ESSAI D’EXPLICATION DES TUMULI DE L’ILE DES PINS
Origine naturelle
Les
deux hypothèses d’une origine naturelle, géologique ou animale des tumuli.
1) En Australie, on a trouvé des stromatolithes, c’est-à-dire des colonnes calcaires fossiles
formées par l’activité de bactéries. Pascal Philippot, au CNRS, Institut de
physique du globe, Paris, a étudié ces bactéries , très nombreuses d’il y a
2,72 milliards d’années, vivant dans des lacs
hypersalés et peu profonds et
capables de se nourrir d’arsenic, malgré
la toxicité de cet élément. Le seul fait d’avoir déposé des détritus de
coquillages sur le plateau de l’île des Pins, comme sur l’îlot Koniene,
pourrait avoir stimulé l’activité
bactérienne. On pourrait supposer que les courants ou les vents ont accumulé des terres
latéritiques autour de ces colonnes.
2) Un mégapode pourrait, selon ses partisans, être
le bâtisseur du cylindre et du
tumulus.
1Worthy, Trevor H. (2000). "The
fossil megapodes (Aves: Megapodiidae) of Fiji with descriptions of a new genus
and two new species.". Journal of the Royal Society of New Zealand 30
(4): 337–364. doi:10.1080/03014223.2000.9517627.
2 Worthy, T., Mitri, M., Handley, W., Lee, M., Anderson, A., Sand, C. 2016.
Osteology supports a steam-galliform affinity for the giant extinct flightless
birds Sylviornis neocaledoniae (Sylviornithidae, Galloanseres). PLOS ONE. doi:
10.1371/journal.pone.0150871
3"Object: Fiji Scrubfowl, Megapodius
amissus; holotype". Collections on line. Museum of New Zealand Te Papa Tongarewa. Retrieved 2012-08-18.
Bien que je ne souscrive pas à cette hypothèse, je tiens à la rappeler : des
spécialistes du Jardin des Plantes,- même si d’autres ont plus tard contesté l’ identification avec
ceux d’un mégapode, qu’ils ont faite des ossements, découverts par leurs soins, ont relié une tradition de l’île des Pins que
j’avais rapportée dans le bulletin de la SEHNC , Société d’Etude Historique de
la Nouvelle-Calédonie (« Deux oiseaux fossiles de Nouvelle-Calédonie,
bulletin n° 29, 2e tr. 1976, savoir : un oiseau noir aptère appelé
du et une sorte de dindon) à l’existence d’un grand mégapode présent dans la partie indonésienne de la
Nouvelle-Guinée sur l’île Waigeo, localité de Jeimon (Aegypodius brujnii ou talégalle de Bruijin). Celui-ci constitue la
seule espèce d’oiseaux qui ne couve pas ses œufs mais, au lieu d’un nid,
construit un monticule d’incubation haut de 2 mètres avec toutes sortes de
débris, si bien que, au centre, se forme un cylindre organique sur lequel le
mégapode dépose ses œufs et les recouvre de terre. Le mâle porte trois
caroncules rouges et une crête noire. Les mégapodes, en voie d’extinction,
étaient largement répandus aux Philippines, en Indonésie, en Australie, aux Fiji, et existaient à l’île des Pins, si l’on se fie à la tradition locale que j’ai rapportée.
Mais les zoologistes penchent aujourd’hui plutôt pour
un rattachement au Mégapode noble de Fiji,
Megavitiornois altirostris, éteint,
qui ne pouvait bâtir de telles colonnes et de tels monticules, étant donné la
configuration de ses pattes. Il couvait ses œufs comme les poules qui lui sont
apparentées. Cette hypothèse semble donc
devoir être également rejetée.
Discussion.
Les trous de poteau signalés par Luc Chevalier, au
sommet ou à côté des tertres, incitent, selon moi, à préférer une origine
humaine.
L’origine humaine. Citons l’article du docteur J.
Exbroyat : « Les tumuli de l’île
des Pins, un système d’irrigation ? », bulletin de la SEHNC n°146, 1er tr. 2006.
