formant par leurs replis une
sorte de treillis plus ou moins losangé, appelé maru.
La 5e permet de
les comparer à la flèche représentant le
calmar colossal avec ses deux ovales caractéristiques.
Les
couleurs du calmar.
Nous
allons tenter de vérifier la couleur de ce calmar grâce géant grâce au livre passionnant
de Bernard Heuvelmans sur les calmars, Dans
le sillage des monstres marins, Le kraken et le poulpe colossal, tome
second, p. 298. Etant rappelé que ces monstres peuvent mesurer 20 m de long et peser 700 kg, voici ce
que le célèbre cryptozoologue écrit à propos de la couleur qu’un observateur antérieur avait décrite comme
un manteau d’écarlate :
« Cette teinte
écarlate est familière à la plupart des
calmars d’une taille exceptionnelle. En
réalité, il est impossible de définir la
couleur des céphalopodes, car ceux-ci, grâce au jeu des chromatophores qui
garnissent leur peau, en changent avec une facilité surprenante. Ainsi les poulpes,
qui, à l’état de repos, sont d’une couleur gris
verdâtre, marqués de taches ou de mouchetures rousses, ont le corps
parcouru de vagues multicolores quand ils sont excités : toutes les
nuances du rouge, du pourpre, du violet et du bleu déferlent sur eux en un
éclair et se fixent parfois en des marbrures très contrastées... » « Parlant d’un calmar -flèche de la
Méditerranée, Jean-Baptiste Vérany écrivait : « Dans l’état de vie, ce céphalopode est d’un
blanc livide peu transparent, se
nuançant de bleu, de verdâtre et de
rose, irisé par des reflets
argentés…Quand il a perdu toute vitalité, et que le jeu des points
chromatophores a cessé, sa couleur est d’un
rouge brique uniforme. » Il n’est pas étonnant que les calmars
géants trouvés moribonds sur une plage ou à la surface de la mer, -ou même
leurs restes mutilés [par leurs prédateurs, calmars colossaux, cachalots ou crocodiles, ont été décrits comme d’un rouge plus ou moins
éclatant. » Les Mélanésiens avaient
été dans ce cas et la flèche a pu être peinte en vert ou en rouge,
sauf lorsqu’ils voulaient indiquer que le calmar magique de bois était
toujours en vie en le peignant en blanc;
ainsi, dans la tribu de Méchin, près de Kouaoua (c’est le nom du calmar), on
voyait sur la case du chef un fût circulaire très simple avec une tête
(collection privée),et au sommet les
deux conques de triton qui étaient
accrochées au fût , symbolisant par
leurs décorations en forme de stries (maru)
les deux bras du calmar géant avec leurs
ventouses. .Pour ceux qui douteraient de la peinture , rappelons que les
temples de l’Antiquité étaient peints de couleurs vives et que dans le
Morbihan, des traces de polychromie sur les mégalithes ont été révélées à lumière blanche grâce aux
travaux de Philippe Gouézin qui disait : « Pourquoi ,y aurait-il des
traces de peinture en Espagne et au Portugal
et pas en Bretagne ? »
La hache dite ostensoir
Le disque,
vert le plus souvent, de ce qu’on appelle hache mais qui est plutôt une main de
justice, un sceptre indice du pouvoir suprême, est en principe pourvu de huit cordelettes , comme il y a 8 tentacules.
On l’appelle, dans la parlure de Canala na-kweta, à rapprocher de Nakéty, où na
est l’article, et où kweta semble
venir de la racine austronésienne kwigwa,
calmar (cf. Kouawa), ou encore,
dans d’autres parlures, d’un
nom apparenté, bwet ou i-bwet,
ou encore kono , euphémisme
signifiant la verte à cause de la couleur de la serpentine, ou encore toki , de tigwo (cf. le nom de Tiga)
de la même racine kwigwa signifiant calmar, littéralement
ensemble de tentacules, cf . le
japonais jomon –doki , doki ayant le
sens de cordelette et qui est à rapprocher du toponyme de (Koutio)-Kweta.
Le nom de la carangue, celui de
l’encornet et celui de la hache-
ostensoir sont identique dans de nombreux
dialectes. Toki, le nom de la
carangue (traduction variable de Leenhardt selon ses informateurs ;
d’autres fois : mulet) n’est pas
une homonymie ; s’agit-il de la carangue iridescente , ainsi
nommée à cause de sa couleur rappelant
les reflets nacrés du calmar ? En
tout cas, son nom apparaît expressément rapporté à certaines flèches ; mais
à mon avis c’est plutôt le poisson –perroquet, Scarus vetula,
une
métonymie due au bec de ce poisson et à l’analogie entre la sépia et le mucus excrété par les poissons- perroquets.
Cette matière visqueuse est libérée la nuit et crée une couche protectrice sur le corps du
poisson. Un poisson-perroquet, nous dit Wikipedia, met en moyenne 30 minutes
pour synthétiser cette couche et pour l’éjecter. Le mucus sécrété ayant une odeur et un goût nauséabonds,
on peut supposer qu’il s’agit d’un mécanisme anti-prédateur comme l’encre noire
de la seiche. A noter ce fait surprenant,
-s’il est exact,- que le nuage d’encre projeté par le calmar épouserait, dit-on, la forme du calmar, pour achever de
terroriser l’ennemi.
La
base renflée du manche de la hache ostensoir symbolise la queue du calmar.
Les casse-têtes à bec de calmar géant.
Le
nom des casse-tête dits à bec d’oiseau renvoie en réalité au bec des
calmars, et ils seraient mieux
appelés « casse -têtes à bec de calmar géant ». En langue paici
(langue de la région de Ponerihouen), ils sont appelés goporo puwa rawerewa .
On reconnaît dans puwa le nom du calmar en paici, qui ne distingue pas entre calmar géant et calmar
colossal.
2) Les flèches de Canala , Ponerihouen et de Païta représentant
le calmar colossal à Nakety et à Koutio-Kweta .
Otto
Dempwolff établit pour la racine
austronésienne du nom du calmar la forme kwigwa,
qui donne puwa en paîci , à
Ponerihouen, na-kweti (Nakéty), à Canala ,
kweti en kapone (dialectes du sud , Kouthio -Kwetha )…
L’existence
du calmar colossal (Mesonychoteuthis
hamiltoni), n’est connue de nous que depuis
2003.
Historique de la découverte
néo-zélandaise d’un calmar colossal.
Le 17 septembre 2014,
120 000 personnes de 180
pays ont suivi sur le Net l’autopsie d’un calmar colossal (elle a duré 3 h 37), réalisée au Te Papa
Tongareva (Muséum d’histoire naturelle de Nouvelle-Zélande) de Wellington.
En 2003, un
bateau de pêche en mer de Ross, près du continent Antarctique, avait capturé un
premier spécimen de 150 kilos, une femelle, mais ce spécimen était très endommagé. En 2007, un palangrier
néo-zélandais, à la recherche de légines
australes, remonte une autre femelle, de
495 kilos, mais aussi en très mauvais état. Elle fut cependant réfrigérée, autopsiée
et naturalisée au Musée.
Les plus gros spécimens de calmar colossal peuvent
mesurer 10 mètres et peser plus d’une tonne ; ils vivent à
des profondeurs de 1000 mètres, là où l’obscurité est permanente et, le plus
souvent, dans les eaux de l’Antarctique.
Les chercheurs en connaissaient l’existence grâce aux résidus retrouvés dans
l’estomac des cachalots, qui sont les
uniques prédateurs du calmar colossal.
Le calmar colossal se nourrit de légines
antarctiques ou australes (Dissostichus
mawsoni), de gros poissons
dentus de 2 mètres.
Enfin, en 2013,
une autre femelle, de 350 kilos, faisant 1
mètre de circonférence et 4,2 mètres de longueur, est remontée, pratiquement intacte cette fois.
« Ce céphalopode a trois cœurs, deux pour le
fonctionnement des branchies et un pour
celui du corps entier, un bec à la
mâchoire inférieure dépassant la mandibule supérieure et long de 5 cm, des
tentacules armés de griffes, composés de chitine et dotés de la particularité
de pouvoir effectuer des rotations afin d’agripper les proies. Les yeux sont
énormes et situés de chaque côté de la tête [comme à
l’origine sur les flèches faîtières] :
ils mesurent 27 cm de diamètre, soit la taille d’une citrouille. Son corps est
doté de deux ailerons d’un mètre de
long sur un de large, de deux longs bras
et de 8 tentacules pourvus de photophores : ce sont des structures
bio luminescentes situées en bordure de
rétine et qui, telles des lampes torches, émettent une lumière suffisante pour
éclairer à 100 mètres devant l’animal et
pour suppléer à la déficience de la vue bilatérale du calmar. Pour partir en
chasse, le calmar place ses bras
au-dessus de sa tête. ».
