QUI ÉTAIT RÉELLEMENT NAUNDORFF ?
Après avoir traité dans mes blogs sur le
baron de Richemont et sur un agent anglais d’origine corse des prétendants, je compte
maintenant revenir dans trois blogs successifs
sur les imposteurs qui se sont prétendus
Louis XVII, à commencer par Naundorff, puis le baron de Richemont, et celui qu’on peut appeler le tambour de Belgiojoso.
On peut consulter ce qu’en en pense Sosthènes
de La Rochefoucauld-Doudeauville, bien renseigné par son parent le baron de Rochemont , car , après les
journées de Juillet 1830, Sosthènes de La Rochefoucauld resta en relation avec
la famille royale en exil. La duchesse d’Angoulême, sœur présumée de Louis XVII
(voir mon blog sur la sœur de louis XVII), lui demanda d'enquêter sur Karl-Wilhelm
Naundorff, qui prétendait être son frère
mort à la prison du Temple (Mais pourquoi ne pas l’avoir elle-même interrogé et
regardé ?). Il publiera cette correspondance avec la duchesse d’Angoulême dans
le volume 12 de ses Mémoires.
Rappelons d’abord que les
imposteurs sont souvent animés par un fantasme d’enfant trouvé, de bâtard
d’origine princière, que ce soit véritable ou fantasmé. Ainsi
du faux dauphin Hervagault, fils naturel du duc Grimaldi de Monaco.
Selon moi, il y a deux problèmes fondamentaux concernant
Naundorff :
1Quel est son acte de naissance et quelle est donc son
identité réelle ?
2 D’où vient ce curieux nom de Naundorff ?
Pourquoi ce métier d’horloger ?
1 L’état -civil de Naundorff.
Qui est Naundorff ? Nous
avons, grâce aux recherches de l’érudit
français Georges Pinet de Manteyer à qui il faudra
toujours revenir (Les faux Louis
XVII, le roman de Naundorff et la vie de Carl Werg, tiré de 700 pièces d’archives, 1926,2 volumes, plus de 1000 pages), l’acte de naissance du futur Naundorff
sous le nom de Werge à Halle-sur-Saale
en Prusse, p. 282 : « Du 9 mai
1777 : Carl-Benjamin [ Werge],
né le 3 [mai 1777] , à quatre heures
du matin, baptisé [protestant] à la maison, fils de M. Johann-Gottfried Werge, bourgeois et brasseur –associé,
jadis marchand de chevaux, 7, Gross-Ulrich strasse, et de sa femme Catharina –Friederica née Zinck . Parrains [et marraines]:
1°M. Benjamin-Hermann Dryander,
conseiller de la Cour royale de Prusse et officier de justice dans le district
royal de Giebichenstein [Tel est le père biologique de Naundorff et cette
paternité naturelle illustre , plus ou
moins pressentie sans précision, sera à
l’origine de son fantasme d’une origine
« princière » et du fait que, même
à son mariage, il se déclare orphelin et se vêt tout de noir pour porter le
deuil de son père « imaginaire » . On ne comprend pas comment un
aussi grand personnage que ce conseiller auprès du roi de Prusse eût pu
s’abaisser à parrainer le fils d’un ex-maquignon et brasseur de bière, pas plus
que les autres parrains et marraines. A Dryander , qui lui donnera son
prénom de Benjamin, succèdera en 1812
un Prussien d’origine française Paul-Louis Le Coq, conseiller intime de
légation et conseiller rapporteur au
ministère des Affaires étrangères, devenu président de la police de Berlin en
1812, l’homme qui, en possession des papiers et correspondances de son
prédécesseur établissant sa filiation naturelle, se portera garant pour
Naundorff à Berlin en 1812 : nous en avons la trace dans les Archives de la Présidence de Police de
Berlin, litt. N, n°48, pièce 68 : du Ministre de l’Intérieur et de la
Police von Rochow à Berlin, le 1er mai1836 à M. le baron de Gerlach, Président de la Police
royale: « Il résulte des archives de mon Ministère qu’à cette époque [en
1810], à l’ancienne intendance de Police, furent poursuivies, relativement au
susdit Nauendorff [sic], des négociations dont je désire
prendre connaissance. » Ces documents semblent bien, hélas ! avoir
disparu, alors que selon Naundorff il aurait durant son séjour berlinois
apporté au président de police de l’époque, Lecoq, des preuves de sa
naissance. ]
2° Madame Elisabeth
[Godhagen, femme de M. le docteur Johann-Friedrich Godhagen, professeur
de médecine, médecin de la ville et du pays[qui a dû accoucher sa mère
discrètement] ;
3°M. Carl-Gottlieb-Büttner, avocat
ordinaire, qui lui donnera son prénom courant de Carl; ;
4° Madame
Johanna-Maria-Elisabeth [Wuckerer], femme de M. Matthaeus Wuckerer, commerçant.
