COMPLÉMENT A MON BLOG SUR FRANCOIS NODOT QUI PUBLIA UN MANUSCRIT DE PETRONE :
L’HOMME QUI POSSÉDAIT LE MANUSCRIT AVANT NODOT ET SON
COUSIN QUI A DÉTRUIT MANUSCRIT ET
COPIE ;
Les assassins du latin l’ont
tué par leur cuistrerie prétentieuse, en instaurant cette prononciation
restituée qui occasionne des troubles ( une autre prononciation française existe
et elle est pratiquée en botanique, en homéopathie,tandis que la prononciation
catholique est encore utilisée dans l’église et dans les écoles catholiques
etc. ) , par la modification de l’orthographe traditionnelle si commode, par
l’institution d’une règle d’exemples grammaticaux ,enfin par une étude non plus
de la langue mais de la société, etc . De même, ils ont réussi à rendre
insipide et inintéressant le roman de Pétrone. Leur pseudo- érudition, par un
négationnisme et par un révisionnisme absolu, a, contre toute évidence,
supprimé tout ce qu’on savait sur Pétrone, y compris son nom. Il est salutaire
pour l’ulmien et agrégé des lettres classique que je suis de pouvoir lire
l’introduction de Nodot et son texte, où l’on voit revivre Pétrone.
La découverte du manuscrit de Belgrade
En 1688, l’intendant François Nodot est aux
armées françaises en Allemagne quand il entend parler d’un manuscrit, initialement détenu par un «
Grec renégat », au service des Turcs par conséquent, et vendu par lui au
siège de Belgrade à un officier
français au service de l’Autriche dans l ‘armée ennemie des Turcs. Ne
peut-on supposer qu’il s’agit du manuscrit
dit de Bude en Hongrie (Vetus
Pithoei , le vieux Pithou, ou Vetus
Benedictum exemplar) ? Nous savons que celui-ci que avait été volé, ce
qui, outre la prudence compréhensible, explique le secret dont l’officier l’entoure.
En tout cas, cet officier
français Dupin est riche et lettré, et il veut conserver le manuscrit pour
lui-même, mais il accepte de le montrer à F. Nodot. A remarquer que personne à
l’époque n’a contesté, ni le fait , ni l’existence de ce Dupin, ni cherché à le
joindre, mais que l’on a seulement contesté l’authenticité du manuscrit, quel
qu’en soit le détenteur ou même l’auteur.
On devrait se pénétrer cette vérité que ce qui compte, c’est le texte tel que des
témoins dignes de foi nous le communiquent et non pas son support matériel, qui
a souvent disparu.
La famille
méridionale des Sallier du Pin coseigneur de Villennes (-sur-Seine
dans les Yvelines).
Ce Dupin appartient aux de Sallier
du Pin dont un membre sera
illustré par Proust dans Le côté de Guermantes, savoir le mari en secondes
noces de Madame de Gourkuff dont un fils qui veut devenir auteur . En
effet, Madame de Sallier du Pin, née Eugénie Fidière des Prinvaux, morte le 27
février 1901 à Auteuil dans les Yvelines , quitte Nantes pour suivre à Paris son fils Léon de Gourcuff, issu d’un précédent
mariage, lequel fréquentait un monde de lettrés.
C’est une famille de militaires,
de nobles et de prêtres dont l’un a fort bien pu détruire pieusement la copie
et l’original ; parmi ces prêtres, citons l’abbé Claude
Sallier (1685-1761), professeur d’hébreu
au Collège royal, garde de la Bibliothèque du roi, membre de l’Académie
française et de l’Académie des Inscriptions, qui a fort bien pû détruire le
manuscrit et sa copie par scrupule religieux et social ; à la fin du
XVIIIe siècle, l’abbé N... Sallier-Dupin, né à Nantes qui est peut-être le même ; au XIX e
siècle, Alfred Sallier Dupin, curé de
Saint- Méloir dans les Côtes-d’Armor ; Marie Sallier Dupin, religieuse, On
trouve de cette famille à Saint-Pierre de Londres, commune de
Puymiclan , diocèse d’Agen . Un certain
nombre d’entre les Sallier sont
planteurs à Saint-Domingue.
Le possesseur du manuscrit
est peut-être Pierre Joseph de Sallier
du Pin, coseigneur de Villennes, ancien capitaine au régiment de Bourbon,
domicilié en 1760 à Manosque dans les Alpes- de -Haute -Provence ; citons
encore Jean-Pierre Charles de Sallier du Pin de Villennes, ancien garde du roi,
chevalier de l’Ordre royal et militaire de Saint Louis, parrainant le 19 juillet 1788 à Port-au-Prince, paroisse
Notre Dame de l’Assomption, