vendredi 9 novembre 2018

QUI ÉTAIT RÉELLEMENT NAUNDORFF ?


        QUI ÉTAIT RÉELLEMENT NAUNDORFF ?
  Après avoir traité dans mes blogs sur le baron de Richemont et sur un agent anglais d’origine corse des prétendants, je compte maintenant revenir dans trois blogs successifs  sur les imposteurs qui se sont prétendus  Louis XVII, à commencer par Naundorff, puis le baron de Richemont,  et celui qu’on peut appeler le tambour de Belgiojoso.
  On peut consulter ce qu’en en pense Sosthènes de La Rochefoucauld-Doudeauville, bien renseigné par son parent  le baron de Rochemont , car , après les journées de Juillet 1830, Sosthènes de La Rochefoucauld resta en relation avec la famille royale en exil. La duchesse d’Angoulême, sœur présumée de Louis XVII (voir mon blog sur la sœur de louis XVII), lui demanda d'enquêter sur Karl-Wilhelm Naundorff, qui prétendait  être son frère mort à la prison du Temple (Mais pourquoi ne pas l’avoir elle-même interrogé et regardé ?). Il publiera cette correspondance avec la duchesse d’Angoulême dans le volume 12 de ses Mémoires.

Rappelons d’abord que les imposteurs sont souvent animés par un fantasme d’enfant trouvé, de bâtard d’origine princière, que ce soit véritable ou fantasmé. Ainsi du faux dauphin Hervagault, fils naturel du duc Grimaldi de Monaco.
Selon moi, il y a deux   problèmes fondamentaux concernant Naundorff :
1Quel est son acte de naissance et quelle est donc son identité réelle ?
2 D’où vient ce curieux nom de Naundorff ? Pourquoi ce métier d’horloger ?

1 L’état -civil de Naundorff.
Qui est Naundorff ? Nous avons,  grâce aux recherches de l’érudit français   Georges Pinet de Manteyer à qui il faudra  toujours revenir (Les faux Louis XVII, le roman de Naundorff et la vie de Carl Werg, tiré de 700 pièces d’archives, 1926,2  volumes, plus de 1000 pages),  l’acte de naissance du futur  Naundorff sous le nom de Werge à Halle-sur-Saale en Prusse, p. 282 : « Du 9 mai 1777 : Carl-Benjamin [ Werge], né le 3 [mai 1777] , à quatre heures du matin, baptisé [protestant] à la maison, fils de M. Johann-Gottfried Werge, bourgeois et brasseur –associé, jadis marchand de chevaux, 7, Gross-Ulrich strasse, et de sa femme Catharina –Friederica née Zinck . Parrains [et marraines]:
1°M. Benjamin-Hermann Dryander, conseiller de la Cour royale de Prusse et officier de justice dans le district royal de Giebichenstein [Tel est le père biologique de Naundorff et cette paternité naturelle  illustre , plus ou moins pressentie sans précision,  sera à l’origine de  son fantasme d’une origine « princière » et du fait que,  même à son mariage, il se déclare orphelin et se vêt tout de noir pour porter le deuil de son père « imaginaire » . On ne comprend pas comment un aussi grand personnage que ce conseiller auprès du roi de Prusse eût pu s’abaisser à parrainer le fils d’un ex-maquignon et brasseur de bière, pas plus que les autres parrains et marraines. A Dryander , qui lui donnera son prénom de Benjamin, succèdera en 1812 un Prussien d’origine française Paul-Louis Le Coq, conseiller intime de légation et conseiller rapporteur  au ministère des Affaires étrangères, devenu président de la police de Berlin en 1812, l’homme qui, en possession des papiers et correspondances de son prédécesseur établissant sa filiation naturelle, se portera garant pour Naundorff à Berlin en 1812 : nous en avons la trace dans les Archives de la Présidence de Police de Berlin, litt. N, n°48, pièce 68 : du Ministre de l’Intérieur et de la Police von Rochow à Berlin, le 1er mai1836  à M.  le baron de Gerlach, Président de la Police royale: « Il résulte des archives de mon Ministère qu’à cette époque [en 1810], à l’ancienne intendance de Police, furent poursuivies, relativement au susdit Nauendorff [sic], des négociations dont je désire prendre connaissance. » Ces documents semblent bien, hélas ! avoir disparu, alors que selon Naundorff il aurait durant son séjour berlinois apporté au président de police de l’époque, Lecoq, des preuves de sa naissance. ]
 2° Madame Elisabeth [Godhagen, femme de  M.  le docteur Johann-Friedrich Godhagen, professeur de médecine, médecin de la ville et du pays[qui a dû accoucher sa mère discrètement] ;
3°M. Carl-Gottlieb-Büttner, avocat ordinaire, qui lui donnera son prénom courant de Carl; ;
4° Madame Johanna-Maria-Elisabeth [Wuckerer], femme de M. Matthaeus Wuckerer, commerçant. “
 Louis XVII est né  le 27 mars 1785 ;  c’est dire que notre « Naundorff-Werge » est plus âgé que Louis XVII de 8 ans. Il dira à son mariage qu’il a 43 ans, alors qu’il a en réalité  41 ans.
2 D’où vient ce curieux nom de Naundorff ? Pourquoi ce métier d’horloger ?