“
Louis XVII est né le 27 mars 1785 ; c’est dire que notre « Naundorff-Werge »
est plus âgé que Louis XVII de 8 ans. Il dira à son mariage qu’il a 43 ans,
alors qu’il a en réalité 41 ans.
2 D’où vient ce curieux nom de Naundorff ?
Pourquoi ce métier d’horloger ?
L’identité de Werge et de
Naundorff est confirmée par Naundorff lui-même, car il a raconté dans les termes que voici ses
aventures dans un récit dicté en
1824 au greffier du tribunal de Brandebourg, récit certes égaré mais conservé par Otto Jork
(texte intégral de la seconde déclaration, dans Decaux, Louis XVII retrouvé, Naudorff roi de France, p. 131) :
« Une nuit, je fus réveillé [en
France] par mon père nourricier
( Mantorff ? [Altération du nom luxembourgeois Mondorff, qui signifie originaire de
Mondorf-les-Bains, entre la France et le Luxembourg] et je vins en Allemagne. C’est de lui qui, pour passer le temps, s’occupait d’horlogerie, que j’appris ce métier [d’horloger]. » Mondorf,ou
Maundorff, a été altéré en Nauendorff ou Naundorff.
Il ne prendra ce nom de
guerre et les prénoms de Karl –Wilhelm
au lieu de Karl-Benjamin qu’après
son évasion du bagne de Toulon, où il avait été emprisonné par Napoléon comme déserteur
appartenant aux bandes de Schill et Brunswic, ce changement de nom par rapport
à Werge s’expliquant comme destiné à échapper aux recherches de la police
impériale. Un fils de son père nourricier, mort très jeune à Halle,
portait les prénoms de Karl-Wilhelm et le nom de Maundorff.
Par désir d’identification au fils de l’horloger luxembourgeois qui avait
épousé Madame Sonnenfeld, il lui empruntera ses nom et prénom .Le même
désir d’identification, faute d’imago paternelle, l’amènera à prendre aussi sa succession comme mari de
Madame Sonnenfeld à la mort de celui-ci.
Tentative de biographie de l’horloger luxembourgeois Godefroy Maundorff.
Peu après sa naissance, son
père Werge mourut et sa veuve fit appel à la générosité de son père biologique,
qui lui procura un père nourricier, un horloger, le luxembourgeois Naundorff.
Mais à la mort de sa mère, l’horloger se
mit en ménage avec Madame Sonnenfeld qui servit de gouvernante pour l’enfant,-
c’est Naundorff qui emploie le mot de « gouvernante »
à propos de Madame Sonnenfeld.
Voici comment notre Naundorff
parle de Madame Sonnenfeld: “Cette jeune dame n’était pas la soeur de
Naundorff, elle n’était pas veuve non plus, mais elle était en réalité la femme
d’un horloger établi à Roshweil- sur-le- Necke [Sonnenfeld]. Celui-ci l’avait
abandonnée, et, depuis, elle avait entretenu avec Naundorff, du moins j’eus
lieu de le supposer, une de ces liaisons
de cœur que les mœurs de notre siècle ne tolèrent que trop, mais que la
morale, plus encore que les convenances, ne pardonnent jamais.
