vendredi 27 août 2021

Les quelque 200 ou 300 tumuli de l‘Ile des Pins et les débuts de l’agriculture préhistorique.

 

      Les quelque 200 ou 300 tumuli de l‘Ile des Pins et les débuts de l’agriculture préhistorique.

1 La  découverte de leur intérêt par le professeur de géologie Paul Avias en 1949.

C’est dans « Contribution à la préhistoire de l’Océanie : les tumuli des plateaux de fer en Nouvelle-Calédonie », Journal de la Société des Océanistes, Tome 5, n°5, 1949, que Paul Avias  attira l’attention sur ces tumuli jusqu’alors méconnus ; sa  description est toujours valable : au centre une colonne de débris calcaires de coquillages, parfois existent au sommet des trous.

 

2 Les diverses hypothèses : origine géologique, origine animale, origine humaine

a) L’origine naturelle

  Les deux hypothèses d’une origine naturelle, géologique ou animale,  des tumuli.

1) En Australie, on a trouvé des stromatolithes, c’est-à-dire des colonnes calcaires fossiles formées par l’activité de bactéries. Pascal Philippot, au CNRS, Institut de physique du globe, Paris, a étudié ces bactéries très nombreuses d’il y a 2,72 milliards d’années, vivant dans des lacs  hypersalés et peu profonds  et capables de se nourrir d’arsenic,  malgré la toxicité de cet élément. Le seul fait d’avoir déposé des détritus de coquillages sur le plateau de l’île des Pins, comme sur l’îlot Koniene, pourrait  avoir stimulé l’activité bactérienne. On pourrait supposer que les courants ou  les vents ont accumulé des terres latéritiques autour de ces colonnes.

Discussion.

Les trous de poteau signalés par Luc Chevalier , au sommet des tertres , incitent, selon moi, à préférer une origine humaine.

2 L’origine animale.

Des  mégapodes pourraient, selon les partisans de cette hypothèse,  être  le  bâtisseur du cylindre et du tumulus.

1Worthy, Trevor H. (2000). "The fossil megapodes (Aves: Megapodiidae) of Fiji with descriptions of a new genus and two new species.". Journal of the Royal Society of New Zealand 30 (4): 337–364. doi:10.1080/03014223.2000.9517627. 

2 ,Worthy, T., Mitri, M., Handley, W., Lee, M., Anderson, A., Sand, C. 2016. Osteology supports a steam-galliform affinity for the giant extinct flightless birds Sylviornis neocaledoniae (Sylviornithidae, Galloanseres). PLOS ONE. doi: 10.1371/journal.pone.0150871

3"Object: Fiji Scrubfowl, Megapodius amissus; holotype". Collections on line. Museum of New Zealand Te Papa Tongarewa. Retrieved 2012-08-18.

Des spécialistes du Jardin des Plantes ont relié une tradition de l’île des Pins que j’avais rapportée dans le bulletin de la SEHNC , Société d’Etude Historique de la Nouvelle-Calédonie (« Deux oiseaux fossiles de Nouvelle-Calédonie, bulletin n° 29, 2e tr. 1976, savoir un oiseau noir aptère ,le du, et une sorte de dindon) sur un oiseau fossile,   à l’existence d’un grand mégapode présent dans la partie indonésienne de la Nouvelle-Guinée sur l’île Waigeo, localité de Jeimon (Aegypodius brujnii ou talégalle de Bruijin). Celui-ci constitue la seule espèce d’oiseaux qui ne couve pas ses œufs mais, au lieu d’un nid, construit un monticule d’incubation haut de 2 mètres avec toutes sortes de débris,  si bien que, au centre, se forme un cylindre organique sur lequel le mégapode dépose ses œufs et les recouvre de terre. Le mâle porte trois caroncules rouges et une crête noire. Les mégapodes, en voie d’extinction, étaient largement répandus aux Philippines, en Indonésie, en  Australie, aux Fiji,  et existaient   à l’île des Pins, si l’on se fie à  la tradition locale que j’ai rapportée.

  Mais d’autres zoologistes penchent aujourd’hui plutôt pour un rattachement au Mégapode noble de Fiji, Megavitiornois altirostris,  éteint, qui ne pouvait bâtir de telles colonnes et de tels monticules, étant donné la configuration de ses pattes. Il couvait ses œufs comme les poules qui lui sont apparentées. Cette hypothèse semblerait donc  devoir être également rejetée.

 

 

Note sur  le talégalle de Latham en Calédonie,  Megapodius mollistructor Balouet 1989.

On trouve ce talégale   en Australie dans le nord du Queensland et dans la  Nouvelle- Galles du sud jusqu’à Illawara. Or, ce dindon existait à  l’île des Pins et sur la grande Terre. Il y avait été aperçu  par William Anderson (Notes manuscrites) lors du second voyage de Cook  et celui-ci le nomma Tetrao australis, trouvant qu’il ressemblait aux tétras d’Ecosse, précisant qu’il était noir,  sans plumes sur les pattes, à la différence du coq de bruyère ou grouse.  Ce mégapode   fut encore aperçu en 1860 par Verreaux et des Murs qui le décrivent comme un dindon des broussailles (les insulaires de  Morari [Boulari] , au Mont-Dore, l’appelaient ndino). Balouet, qui en a trouvé des ossements fossiles, l’appelle Megapodius mollistructor, nouvelle espèce.

Le Sylviornis neocaledoniae Poplin 1980, dont le statut est très débattu,  pourrait n’en être qu’une variété (Mourer- Chauviré et Balouet, monographie de 2005)

  Il ne faut pas confondre ces dindons de grande taille avec le du des Kounié , une sorte de poule noire aptère Megapodius eremita, analogue à des volatiles voisins aux Salomon (Megapodius eremita, Mégapode mélanésien), au Vanuatu (Megapodius layardi)  et en Papouasie (Megapodius decollatus).

Roheim, Héros phalliques… , p.131, nous apprend qu’un pulapa (danse des hommes) pitjentara correspond au mythe du totem du dindon australien apparenté au Megapodius mollistructor, nouvelle espèce.

 

c) L’origine artificielle

On la trouvera exposée dans l’article de J. Exbroyat : « Les tumuli de l’île des Pins, un système d’irrigation ? », bulletin de la SEHNC  n°146, 1er tr. 2006.

 

4 Mon hypothèse.

a) Les menhirs et pierres à ignames en Nouvelle-Calédonie

La fonction première du menhir : un catalyseur magique de la percée végétative.

James George Frazer, dans Le Rameau d’or,  Balder le Magnifique, Ed. Robert Laffont, collection Bouquins, Paris, 1984, 4 vol., vol .4,   p. 98,  en donne un exemple : « Dans plusieurs parties de la Bavière, on pensait que la hauteur des tiges de  lin dépendrait de celle des sauts des jeunes gens. » Au Vanuatu, sur l’île Pentecôte, le spectaculaire saut du gaul (mot signifiant plongeoir),  toujours pratiqué malgré les accidents mortels et consistant  à sauter du point le plus haut, est censé faire pousser les ignames  d’autant plus profondément  que le saut aura été accompli du plus haut plongeoir . En Nouvelle-Calédonie existaient de très précieuse pierres à ignames, sur lesquelles les sorciers  faisaient encore, il n’y a pas si longtemps, leurs  conjurations secrètes pou faire croître celles-ci. Ces pierres à ignames étaient les équivalents en miniature des pierres  pour l’orge, le  sésame ou le blé qu’étaient  les petits menhirs en France.

 Dans le nord de la Nouvelle-Calédonie, à Arama,   il existe même une quarantaine de petits menhirs dépassant du sol de 60 cm environ : eux aussi, comme les plongeoirs de l’île Pentecôte,  sont censés favoriser magiquement la croissance en profondeur des tubercules  souterrains  des ignames.

Il existe aussi  des sortes de menhirs à Cradji près de  Poya (connu des préhistoriens pour la curieuse  hache préhistorique dite de Poya) et à Païta,où l’on note la présence de  trois tumuli.   On trouve aussi dans la vallée de la Tchamba des tumuli qui présentent,  par rapport à ceux de l’île des Pins ou de Païta,  la particularité d’être clos d’une enceinte de pierres circulaire.

 A  l’île des Pins,  notons les toponymes N’Ga et Gadgi (ces deux derniers  se retrouvant à Païta et e nom de Gadgi évoque celui de Cradji près de Poya).  

Le nom de Gadgi à Païta évoque celui de Cradji près de Poya , et   Cradgi semble  bien être un  nom   de ces monticules préhistoriques  de coquillages  appelés kaizuka au Japon et sambaqui au Brésil.

