LE
DOLMEN IMMERGE EN SAISON HUMIDE DE PERONVILLE (EURE-ET –LOIR) : RÉFLEXION SUR LA
FONCTION DES DOLMENS.ET DES SOUTERRAINS EN LIEN AVEC L'INITIATION
On affirme souvent que les dolmens seraient des tombes
collectives. Le cas du dolmen installé
en plein milieu du lit de la Conie, à
Peronville, sème toutefois le doute sur cette hypothèse alité. Le nom de
Peronville signifie la ferme (latin villa) du perron, de la
grosse pierre, entendons ici le dolmen,
et ce nom date du XIIe siècle. Voici la description (d’ailleurs inexacte) qu’en
donne, Max Gilbert dans Pierres
mégalithiques (menhirs et dolmens) en Normandie, Guernsey Press,
Guernesey, 1956, p. 128 : « trois dolmens, sous l’un desquels [il s’agit du dolmen immergé ] jaillit une source ». Les deux autres
dolmens semblent avoir été détruits.
Peut-être étaient ils situés au lieu-dit Frileuse
(de frilosa, signifiant riche en mégalithes, ceux-ci étant appelés frit
en ibère, cf le site corse de Filitosa,
de fritosa).
On
l’appelle encore Pierre Saint -Marc,
christianisation du nom gaulois mar,
qui signifie pierre et dont on retrouve le radical en français dans marelle, méreau, ainsi que dans le nom
du lieu-dit [Saint-Sauveur-] Marville, signifiant la ferme (latin villa) de la pierre.
Ce
mégalithe de Péronville est analogue à deux autres dolmens immergés ou quasi
immergés.
Le dolmen immergé de la boire de Champtocé- sur- Loire (près d’Angers, Maine-et-Loire)
La boire est le nom dialectal donné à ce faux bras de la Loire, sans beaucoup d’eau, voire boueux. Le mot est
à l’origine le nom du dolmen immergé lui-même , nom qui n’était plus compris :
la mare, puis la mware, enfin la boire. On
a identifié sept blocs de grès, dépassant de quelques 12 à 40 cm au-dessus de
l’eau, et qui étaient inaccessibles sans entrer dans l’eau ou sans utiliser une
barque ; ils étaient situés à une quinzaine de mètres de la berge. .
Le dolmen immergé ou ’allée couverte
de l’étang de Vaubuisson près du
ruisseau la Romme (Maine-et-Loire)
Citons encore une petite allée couverte voisine, celle de l’étang
de Vaubuisson. Le nom : de
Vaubuisson vient de val
et de buisson, ce dernier étant un dérivé
de buxonum, coffret de buis et. Ce nom se retrouve en
Eure-et-Loir, commune de Vieuvicq, P ; 56 : prendre la route de Saint
-Avit -les- Guespières ; à 150 m, à
droite, chemin de terre sur la rive duquel gît, à 200 m., le dolmen du Buisson. . Ce peut être
aussi un
nom de polissoir par analogie avec les dents du peigne de buis (buxum) qui en rappellent les stries ;
le nom se retrouve pour un dolmen d’Eure-et-Loir) plus qu’à moitié enterrée
dans la vase, submergée à la moindre crue de la Loire, et accessible à pied sec seulement en plein
cœur de l’été.
Le site
mégalithique du Baignon (où l’on reconnaît le mot bain, avec suffixe –on, la
petite baignade, par allusion au bain forcé des néophytes, du latin balneum) dans la commune de Saint-Maur-
sur-le -Loir en Eure-et-Loir, dont 4 dolmens sont encore visibles, au bord du
Loir. A Meuves, « dans les prés ou buissons qui séparent la route du Loir
et notamment à côté des ruines du Baignon,,nombreuses
pierres druidiques, dolmens et menhir », ;écrit
Sidoisne,op. cit, p.52. »
Interprétation de la fonction
secondaire de ces « perrons »
immergés : le rite de l’appel de la pluie.
Ce type de
dolmen a été réutilisé pour faire
pleuvoir, par magie imitative : on versait de l’eau sur la dalle
supérieure du dolmen, et la nature était censée imiter la chute de l’eau et
faisait pleuvoir. De même nous avons en Corse, sur la commune de Tizzano, le dolmen de Fontaniccia, la fontaine maudite, c’est-à-dire la fontaine des
païens, au nom révélateur. Chrétien de Troyes, vers 1170, a décrit dans Le
chevalier au lion (trad. André Mary, Gallimard), Paris, 1944, p. 132,
la fontaine merveilleuse de
Barenton : « tu verras cette fontaine qui bouillonne et qui est plus
froide que le marbre. Le plus bel arbre de la nature la couvre de son
ombre ; il est vert en toute saison, et il y pend un bassin de fer par une
longue chaîne qui tombe jusque dans la fontaine. Auprès tu trouveras un perron (dolmen)
,[ me dit-il], comme jamais je n’en vis et
ne saurais te dire, et de l’autre
côté une chapelle , petite, mais très belle ; si tu prends de l’eau dans
le bassin et que tu la répandes sur le perron, il s’élèvera une si épouvantable
tempête que nul animal ne demeurera dans le bois, chevreuil, daim, cerf ni
porc ; les oiseaux même fuiront à tire- d’aile, car tu verras foudroyer,
venter, tonner et pleuvoir et les arbres fendus tomber sous les éclairs […] Si
fort qu’il plût, le pin ne laissait passer une seule goutte de la pluie qui coulait
toute par-dessus .Je vis pendu à l’arbre le bassin qui était , non de fer,
mais de l’or le plus fin. Quant à la fontaine, vous pouvez croire qu’elle
bouillonnait comme eau chaude. Le perron était d’émeraude, avec quatre rubis
plus flamboyants que le soleil au matin quand il paraît à l’orient, et il était
percé comme un tonneau. Sur ma conscience, je ne vous mentirai en rien. Je fus
curieux de voir la merveille de la tempête, et ce fut folie de ma part, et je
m’en fusse désisté volontiers, si j’avais pu, aussitôt que j’eus arrosé le
perron de l’eau du bassin .J’en versai trop, je le crains, car je vis le
ciel tellement démonté que plus de quatorze éclairs à la fois frappaient mes
yeux, et que les nues jetaient pêle-mêle de la neige, de la pluie et de la grêle.
»
Cette
fontaine merveilleuse est encore mentionnée par Wace, Jacques de Vitry, Thomas
de Cantinpré, et Guillaume Le Breton. Le dominicain T. de Cantinpré raconte en
ces termes la « merveille de Bretagne » : « le prieur arrive à une fontaine admirablement limpide,
sur laquelle se trouvait une pierre semblable à un autel [un dolmen] avec des
colonnes de marbre, et aussitôt le frère y répandit l’eau. Incontinent le ciel
s’obscurcit, les nuages commencèrent à affluer, le tonnerre gronda, la pluie se
mit à tomber et la foudre à étinceler, et ce fut une telle inondation qu’il
semblait que la toute la terre allait s’abîmer à une lieue alentour. »
Selon A. Mary, le modèle de cette fontaine se
trouverait dans la forêt de Paimpont,
près du château de Comper, où, à six
kilomètres et demi du château, on trouve un dolmen.
André Mary cite un autre exemple de ce rite
magique pour provoquer la pluie, en Côte
-d’Or à Magny- Lambert, concernant la fontaine Crot Saint-Martin: « Pour
conjurer la sécheresse, neuf jeunes filles s’y rendaient pendant neuf jours de
suite ; l’une d’elles se plongeait jusqu’à la ceinture dans la fontaine
qu’elle épuisait à l’aide de seaux que prenaient tour à tour et vidaient ses compagnes. »
Cette cérémonie était entremêlée de prières pour demander au ciel la pluie et
se déroula jusque vers 1830.
Les noms des dolmens.
L’homme
médiéval disposait de plusieurs mots Pierre
-pèse ou pois (du latin pensile, suspendue, sur piliers), Pierrelaye, du gaulois lada,
coffre, Pierrelatte, par fausse étymologie et dérivation du latin lata, large, au lieu
du gaulois lada, coffre, comme Pierre plate
et Pierre large.
1Le nom de La puce qui renifle à Fontenay –sur- Conie, vient de puticellus
, le pucel , le jeune garçon de
moins de17 ans, qui pleure par
peur, et ce nom constitue une référence
à la vocation des dolmens : l’initiation
des jeunes gens.
2 Le nom du domen du Corbeau, près de
Doué-la-Fontaine, commune de Louresse -Rochemenier, dans le Maine -et- Loire ; est de même nature. Il vient de kouros, donnant korbellus , jeune homme, et on retrouve le même nom dans l’ Odyssée,
XII, 407), la pierre du « corbeau », korakos lithos, à Leucade (la
véritable île d’Ithaque en Méditerranée), de
kouros , jeune homme : c’est le plus ancien nom de dolmen . Ce toponyme est commenté par Plutarque, Moralia, 776e, et le dictionnaire Bailly le localise sur un cap d’Ithaque nommé aujourd’hui Koraka Petra.
Même en adoptant la théorie
de F. Vinci, dansThe Baltic
origins of Homer’s epic tales, The Iliad , The Odyssey, and the migration myth,
2006, Inner Traditions, Rochester, Vermont, qui, p 34 , a trouvé sur l’île danoise Lyë un dolmen appelé Klokkesten où sten signifie pierre et où, selon moi, klokke vient de kolkw, cf . kouros
de korkvos, et où klokke vient de kolkw, cf . kouros
de korkvos, donnant corbellus . L a même incompréhension a
fait passer du dolmen des Jeunes hommes, futurs
initiés, au dolmen du Corbeau, tant
sur l’île danoise que sur Ithaque- Leucade. Nous avons dans Korakos
lithos , le dolmen du Corbeau , un curieux singulier
antéposé à lithos , où korakos vient
en réalité de kworakos avec un r voyelle donnant ra, C’est là un indice surprenant de la véracité des thèses de F. Vinci.
3 Le nom du
Puy aux Ladres est intéressant parce
qu’il révèle le souvenir qu’il s’adressait à des jeunes qui n’étaient pas
encore initiés.sonnomest, en effet, l’altération de puy (podium, au sens de tribune, estrade) aux jadres (du latin juniores,
trop jeunes, candidats à l’initiation, cf gindre,
le plus jeune ouvrier boulanger qui pétrit la pâte ) . Il est celui d’un
dolmen dont Sidoisne , op. cit., p. 58, décrit ainsi la situation :
« Conie.. .A la sortie nord du village, prendre le chemin d’intérêt commun 111 7 qui traverse, puis longe la
Conie, dans un site très pittoresque et très caractéristique de cette étrange
rivière ; à 1 km 500, Fleuvarville ; on tourne à droite à 800 m ;
s’engager dans un chemin vert qui, à droite, suit le bord du plateau ; à 550
m, sentier à droite conduisant (100 m.) à une clairière sur la lisière est de laquelle se dresse un dolmen dit le Puits –aux-Ladres. ». Dans la
commune de Châtillon –en- Dunois subsiste , christianisé, le nom de Saint -Ladres (au pluriel) qui faitréférence
à un dolmen disparuprobablement.
L’allée couverte seulement en partie s’appelait
, comme à Saint- Avit- les –Guespières (Eure-et-Loir) , Quincampoix , de guinguet
pois , c’est –à- dire la pierre suspendue sur des piliers (pensile donnant pois), mais trop courte (adjectif guinguet) pour recouvrir complètement l’allée.
Un des noms
de dolmen fréquents est un composé de -mont,
du francique mound, ensemble
de pierres: Beaumont, à Trizay- lès- Bonneval,
de Beau, venant de Belsama, la divinité qui donne son nom à
la Beauce.
La fonction primitive de ces dolmens : des lieux d’initiation à la
date du solstice d’hiver comme les autres dolmens, et non des tombes
collectives pour les chefs.