C’est le professeur de
géologie Paul Avias qui, le premier, attira l’attention sur ces tumuli. On connaît sa théorie des Aïnous comme
occupants de la Calédonie et de l’île
des Pins.
Introduction : Les monticules de coquillages de
l’îlot Koniene, en face de Koné.
J’emprunte à Max Shekleton
(Bulletin de la SEHNC, n°158, 1er tr. 2009, « « Walkabout
du 14 juillet 1941, sur l’îlot Koniene en Nouvelle-Calédonie, par Wilfred G. Burchett ») la description
suivante :
« Alors que nous traversions l’île vers la côte
faisant face au récif, nous avons rencontré des hectares et des hectares de coquilles en tout genre y compris
des huîtres, des bénitiers, des conques et bien d’autres coquillages qui me
sont inconnus, des monticules entiers
formés de masses compactées de ces coquillages. Mon guide [originaire de Lifou]
m’indiqua qu’on les trouvait jusqu’à une profondeur de deux mètres. Deux
mille tonnes ont déjà été prélevées pour
en faire de la chaux et l’impact sur
la ressource est insignifiant ; mon hôte [Jules Calimbre] est convaincu qu’elles représentent des
siècles d’accumulation alors que
l’île était un lieu de festins pour les indigènes se rendant au récif à marée
basse, récupérant les coquillages par pirogues entières et revenant sur l’île pour un festin et un
pilou- pilou… « Mais ce n’était pas seulement un lieu pour festoyer »,
mon hôte interrompit ainsi mes pensée. « Venez par
ici ! ». Et, en me retournant,
je remarquai un grand banyan. Nous nous en approchâmes lentement, les
coquillages s’écrasant en poudre sous nos pas. A l’ombre, sous les racines du
banyan, se trouvait une possibilité d’explication horrible pour ces
festins. Des os
blanchis y étaient éparpillés et, scrutant la pénombre, je pouvais voir les
orbites vides de crânes humains. Lisses, gris et polis, il y en avait à tous
les stades de conservation, certains dont les dents étaient intactes. Il y
avait des os de bras et de jambes, certains avec des traces de fractures. En
certains endroits, les racines et les branches avaient entouré les ossements
humains, -bien implantés dans le bois de l’arbre, -laissant supposer que les
corps avaient pu être placés sur l’arbre même. « Il y avait des
centaines de crânes quand je suis arrivé, mais les Javanais les ont dispersés
et jetés. Pas les indigènes. » Le guide de Lifou
apprend au journaliste qu’il ne
s’agissait pas de cannibalisme, mais de tombes.
Il est gênant que les populations noires
appelées Tuas par G. Païta aient ravagé le site gorouna dont les monticules de
coquillages compactés sont le seul souvenir. En revanche, les squelettes à même
le tapis de coquillages ou déposés sur des arbres qui ont poussé par la suite
sont récents et sont l’œuvre de ces Tuas.
Au Japon : les dépôts de coquillages associés aux
tombes.
Chez les Djomons du Japon,
c’est sous le tumulus que se trouvent les ossements.
On peut songer aux kanjo dori qui sont des sépultures
collective, d’une hauteur de 0, 50 à 5 mètres et d’un diamètre de 30 à 75
mètres ; le montant de terre est
estimé à 300 m² : il faudrait 25 personnes travaillant pendant 123 jours pour remuer cette terre en
provenance du puits funéraire voisin, un homme remuant 1 mètre cube par
jour .Ces tumuli sont associés à des dépôts coquilliers du Djomon final.
Il y a 14 kanjo
dori contenant de 1 à 21 puits
funéraires à Kiusu près de Chitose.
Au Japon préhistorique, à Terano– Higashi, on compte 127 dépôts
coquilliers (et 804 dans la région entière), nombre qui serait plus proche du
nôtre : 300 tumuli à l’île des
Pins. Il y a 1108 dépôts djomons au Japon ; d’autres avancent le chiffre
de 4 000 mais en comptant des dépôts de période plus tardive .Les
archéologues japonais pensent qu’il s’agit au départ de détritus d’ordures
qu’on aurait transformés, au fil du temps,
en tumuli funéraires.