 D’où viennent les mots gadji ou cradji. ? Ils sont apparentés à l’aïnou kai, coquillage, avec un suffixe  de collectif  ainou en –ki. Au singulier, sans le suffixe de collectif  –ki,  on a la forme N’ga (venant de kai), le pic de 250 m  de l’île des Pins , à rapprocher de  celui de Païta du même nom ,  tous les deux ayant été comparés à un  coquillage pointu.

b) La culture de l’igname, le rôle de la perche à igname ou tuteur .

L’igname a été introduite à partir du Japon par les Aïnous (cf. Avias) ou Djomons. C‘est une plante qui aime la chaleur et peut mesurer jusqu’à 5 mètres au-dessus du sol, aussi est-on en droit de déduire que le tertre et son tuteur devaient originellement mesurer quelque 5 mètres. On réputait que plus la plante croîtrait haut, plus le tubercule souterrain serait gros et long. Mais les tiges sont flexibles et fragiles, si bien quelles doivent être tutorées pour résister au vent. De là les trous, au sommet des buttes, où était plantée une perche dont parle la tradition. La perche était aussi le symbole magique de l’igname.

Nos épis de faîtage au nom symbolique reposaient sur la même croyance que, grâce à ces talismans placés en hauteur   les récoltes croîtraient aussi haut que  ces ornements. L’érection d’un menhir avait ainsi  pour but de mimer analogiquement la pousse  de l’orge ou de

l‘igname,  de la stimuler et de la favoriser par magie imitative. Frazer, op. cit, vol.  III, Esprits des blés et des bois, p. 26,  écrit du « Dionysos de l’arbre » que « son image n’était souvent qu’un poteau planté en terre, sans bras  », imitant très grossièrement  l’arbre fruitier , ici le cep de vigne, qu’il s’agissait de faire pousser par sympathie. 

 

c) La mort préalable à la renaissance de la semence végétale

Le grand secret des menhirs, ou  la problématique fondamentale de la représentation du blé ancien et du blé nouveau dans les  menhirs  et ses diverses solutions.

Voltaire a raillé ce qu’il appelait l’ignorance botanique du Christ lorsque celui-ci déclare dans Jean  12, 24: « si le grain  de blé qui est  tombé en terre ne meurt, il reste seul; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit ». Pourtant,  le Christ se faisait là l’écho d’une croyance populaire universelle : le grain ne pouvait germer que s’il mourait d’abord !

Il faut donc que la mort du grain, condition de tout,  soit symbolisée, d’une façon ou d’une autre, dans le menhir qui représente la germination du grain. La solution pratiquée à Göbekli en Turquie (-10000), à Minorque aux Baléares , en Ethiopie, a consisté en l’adjonction au sommet du menhir d’une dalle horizontale figurant le grain mort. Ici, les tas de coquillages morts symbolisent cette  mort préalable et ont contribué à l’édification de la concrétion calcaire en forme de colonne au centre du tertre avant qu’elle ne soit enterrée avec de la terre des proches environs. On peut se demander d’où vient cette étrange idée de la mort précédant la  renaissance ; peut-être est-ce la considération du germe du cocotier, issu d’une noix verte et vivante qui doit se dessécher pour que le germe jaillisse de cette pourriture du coco sec.

 On connaît la solution de Göbekli en Turquie (-10000) ou des Baléares: placer sur le fût du menhir une dalle symbolisant le blé mort. La solution de l’île des Pins semble avoir consisté dans la stèle centrale du tertre, faite de coquillages morts compactés et fermentés grâce à l’action des bactéries.

1 Ilot Koniene cf. Kunie, le nom de l’île des Pins : les deux toponymes signifiant l’île des coquillages morts.

a)Les monticules de coquillages de l’îlot Koniene.