Le dolmen
immergé de la Conie ne saurait avoir été un lieu d’inhumation ni individuelle
ni collective, puisqu’il est inondable. Il ne
pouvait naturellement pas être
enterré et ne possédait donc pas de tumulus, qu’il s’agisse de terre formant
tertre ou de cailloux comme dans le cas des cairns On peut supposer que le sol y avait été
surhaussé, de façon à obliger les néophytes à n’avoir que la tête hors de
l’eau, leur tête étant prise entre l’eau
et la face inférieure de la dalle de couverture du dolmen. La date des fêtes
nous est livrée par le nom des nombreux
dolmens appelés Jolimont dans le nord de la France,
composé de -mont, du francique mound, ensemble de pierres et de Joli, du scandinave jôl,
nouvelle année, solstice d’hiver du 21 décembre avec les débordements qui l’accompagnaient.
La « hauteur sous plafond »
de la pierre Saint-Marc à Péronville.
Max Gilbert
(op.
cit. , p 144) fait remarquer que
l’entrée des dolmens normands est trop petite pour permettre le passage aisé
d’un homme. « Sous les dolmens de Martinvast et de Flamantville, [à
supposer aux dolmens une fonction d’inhumation, ce que ne fait d’ailleurs pas
Max Gilbert
], on ne pourrait mettre qu’un homme enterré assis ou les jambes pliées […] Pour
le dolmen de Mortain, seul un lapin pourrait maintenant se glisser
sous la dalle inférieure ; sous les dolmens de la Grandière à Joué- les-
Bois et du Faldouet à Jersey, un homme pourrait se tenir debout en inclinant la
tête, mais ne pourrait y évoluer ni y vivre. Dans la plupart des allées
couvertes, un enfant ne pourrait pas se tenir debout, mais seulement entrer à
genoux ». Ainsi, il s’agissait de
contraindre les candidats à l’initiation
à se baisser et à marcher à quatre
pattes comme des bébés qui n’ont pas encore appris à marcher.
La sortie du dolmen
Cette
sortie du dolmen, symbole de la re-naissance, s’effectuait pour l’initié en soulevant,
seul ou à plusieurs, et parfois même , comme
à Péronville, dans l’eau, quelque énorme
pierre appelée spécifiquement tombe (le
« bouchon ») qu’on trouve encore souvent tout près de nombreux dolmen .
Les données de l’anthropologie
d’inspiration psychanalytique des sociétés sans écriture.
Bruno Bettelheim , dans Les blessures symboliques, Tel
Gallimard,
Paris, 1962, p.141, décrit un rituel australien qui lui paraît
« significatif quant à son simulacre d’existence intra-utérine et
d’émergence à la naissance : « quand les garçons (Nandi, au Kenya)
sont remis (de la circoncision), on célèbre la cérémonie kapikiyai. Au moyen d’un barrage, un plan d’eau est délimité sur la
rivière ; une petite hutte est
édifiée (au milieu de la rivière).
Tous les garçons se déshabillent et,
précédés par le plus ancien (l’initiateur), ils rampent les uns derrière les autres et traversent la hutte par
quatre fois ; ils sont alors
complètement submergés par l’eau. »
Après cette
dernière cérémonie d’initiation, « il est permis aux garçons de sortir et de voir des gens, mais
ils doivent encore porter des vêtements de femmes. » (A.
C Holls The Nandi : Their langage and folklore, The Clarendon Press,
Oxford, 1909, p. 56). “La
submersion , continue Bettelheim, est, bien entendu, un cérémonial initiatique
très courant, analogue à notre baptême. Mais, dans le rituel nandi, l’immersion qui, si souvent,
symbolise le retour à la matrice ou la sortie de celle-ci se combine avec un autre symbole de l’utérus, la hutte.
De plus, les garçons sont tenus de
ramper, ce qui signifie qu’ils se rapprochent de la position foetale.
Habituellement, la hutte qui apparaît dans de nombreuses cérémonies
initiatiques peut, en tant que symbole maternel, être laissée de côté ;
après tout, les initiés sont bien obligés de passer leur retraite quelque part,
et la hutte est une habitation d’un usage commun. Dans le cas présent,
cependant, elle est véritablement dans l’eau, donc reliée directement à
l’immersion et à la reptation. On peut voir dans cette association comme une
tentative de recréer l’existence intra-utérine où l’enfant est confiné dans un
lieu sombre et exigu, entouré de liquide. Dans les tribus australiennes , on
voit, dans de nombreux détails, les hommes traiter les initiés comme s’ils étaient
des bébés qui viendraient de naître. Par exemple, ils portent les garçons sur
leurs épaules comme les femmes portent leurs bébés. »
Il suffit de remplacer la hutte par la pierre
du dolmen entouré d’eau et l’analogie
est parfaite. On peut rapprocher , dans une région où il y a des dolmens comme
la Corse, le rite de la couvade décrit pour la Corse par un auteur grec,
Diodore de Sicile, XI : « Á la naissance de leurs enfants, les Corses observent une cérémonie tout à fait bizarre.
Ils n'ont aucun soin de leurs femmes pendant qu'elles sont en travail, mais le
mari se couche sur un lit et s'y tient pendant un certain nombre de jours comme
une accouchée. » Dans les îles Trobriand, « dès que l’enfant
est né, le père s’installe dans son hamac, s’abstient de tout travail,
s’abstient de viande et de nourriture à l’exception d’une bouillie
claire. Il ne se lave pas, et surtout
s’abstient de toucher toute arme ; les femmes de la tribu prennent soin de
lui et le nourrissent… Cet état se prolonge pendant des jours, parfois pendant
des semaines. » Comme l’écrit Malinovski, « la fonction de la couvade
représente l’établissement de la paternité sociale par l’assimilation
symbolique du père à la mère. »
On
peut aussi songer à l’épisode du pont
sous l’eau encore appelé le pont de
l’épée, où Lancelot doit, pour rejoindre la reine Guenièvre, doit franchir un pont submergé par des eaux
menaçantes avec au bout un lion et, en
lieu de pont, sous l’eau, une lame effilée; ou au pont de Belhaven en
Ecosse qui ne mène nulle part sauf à
l’Océan et à marée haute est complètement submergé. Dans Le Chevalier à la charrette,
d’après Chrrétien de Troyes, par Claude Duneton et Monique Baille, Editions Albin :Michel/,
Paris , 1985, p . 107 :
« Enfin ils voient dans les ténèbres se profiler l’ombre effrayante du pont….Vois
l’eau perfide se dérouler en longs flots noirs qui grondent avec fracas. Vois les cailloux rouler et jaillir dan toute
cette boue, et la force du torrent, et la fureur des ondes qui semblent
vouloir briser leur brune prison de terre. . ; La même image leur est venue du fleuve infernal dont on leur a
parlé, du fleuve des morts, gardé, dit-on, par des dragons [le lion .à l’arrivée
du pont] » et p. 152, « ils sont enfin arrivés au
bord de l’eau grondante., là où le pont était planté. Mais qui donc avait eu
l’idée de construire pareille chimère ? Car le pont était sous l’eau, et
celui qui voulait passer devait entrer
jusqu’à mi-corps dans le torrent écumant et glacé. »
Tout
ceci confirme à nos yeux le rôle du dolmen comme lieu d’initiation,
c’est-à-dire comme lieu où l’initié grâce à son initiateur devient un homme
Les dieux et déesses de l’initiation
et de l’enfance telles que le latin en a conservé les noms: Statana, Stata Mater,
Annotina, Mamoiadai.
Les dolmens
furent initialement des lieux d’initiation, comme l’indiquent certains noms
bien interprétés. Par exemple, en Corse, on les appelle stantara, le lieu où on apprend à marcher debout, altération de Statana,
Statana étant le nom à Rome de la déesse qui présidait aux premiers pas de l’enfance.
Son nom est à mettre en rapport avec Stata Mater, assimilée à la déesse du foyer Vesta. Les
candidats à l’initiation se trouvaient dans une « maison pour
nains » [nain au figuré ,au sens de ceux qui n’ont pas encore atteint
la taille des adultes], comme les
appellent les Bretons (Ti- ar -Boudiked,
Ty- ar- Chorriket ou Ti- ar-
Korriganed) et les Corses, ou les Euréliens avec le Berceau de Gargantua, comme à Changé (Saint - Piat), même s’il
avait fallu des géants, peut-être nains à leur tour lorsqu’ils étaient enfants, pour construire la demeure.
En Sardaigne, nous avons Mamoiada
(celle qui ressemble à une mère, avec suffixe de ressemblance –ada) et au Portugal, Mamra, de mam-ada , à rapprocher de Mammisi, mot copte signifiant le lieu de
naissance et introduit par Champollion pour désigner la chapelle où se
déroulait chaque année une cérémonie anniversaire de la naissance de l’homme
véritable, entendons de la date de l’initiation et non de la date de la
naissance physique..
De même, le nom de
Murumendi au Pays basque renvoie à
des gouffres où tous les sept ans se passait une procession avec danse et sacrifice en l’honneur de la déesse Mari. Nous rencontrons aussi en pays
basque le nom de la déesse Anta, altération du nom de
la déesse romaine Annotina, la déesse
qui protégeait les enfants d’un an,l’ âge où l’on apprend normalement à marcher.
.
Venons-en aux rites de passage eux-mêmes tels qu’on peut les
reconstituer par l’imagination. Evoquons
d’abord le cas des dolmens percés, dont la pierre de fermeture a un trou, avec
un bouchon, que l’initié devait enlever
pour passer de l’autre côté et « naître » réellement. Le nom de
Perceval, selon l’étymologie populaire celui qui perce la dalle d’entrée, désigne celui qui a réussi à sortir tout seul
du dolmen où, en tant que candidat à l’initiation, il avait été enfermé avec
ses compagnons.
La danse consistait à piétiner rythmiquement
le sol jonché d’ossements ancestraux, broyés menu, afin de s’assimiler leurs
vertus, ossements dont on trouve parfois trace. et qui ont pu donner à croire
qu’il s’agissait de sépulcres.
Ensuite,
l’initié devait boire un verre de sang dans un biberon en cuir ou en osier tressé , appelé en grec kissubion , où le lait était remplacé
par du sang frais. En Corse, on a trouvé, près du dolmen Fontaniccia, des pigments
rouges, destinés à imiter le sang que l’initié était censé boire pour devenir
un homme. .
Le pavé
de saint Lazare en Indre –et- Loire à Crouzilles, 700 m avant l’entrée de l’Ile-Bouchard, est teinté de rouge. En
1842, l’abbé Bourrasse écrit à son sujet : « Des traditions
terribles se sont conservées dans le pays. Lorsque la table est mouillée par la
pluie, elle prend une teinte foncée d’un rouge ferrugineux ; on prétend
que c’est la trace du sang des victimes qu’on
a égorgées sur cet autel. On montre encore une rigole peu profonde et une cavité irrégulière destinées à
recevoir le sang qui coulait sous le couteau de silex du druide [anachronisme
dont il ne faut pas tenir compte] sacrificateur » Le nom relativement moderne de pavé de saint Lazare fait allusion à
Lazare ressuscité par le Christ.
Mais le ressuscité était en réalité ici celui qui avait bu du sang dans la
cupule du dolmen. Pareillement, à Comper dans le Morbihan, les menhirs sont faits de schiste pourpré,
comme en Angleterre le Chalice Well de Glastonbury, le puits du Calice, d’où coule
une eau rougeâtre, comme aussi le menhir des Pierres Rouges, à Bridlington, dans le Yorkshire : on peut
donc supposer que les dolmens du
voisinage êtaient faits du
même matériau.
Les dolmens et l’évolution de leur utilité.
Les dolmens sont le résultat d’une longue
évolution qui a commencé il y a quelques 10000 ans en Europe après la sédentarisation de leurs constructeurs et
l’invention de l’agriculture en Asie
mineure. .Avant les dolmens comme celui de Péronville, il y a d’abord eu ces parents pauvres des dolmens, qui leur sont
pourtant bien antérieurs : les
doubles alignements de pierres en forme
d’allées totalement découvertes, dédaignés
à tort, des archéologues, puis les
allées couvertes qui leur ont succédé.