Ce
monstre,- et c’est ce qui nous intéresse, - a inspiré plusieurs formes d’art
océanien.
Voici
le schéma qu’aujourd’hui les biologistes dressent du calmar colossal (Sciences et
Avenir et sur le Net), évocateur
de certaines flèches faîtières, car on y distingue les deux ovales si
mystérieux. Quant aux huit tentacules,
ils sont très rarement représentés par de fines baguettes qui n’ont pas résisté
au temps. La « plume » ou glaive
des calmars,
constituée
de carbonate de calcium, est l’équivalent de l’ « os de seiche » des
plages calédoniennes : le pseudo- squelette de cet invertébré
ressemble d’ailleurs vraiment à une plume.
Le
calmar colossal semble avoir été représenté cette fois par les sculpteurs la
tête et les tentacules vers le bas et le
glaive en haut.
Ailerons latéraux soudés par-dessus la plume qui se prolonge en
flèche et composant un premier « ventre » rebondi,
avec au-dessous à droite un tentacule
(il y en avait un autre à gauche , qui a été complètement cassé) et deux bras
de chaque côté avec des guillemets ouverts à gauche et fermés à droite qui symbolisent
les crochets des deux bras, bras
bien plus longs que les 8 tentacules ; les deux bras ou plutôt la double série de crochets acérés qui arment le bout des deux bras sont représentés ici par des guillemets
ouverts et fermés. Les « guillemets » sont appelés maru.
Puis encore un tentacule, le 3e orienté vers le bas (il y en avait un autre, le 4e, à gauche , qui a été
cassé ) ;
puis, la tête
du calmar avec les yeux latéraux dont l’un cassé en partie ;
la radula ou
langue dentée;
ensuite la poche au noir défensive du calmar ;
un 5e
tentacules à gauche et un 6e
à droite dirigés vers le bas;
le ventre ou poche au noir :un quadrilatère avec double trait
encastré dans le pancréas ;
enfin, ce sont
les deux derniers tentacules , le 7e à gauche , et le 8e.
3) Hienghène et Ouvéa : la représentation d’un
crocodile marin , Trilophosuchus rackhami Willis, 1993 .
Examinons
d’abord les chambranles, gardiens de la porte d’entrée qui défendaient la case du grand chef de Hienghène. Le corps du chambranle est orné de dessins en
forme de losanges : pour moi, il s’agit là d’une imitation de la peau d’un
crocodile avec ses écailles qui s’imbriquent
comme des tuiles. De plus on aperçoit une langue tirée -, la radula
râpeuse et pourvue de dents chitineuses du Trilophosuchus rackhami Willis, 1993 . Trilophosuchus (« crocodile à trois
crêtes ou aigrettes »), est un genre éteint de crocodiles de
la sous-famille des Mekosuchinae,
qui a vécu en Australie, où ses fossiles ont été trouvés
à Riversleigh,
dans le nord-ouest du Queensland.
A-t-on aperçu en Calédonie ce crocodile fossile caractérisé
par trois aigrettes et une crinière ?
J’emprunte au livre de J. J. Barloy , Serpent de mer et
monstres aquatiques , 1979, p.215,
ce témoignage : le serpent de mer, « … en Nouvelle-Calédonie,
est signalé dès 1878 ; un
spécimen montre, cette année-là, sa tête et sa crinière aux officiers du navire de guerre français la Seudre.
[Il s’agit peut-être du crocodile avec ses crinières dont les matelots n’en
aperçoivent qu’une]. « En 1923, se situent plusieurs observations dont le
combat de cachalots avec l’Architeuthis »
[Architeuthis dux, calmar géant]. Extrait des Echos
d’Altaïr, article consacré à l’apparition d’un « Grand Serpent de
mer » repéré en Nouvelle-Calédonie à plusieurs reprises durant l’année
1923. « Le 22 novembre de cette année-là, deux Néo-Calédoniennes [femmes
autochtones] se trouvent près de la pointe Abel, quand elles entendent une
détonation semblable à un coup de fusil. A 60 mètres de distance, elles
aperçoivent un curieux animal de couleur brun acajou avec une sorte de crête sur le dos [le crocodile]. Il pousse un
long sifflement et rejette « un jet de fumée, puis une gerbe d’eau [ce
qui fait penser à un cachalot pousuivi
par le crocodile]».
« Un gendarme à la retraite, M.