A l’île des Pins, c’est à Vatcha,
qu’on a trouvé des poteries
lapita. Or, ce toponyme évoque le catcha
de Lifou, c’est-à-dire ces débris coralliens qui ont donné à Gaitcha (Lifou) son nom, et il est intéressant de voir associées poteries lapita et débris coquilliers. Il faut décomposer les
mots Vatcha, Gaitcha ou catcha en un mot signifiant coquillage en djomon, kai, et un suffixe de
collectif en
–ka : on a kaika, puis Gaitcha.
L’habitation de l’île des
Pins, est construite sur le modèle du catamaran monda aux Indes avec double plancher, c’est-à-dire un
plancher à claire-voie qui reproduit le
plancher surélevé où l’on mettait passagers et marchandises à l’abri des
embruns, autant que faire se pouvait, et un plancher inférieur, en contact avec
la mer dans le cas du catamaran. Ce type
d’habitation est répété dans le catamaran
ou dans le praoh djomon (aînou), car pour les Gorounas, habitation, embarcation et tombe doivent être
bâtis sur le même modèle. La pirogue, personnelle, est sacrée et son propriétaire veut s’y faire
enterrer comme le guerrier gaulois dans son char. C’est
le plancher inférieur, en contact avec
la terre dans la réalité,
mais pour les Gorounas avec la
« mer» à travers des coquillages encore vivants offerts en sacrifice,
qui va recevoir le cadavre pour sa
putréfaction. Le praoh aïnou
(pirogue) devenu tombe est renversé ou
posé verticalement et démâté, ou bien
avec un mât qui s’enfonce dans la terre en signe de mort, l’utilisateur n’en
ayant plus l’emploi .
L’explication
des tumuli avec deux trous à leur sommet et de leur cylindre central de chaux.
Voici le scénario, tel qu’on peut vraisemblablement le
reconstituer pour expliquer les quelque 200 ou 300 tumuli de l’île des Pins :
1) une maison sur pilotis funéraire est bâtie à
l’occasion du décès, où cohabitent, pour le
temps du deuil, les parents du
défunt et le cadavre ; la maison a deux planchers à claire-voie
et le cadavre est mis à pourrir sur le
plancher inférieur, à ras du sol,
au-dessous du second plancher, avec , sur le cadavre des coquillages encore vivants ;
2) au bout d’un certain
temps, une fois les chairs décomposées, les parents recueillent
le crâne et le squelette, ils les
placent dans une jarre lapita pour ce qu’on appelle une inhumation secondaire. Ils construisent ensuite un mât, sous la
maison, avec des blocs de coraux et des coquillages, puis brûlent à grand feu l’habitation sur pilotis et les coquillages
amassés. Ils édifient autour du mât, formé
de coquillages spathifiés, concassés et compactés, transformés en chaux sous l’action de la chaleur, un tumulus qui imite la forme d’une
pirogue renversée. C’est le cylindre de coquillages
transformés en chaux qui constitue le mât de la pirogue, renversée en signe de mort. Ils
mettent la jarre avec les reliques au pied du tumulus ;
3) plus tard, intervient la levée de deuil avec
transport de l’urne funéraire au
bord de la mer, dispersion des restes dans l’océan et bris de la jarre sur la
plage ;
4) éventuellement, un
substitut du mort en une matière quelconque : nacre, argile, pierre etc., le remplace sous la forme d’une « tête de
monnaie » conservée par les parents.
Si le conservateur du musée de Nouméa Luc
Chevalier a trouvé deux pieux de soutien dans l’un des quatre tumuli éventrés par ses
soins, ce sont des quatre pilotis
qui appartiennent à une maison mortuaire sur pilotis.
Les tumuli récents, œuvre des Tibawés.