Les doubles alignements de pierres ou allées totalement découvertes, comme celle du lieu-dit Les Marques, au sortir du
hameau des Goislardières en allant de Lanneray à Marboué (Eure-et-Loir) et les
premières cérémonies d’initiation, avant celles qui furent par la suite réalisées
dans les dolmens.
On peut
apercevoir, en bordure immédiate d’un petit cours d’eau et parallèlement à
celui-ci, un double alignement de blocs de pierre verticaux qui ne dépassent pas le sol de plus de 70 cm, double alignement qui se termine en un berceau fermé sans toit.
Il n’est pas possible, à cause de la contiguïté du ruisseau, d’enterrer cette
allée qui, comme le dolmen de Péronville, n’a donc jamais été couverte de terre. Le nom Les Marques (en gaulois, mar, pierre, avec morphème de pluriel k) désigne les pierres verticales qui
composent cette allée.
Aux Marques,
le berceau de l’allée est le lieu
d’initiation finale des néophytes. Le vocable mortier, l’auge taillée dans une seule pierre où l’on écrase le grain , où on le fait
« mourir », vient du latin mortarium , dérivé du latin mors,
la mort. La résurrection des néophytes,
leur renaissance, est destinée à mimer la renaissance de l’orge, après sa « mort » hivernale dans la
terre. De même que l’orge était coupée, liée, battue, broyée dans le mortier,
et enfin dévorée, sauf une précieuse part mise en réserve pour assurer sa survie et sa renaissance au
printemps de l’année suivante, de même les blessures symboliques qui sont
infligées aux néophytes ont pour mission
d’assurer leur résurrection finale en tant que vrais hommes accomplis de la tribu. Ainsi, on faisait semblant
d’enterrer, comme si c’était du grain, les jeunes garçons dans un sillon de roche fermé aux deux bouts,
où ils devaient pénétrer par le haut et
où, lorsqu’ils s’y étaient mis à quatre pattes,
on leur lançait des mottes de terre et des branchages. Enfin, on les
aspergeait avec de l’eau puisée tout à côté dans le ruisseau, par une sorte de rite baptismal. Les blocs
des parois de ces allées découvertes laissaient entre eux des interstices à
travers lesquels les infortunés voyaient
s’abattre sur eux un déluge de terre et
d’eau, au bruit démoniaque des instruments appelés bull- roarers par les ethnologues.
La fonction
première des allées non couvertes et, par la suite, des allées couvertes, comme des dolmens, n’était aucunement d’être des sépultures .
Ce furent d’abord des chambres d’initiation
pour néophytes, qu’elles soient immergées comme à Péronville ou non.
LES SOUTERRAINS ANNULAIRES, LES
CRYPTES OU CAVEAUX
SOUTERRAINS, LlEUX D’INITIATION LIES AUX DOLMENS ET A LA DEESSE DES MORTS GORGOBINA OU GARGANTUA.
Les inventaires complets de souterrains du Tarn et du Périgord
notamment ont été publiés, mais ceux de Beauce ne l’ont pas été. Voir le Bulletin de la Société dunoise
n°299,2009, p; 60-68 , « Les souterrains de Beauce : entre mythologie et
histoire », par Michel Aubouin, et surtout la seconde partie , bulletin n°300, 2010, p.19-31(2e partie, avec
bibliographie) . Je me suis inspiré , pour le lien avec la circoncision et pour
l’interprétation des formes bizarres des souterrains , du livre de Geza Roheim, Héros phalliques et symboles maternels dans la mythologie australienne (reproductions commentées inspirantes) et de Bruno Bettelheim, Les blessures symboliques.