L’identité de Werge et de Naundorff est confirmée par Naundorff lui-même, car il a raconté dans les  termes que voici  ses  aventures dans un récit  dicté en 1824 au greffier du tribunal de Brandebourg, récit  certes égaré mais conservé par Otto Jork (texte intégral de la seconde déclaration, dans Decaux, Louis XVII retrouvé, Naudorff roi de France, p. 131) : « Une nuit,  je fus réveillé [en France] par mon père nourricier
( Mantorff ? [Altération  du nom luxembourgeois  Mondorff, qui signifie originaire de Mondorf-les-Bains, entre la France et le Luxembourg] et je vins en Allemagne. C’est de lui qui, pour passer le temps, s’occupait d’horlogerie, que j’appris ce métier [d’horloger]. » Mondorf,ou Maundorff, a été altéré en Nauendorff ou Naundorff.  
Il ne prendra ce nom de guerre et les prénoms de Karl –Wilhelm au lieu de Karl-Benjamin qu’après son évasion du bagne de Toulon, où il avait été emprisonné par Napoléon comme déserteur appartenant aux bandes de Schill et Brunswic, ce changement de nom par rapport à Werge s’expliquant comme destiné à échapper aux recherches de la police impériale. Un fils de son père nourricier, mort très jeune  à Halle,   portait  les prénoms de Karl-Wilhelm et le nom de Maundorff. Par désir d’identification au fils de l’horloger luxembourgeois qui avait épousé Madame Sonnenfeld, il lui empruntera ses nom et prénom .Le même désir d’identification, faute d’imago paternelle, l’amènera à  prendre aussi sa succession comme mari de Madame Sonnenfeld à la mort de celui-ci. 
Tentative de biographie de l’horloger luxembourgeois  Godefroy Maundorff.
Peu après sa naissance, son père Werge mourut et sa veuve fit appel à la générosité de son père biologique, qui lui procura un père nourricier, un horloger, le luxembourgeois Naundorff. Mais à  la mort de sa mère, l’horloger se mit en ménage avec Madame Sonnenfeld qui servit de gouvernante pour l’enfant,- c’est Naundorff qui emploie le mot de « gouvernante » à propos de Madame Sonnenfeld.
Voici comment notre Naundorff parle de Madame Sonnenfeld: “Cette jeune dame n’était pas la soeur de Naundorff, elle n’était pas veuve non plus, mais elle était en réalité la femme d’un horloger établi à Roshweil- sur-le- Necke [Sonnenfeld]. Celui-ci l’avait abandonnée, et, depuis, elle avait entretenu avec Naundorff, du moins j’eus lieu de le supposer, une de ces liaisons  de cœur que les mœurs de notre siècle ne tolèrent que trop, mais que la morale, plus encore que les convenances, ne pardonnent jamais.  J’abandonnai complètement à Madame Sonnenfeld la direction de mes affaires. » Madame Sonnenfeld était née Hassert, à Halle, la ville natale de Werge en 1774, elle se  maria en 1795 (elle avait 21 ans) à un soldat, Sonnenfeld, qui déserta, puis l’abandonna. Elle vécut ensuite avec un autre soldat, savoir l’horloger Godefroy  Naundorff, le tuteur de notre Karl Werge-Naundorff. Elle eut deux enfants de ce Naundorff qui portèrent le nom de son mari légitime  Sonnenfeld, savoir Christian, né le 16 août 1797 et une fille, née en 1798 et morte en 1799. Quand elle eut divorcée d’avec Sonnenfeld, elle se remaria en 1800 avec un 3e soldat, Jean –Christian Muller, dont elle eut un fils, mort en 1802. Muller l’abandonne un peu plus tard et elle eut encore  d’autres  liaisons.