J’emprunte à Max Shekleton (Bulletin de la SEHNC, n°158, 1er tr. 2009, « « Walkabout du 14 juillet 1941, sur l’îlot Koniene en Nouvelle-Calédonie, par Wilfred G. Burchett ») la description suivante :

« Alors que nous traversions l’île vers la côte faisant face au récif, nous avons rencontré des hectares et des hectares de coquilles en tout genre y compris des huîtres, des bénitiers, des conques et bien d’autres coquillages qui me sont inconnus, des monticules entiers formés de masses compactées de ces coquillages. Mon guide [originaire de Lifou] m’indiqua qu’on les trouvait jusqu’à une profondeur de deux mètres. Deux mille tonnes ont déjà été prélevées  pour en faire de la chaux et l’impact sur la ressource est insignifiant ; mon hôte [Jules Calimbre] est convaincu qu’elles représentent des siècles d’accumulation alors que l’île était un lieu de festins pour les indigènes se rendant au récif à marée basse, récupérant les coquillages par pirogues entières et  revenant sur l’île pour un festin et un pilou- pilou… « Mais ce n’était pas seulement un lieu pour festoyer », mon hôte interrompit ainsi mes pensée. «  Venez par ici ! ». Et,  en me retournant, je remarquai un grand banyan. Nous nous en approchâmes lentement, les coquillages s’écrasant en poudre sous nos pas. A l’ombre, sous les racines du banyan, se trouvait une possibilité d’explication horrible pour ces festins.   Des os blanchis y étaient éparpillés et, scrutant la pénombre, je pouvais voir les orbites vides de crânes humains. Lisses, gris et polis, il y en avait à tous les stades de conservation, certains dont les dents étaient intactes. Il y avait des os de bras et de jambes, certains avec des traces de fractures. En certains endroits, les racines et les branches avaient entouré les ossements humains, -bien implantés dans le bois de l’arbre, -laissant supposer que les corps avaient pu être placés sur l’arbre même. « Il y avait des centaines de crânes quand je suis arrivé, mais les Javanais les ont dispersés et jetés. Pas les indigènes. » Le guide de  Lifou  apprend au journaliste  qu’il ne s’agissait pas de cannibalisme, mais de tombes parmi ce cimetière de  coquillages morts .

b) Au Japon dont viennent selon Avias les constructeurs de ces tertres :   des dépôts de coquillages sont n également associés aux tombes.

Chez les Djomons ou Aïnous  du Japon, c’est sous le tumulus que se trouvent les ossements.

On peut d’abord songer aux kanjo dori qui sont des tumuli abritant des sépultures collectives, d’une hauteur allant jusqu’à 5 mètres et d’un diamètre de 30 à 75 mètres ;  le montant de terre est estimé à 300 m² : il a fallu 25 personnes travaillant  pendant 123 jours pour remuer cette terre en provenance du puits funéraire voisin, un homme remuant 1 mètre cube par jour .Ces tumuli sont associés à des dépôts coquilliers du Djomon final. Il y  a 14  kanjo dori  contenant de 1 à 21 puits funéraires à Kiusu près de Chitose.

Au Japon préhistorique,  à Terano– Higashi, on compte 127 dépôts coquilliers (et 804 dans la région entière), nombre qui serait plus proche du nôtre : 200 ou 300 tumuli à l’île des Pins. Il y a 1108 dépôts djomons au Japon: d’autres avancent le chiffre de 4 000 mais en comptant des dépôts de période plus tardive.

 Les archéologues japonais pensent qu’il s’agit au départ de détritus d’ordures qu’on aurait transformés, au fil du temps,  en  tumuli funéraires.  

c) A l’île des Pins, c’est à Vatcha,  qu’on a  trouvé des poteries lapita. Or, ce toponyme évoque le catcha de Lifou, c’est-à-dire ces débris coralliens qui ont donné à Gaitcha (Lifou) son nom,  et il est intéressant de voir associées  poteries lapita (servant comme urnes cinéraires ?) et  débris coquilliers.

 Il faut décomposer les mots Vatcha, Gaitcha ou catcha en un mot signifiant coquillage en langage aïnou, kai, et  un suffixe de collectif  en –ka : on a kaika, puis  Gaitcha.   d) L’évolution de la culture des ignames. 

Les cultivateurs d’ignames s’aperçurent rapidement que, avant la récolte du tubercule et comme indice de sa maturité invisible, la partie aérienne de la plante jaunissait, se flétrissait, c’est-à-dire, en quelque sorte,  mourait. Il pouvait donc être inutile de construire, pour renvoyer à la mort préalable, ces colonnes de coquillages morts. De là l’avènement des pétroglyphes qui sont des menhirs sans le renvoi à la mort préalable, comme les pétroglyphes du pic N’Ga à l’île des Pins.

 

 

 

 

 

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