Je pense
que la fécondité était le moteur de l’idéologie préhistorique et qu’elle
inspire certes les menhirs, mais aussi es cérémonies d’initiation destinées à faire des adolescents de
« vrais hommes » capables de perpétuer la tribu , de la nourrir et de
la défendre ;. Les dolmens et les souterrains qui soustraient au soleil
momentanément les jeunes ont cette
fonction mystique, avec le dieu ou la déesse à la fois de la mort, des enfers
au sens païen et de la
renaissance ; il faut rappeler ici (voir mon blog sur les menhirs) que la
mort est la condition préalable de la renaissance végétale. Ce dieu ou cette
déesse survivent dans le nom de Gorgobina ou dans celui de Gargantua. Gorgobina, vient de
(G)orcos , le nom du dieu dela mort Orcus en latin, et de equina,qui
signifie la jument comme
Proserpina ou Persephonè, la jument (pina ou ep(h)ona
, cf ; le nom de la déesse gauloise Epona) d’Orcus ou Porcus . Voir mes blogs sur les Boïens, ainsi que
celui sur les pétroglyphes océaniens et
celui sur les menhirs gravés de Bretagne et la circoncision. En Beauce, où le
nom de Gargantua, toujours monté sur sa jument dont les coups de queue son terribles (est-ce un souvenir
du cheval d’octobre cher à Dumézil et des compétitions qui avaient lieu à son
p^ropos ? voir mon blog sur le cheval d’octobre en Beauce) a survécu, jusqu’à nos jours, les souterrains
sont nommés des fosses ou des croths (de grotte, du grec du Nouveau Testament, cryptè, voûte
souterraine, endroit caché, une muche
en Picardie(du gaulois muciare ,
cacher, ancien français muce,
cachette) ; par exemple ,la croth
aux fées (Gorgobina est devenu une
fée) ou la fosse à Gargantua près de Vierville et Orphin {de (G)or(go)pin(a)](où elle fut transformée
en marnière ) en Eure-et-Loir ). Les
dolmens sont associés en Beauce « En général, l e nom de Gargantua , nous
dit Aubouin , article cité.,p. 28, est associé à ma présence d’un dolmen
ou d’un menhir.. ; à Prunay -le- Gillon
{Prunay , de Proserpinè, provo(r)vinè
)se trouve un dolmen qui porte le nom de
« pierre couverte ». a Noël, cette pierre se tourne et laisse
entrevoir l’entrée d’un souterrain. Les plus hardis peuvent alors s’emparer du
trésor qu’il renferme, mais gare aux amateurs dépourvus de montre, car l’opportunité
n’est offerte que pendant le chant de la Généalogie de la messe de minuit.
Passée cette heure, la pierre se referme et enferme en son sein les curieux ; »
de même, à Pézy (Mont- Chenu), et à Martainville, sur la commune de Fains (de fanum, sanctuaire de Proserpine, dans l’Eure),
au lieu-dit le « champtier duTrésor » ; à Moléans, à la Pierre- Coquelée.,
à Montlandon ; à Viévy -le- Rayé ,
au Trou- du –Diable (Loir –et- Cher)
.D’autre part, la référence au cheval, ou plutôt à la jument sacrée, avatar
de Perséphone, est constante, écrit
Aubouin. , citant l’’abbé Nollent qui avait trouvé de nombreuses fois, en fouillant les
souterrains, des têtes entières ou des mâchoires d’équidés qui y avaient
peut-être pénétré pour des raisons rituelles ;
A Aunay -sous-Auneau , près de l’église,
un couloir creusé dans le roc permet d’accéder par un escalier à une
fontaine dédiée à Saint- Eloi était une fontaine aux chevaux dont l’eau était salutaire pour les chevaux Il
s’agit d’une cave en colimaçon , dont la longueur ne dépasse pas quelques
mètres., mais l’accès en est interdit par une grille.fermée, car elle est
sacrée.
Ce que Aubouin a écrit des souterrains vaut aussi pour les
dolmens : « Si les souterrains
de Beauce, dont l’inventaire reste à faire, ont conservé leur aura de mystère, ce n’est pas
seulement à cause des évocations
qu’engendre le monde de l’obscurité, mais c’est aussi parce que l’archéologie
n’a pas réussi à en saisir complètement l’objet. Les Beaucerons, qui sont des gens rationnels
et économes de leurs efforts, n’ont pas pu creuser autant de caves et de
cavités, sans que cela ait eu pour eux une utilité. C’est le sens de cette utilité qui nous échappe
en partie. »
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