J’abandonnai complètement à Madame Sonnenfeld la direction de mes affaires. »
Madame Sonnenfeld était née Hassert,
à Halle, la ville natale de Werge en 1774, elle se maria en 1795 (elle avait 21 ans) à un
soldat, Sonnenfeld, qui déserta, puis l’abandonna. Elle vécut ensuite avec un
autre soldat, savoir l’horloger Godefroy Naundorff, le tuteur de notre Karl Werge-Naundorff.
Elle eut deux enfants de ce Naundorff qui portèrent le nom de son mari légitime
Sonnenfeld, savoir Christian, né le 16
août 1797 et une fille, née en 1798 et morte en 1799. Quand elle eut divorcée
d’avec Sonnenfeld, elle se remaria en 1800 avec un 3e soldat, Jean
–Christian Muller, dont elle eut un fils, mort en 1802. Muller l’abandonne un
peu plus tard et elle eut encore d’autres
liaisons.
En 1810, elle se met en ménage avec le garçon
qu’elle a élevé, soit Karl-Benjamin Werge qui prend alors le nom de son
« beau-père » horloger et tuteur en le modifiant un peu, Naundorff. Elle-même mourut en. 1818.
Notre Naundorff fait en1818 la connaissance d’une jeune fille de 16 ans à
peine, Jeanne Einert, orpheline de père, qu’il épouse moins d’un mois après
l’avoir rencontrée, soit le 19 novembre 1818 ; l’acte de mariage indique qu’il est Charles –Guillaume Naundorff,
bourgeois et horloger en cette ville
[de Spandau], fils unique et
légitime de feu le sieur Godefroy Naundorff, bourgeois, fabricant [de
montres] et propriétaire près Weimar. C.
–G. Naundorff, âgé de 43 ans, a été rendu veuf par la mort de sa femme [Sonnenfeld, en 1818].
C’est sous le nom de Naundorff que Werge prête
serment, en 1812, comme bourgeois
de Spandau et c’est sous ce même
nom de Naundorff qu’il exerce son
activité d’ horloger en 1827 à
Brandebourg,
En somme, selon moi, le chemin du pseudo-
Naundorff, alias Werge, a croisé celui
du tambour de Belgiojoso , qui signait Louis
Bourbon, ce qui a donné à
Naundorff l’idée de s’identifier à lui
et de se dire Louis XVII : à la
prison de Brandebourg, il signe Ludwig Burbong, alors
qu’ en réalité son nom de baptême
était Werg , protestant et bourgeois. « Après
beaucoup de détours, j’arrivai à la frontière de Bohême [en Slovaquie] et
j’entrai comme officier dans l’armée
du duc de Brunswick- Oels, qui avait
obtenu connaissance de ma condition. En 1810, à la tête d’un détachement de 25
hommes, je pris part à une escarmouche [contre les Français] près de Dresde, et
mes gens furent en partie tués, en partie
faits prisonniers. Je fus moi-même grièvement blessé et tombai en
captivité. Les troupes françaises m’escortèrent
avec les autres prisonniers, mais me laissèrent à Magdebourg, parce que j’avais
une fièvre nerveuse. Avant que je ne fusse complètement rétabli, on nous
embarqua pour la France [le bagne de Toulon]. Là je réussis avec un certain Friedrich (est-ce le tambour de Belgiojoso,
voir mon blog sur le tambour de Belgiojoso, qui se disait Louis XVII ?] à
m’échapper par un caveau qui se trouvait dans une église où on nous avait mis
pour nous reposer. Nous allâmes alors tout droit à Berlin pour y entrer
dans l’armée comme hussards .A cause de ma qualité d’étranger [de Français ?], je ne fus pas admis, mais le Président de la
Police Le Coq me permit de m’établir comme horloger [à Berlin, sous le nom de
guerre, -Naundorff,- du père nourricier que son père biologique lui avait
choisi à la mort de sa mère, la maîtresse du conseiller auprès du roi] et je
m’établis Schützen strasse, n°52.Un an
après, j’allai à Spandau où je séjournai jusqu’en 1822 Signé Ludwig Burbong »
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