  En 1810, elle se met en ménage avec le garçon qu’elle a élevé, soit Karl-Benjamin Werge qui prend alors le nom de son « beau-père » horloger et tuteur en le modifiant un peu,  Naundorff.  Elle-même mourut en. 1818.
Notre Naundorff fait en1818  la connaissance d’une jeune fille de 16 ans à peine, Jeanne Einert, orpheline de père, qu’il épouse moins d’un mois après l’avoir rencontrée, soit le 19 novembre 1818 ; l’acte de mariage indique qu’il est Charles –Guillaume  Naundorff, bourgeois   et horloger en cette ville [de Spandau], fils unique et légitime de feu le sieur Godefroy Naundorff, bourgeois, fabricant [de montres]  et propriétaire près Weimar. C. –G. Naundorff, âgé de 43 ans, a été  rendu veuf par la mort de sa femme [Sonnenfeld, en 1818].
 C’est sous le nom de Naundorff que Werge  prête  serment, en 1812, comme bourgeois  de Spandau et c’est  sous ce même nom de Naundorff qu’il exerce son  activité d’  horloger en 1827 à Brandebourg, 
  En somme, selon moi, le chemin du pseudo- Naundorff, alias Werge,  a croisé celui du tambour de Belgiojoso , qui signait Louis Bourbon, ce qui  a donné à Naundorff  l’idée de s’identifier à lui et de se  dire Louis XVII : à la prison de Brandebourg, il signe Ludwig Burbong, alors qu’ en réalité son nom de baptême était  Werg ,  protestant et bourgeois. « Après beaucoup de détours, j’arrivai à la frontière de Bohême [en Slovaquie] et j’entrai comme officier dans l’armée du duc de Brunswick- Oels, qui avait obtenu connaissance de ma condition. En 1810, à la tête d’un détachement de 25 hommes, je pris part à une escarmouche [contre les Français] près de Dresde, et mes gens furent en partie tués, en partie  faits prisonniers. Je fus moi-même grièvement blessé et tombai en captivité. Les troupes françaises  m’escortèrent avec les autres prisonniers, mais me laissèrent à Magdebourg, parce que j’avais une fièvre nerveuse. Avant que je ne fusse complètement rétabli, on nous embarqua pour la France [le bagne de Toulon]. Là je réussis avec un certain Friedrich (est-ce le tambour de Belgiojoso, voir mon blog sur le tambour de Belgiojoso, qui se disait Louis XVII ?] à m’échapper par un caveau qui se trouvait dans une église où on nous avait mis pour nous reposer. Nous allâmes alors tout droit à Berlin pour y entrer dans l’armée comme hussards .A cause de ma qualité d’étranger [de Français ?],  je ne fus pas admis, mais le Président de la Police Le Coq me permit de m’établir comme horloger [à Berlin, sous le nom de guerre, -Naundorff,- du père nourricier que son père biologique lui avait choisi à la mort de sa mère, la maîtresse du conseiller auprès du roi] et je m’établis Schützen strasse,  n°52.Un an après, j’allai à Spandau où je séjournai jusqu’en 1822 Signé Ludwig Burbong »

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