Millot [ le père de Alexandre Mllot, décédé récemment}, gardien de la quarantaine de l’îlot
Freycinet, confirma à son tour le
témoignage de la femme kanak Fels. Voici ce qu’il déclara à La
France Australe : « Le 22 septembre 1923 vers 16 heures, étant
dans mon jardin, j’ai vu un jet d’eau dans la direction de la Pointe aux
Lantanas. Ce jet me semblait avoir la hauteur de la colline qui domine cette
pointe ; puis, un autre jet, moins élevé, plus à l’ouest.Par trois fois, en quelques minutes, il m’a semblé voir plusieurs gros
animaux, plus forts que des marsouins ; puis, avec regret j’avais perdu de
vue ces apparitions, quand un bruit sec, formidable, suivi d’un autre, plus prolongé, me fit reprendre ma
veille. [Le bruit en question était peut-être dû au choc provoqué par le
cachalot quand il retombait dans l’eau.] Je vis plusieurs « morceaux » plus gros chacun qu’un cachalot,
puis une masse noire : la queue présentait un écran de 2 mètres de hauteur
sur 3 mètres de large, environ. Le bruit et les apparitions devinrent plus
fréquents et plus nets, la couleur noire persistant. L’animal est venu entre
Freycinet, l’île aux Chèvres et la presqu’île Ducos. Le plus beau tableau que
j’en ai vu représentait trois dômes
successifs de plusieurs mètres de haut, qui m’ont paru tenir plus de place
que mon habitation. J’en étais à 1500 mètres ; ces trois morceaux me semblaient trois
baleines à la suite les unes des autres. Je ne puis rendre plus exactement
ce monstre, qui m’a paru plus poisson que serpent. La longueur est difficile à
estimer ; les trois parties que
j’ai vues, se touchant presque, mesuraient plus de 20 mètres, et on devinait
sous l’eau un prolongement de l’animal (à moins d’admettre une famille à la
queue leu- leu). Je n’ai pas vu la tête ; mais à chaque apparition, j’ai
entendu ce bruit formidable semblable au barrissement
de l’éléphant, suivi du bruit du remous comparable à celui que ferait la chute
de nombreuses feuilles de tôle. Il faisait calme plat. »
Il
s’agit peut-être du crocodile à trois crêtes, mais l’apparition suivante n’est
pas la même, c’est vraisemblablement celle du calmar colossal.
« A
nouveau, le dimanche 30 septembre, le monstre apparut. Cette fois, ce fut à 3
kilomètres du port de Nouméa, entre l’îlot Maître et l’îlot Tabou, que M. et Mme Bailly, accompagnés
d’un Kanak nommé Emile, le virent distinctement alors qu’ils allaient pêcher en
pétrolette. D’après M. Bailly, l’animal « avait érigé son corps
verticalement comme un mât. » [Il était en chasse ou en fuite]
« Parfois, il y avait deux branches dressées à la
fois, comme la tête et la queue d’un même animal. Ces deux branches
s’abattaient en sens contraire, et dans le prolongement l’une de l’autre,
avec grand bruit. Mme Bailly précisa que la créature « jetait
fréquemment un jet de fumée. » Extrait du livre du cryptozoologue Bernard
Heuvelmans, Le Grand Serpent -de- mer, 1975.
Les deux branches dressées pourraient être les deux bras appartenant au calmar
colossal qui les dresse ou se dresse lui-même quand il est attaqué peut-être
par des cachalots émettant des jets de fumée.
Ce
reptile océanique a laissé son nom à Gosana
(Ouvéa aux Loyauté) : le mot
gosana est parent du nom caraïbe
d’un gros lézard, l’iguana, de govana, ainsi que du goana ou goarge australien.
La cordelette est peut-être la représentation de la radula, sorte de langue du crocodile très râpeuse et munie de dents
chitineuses en forme de crochets ressemblant à des guillemets. Ce qui surprend
sur certains de ces talés, c’est une sorte de nez en bec d’aigle, très peu
mélanésien : en réalité, c’est le
bec du crocodile avec sa mandibule inférieure proéminente, dépassant la
mâchoire supérieure et longue de 5 à 10
cm.
Conclusion : Ce qui précède est un essai, une hypothèse, qui ne se veut aucunement
dogmatique, surtout dans l’identification des détails anatomiques, et qui reste
ouverte à toutes les corrections. Mais ce qui est certain à mes yeux, c’est le
rôle protecteur que ces figures terrifiantes devaient assurer contre les
ennemis des chefs.
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