Les quelque 200 ou 300 tumuli de l’île
des Pins ne relèvent peut-être pas tous des mêmes rites funéraires et certains,
plus récents, peuvent être l’œuvre, non des Gorounas, mais de leurs premiers
successeurs, les Tibawés, comme
l’indique aussi la présence de
pétroglyphes à l’île des Pins sur le pic N’Ga, pétroglyphes qui, selon G.
Païta, sont l’œuvre des Tibawés et non des Gorounas.
Les Tibawés , -gorounas métissés,- se sont installés assez souvent dans le
voisinage de leurs parents et devanciers, les Gorounas : ainsi ont-ils
fait à Koné avec les tribus de Tiaoué et de Cradji ou , sur la côte est , avec
celles de Tchamba. On trouve dans la vallée de Tchamba des tumuli qui présentent, par rapport à ceux de l’île des Pins ou de
Païta, la particularité d’être clos
d’une enceinte de pierres circulaire. Les Tibawés avaient occupé aussi l’île
des Pins, où les toponymes N’Ga et Gadgi (ces deux derniers se retrouvant
à Païta) en témoigneraient selon G. Païta. Il y a d’ailleurs trois tumuli et
des menhirs à Païta. Le nom de Gadgi évoque celui de Cradji
près de Poya. Cradgi semble bien être
le nom
tibawé de ces monticules
préhistoriques de coquillages appelés kaizuka
au Japon et sambaqui au Brésil.
D’où viennent les mots gadji ou cradji. ?
Ils sont apparentés à l’aïnou kai,
coquillage, avec un suffixe de
pluriel ainou en –ki. Au singulier, sans
le suffixe de pluriel –ki, on a la forme N’ga (de kai), le pic de
250 m de l’île des Pins ou celui de
Païta étant comparés à un coquillage
pointu. A noter qu’il existe aussi des
sortes de menhirs à Cradji.
Un trou figurait aussi au sommet de certains
tumuli récents, selon une indication orale recueillie par Luc Chevalier. Ce
trou aurait pu servir à planter au
sommet de ces tumuli récents, au demeurant très peu élevés, une perche ou rame, aujourd’hui disparue, dont le bout variait selon le sexe de
l’individu ; c’est ce qu’on
retrouve dans les cimetières ainous actuels observés par Ruffié
et dans les cimetières ouigours fouillés par les archéologues chinois dans le
bassin du Tarim et dans les cimetières
ainous actuels observés par Ruffié
Au nord du Tibet, dans l’immense désert de
Taklamakan , des archéologues chinois ont eu l’étonnement de découvrir une
nécropole, avec des momies aux traits européens (ce sont des ouigours ou
ibères) aux cheveux châtains et au nez long, datant d’il y a 4 000 ans et enterrés dans des bateaux retournés
recouverts de peaux de vache , avec un mât de bois situé à la proue , de 4
mètres de haut et dont la sculpture varie selon le sexe : pour les
hommes , le sommet est effilé, symbolisant,selon les archéologues chinois, des
phallus, tandis que , pour les femmes,
le sommet serait plat et peint en noir et
rouge, évoquant des vulves. On peut toutefois se demander si le mât renversé
des Djomons n’a pas cédé la place, chez les Tibawés, pour les hommes, à la
rame (à la proue du bâtiment) permettant
de se diriger dans les eaux de l’au-delà
et pour les femmes à la navette ou la quenouille, attributs de leur sexe que
les Chinois n’ont pas compris. O’Connell ; en Micronésie décrit cette
habitude en précisant qu’il s’agit de fuseau (spindle) ou de quenouille (distaff).
Les couleurs noire et rouge
rappelleraient les maternels et les couleurs blanche et rouge les paternels.
D’autre part, le fondateur de l’hématologie, Jacques
Ruffié, alla observer, en 1978, les
derniers Ainous d’Hokkaido, ces parents des Gorounas. Il note qu’à Nibutani les tombes sont surmontées
« d’un curieux poteau de bois dont la partie supérieure sculptée varie
avec le sexe du mort ».
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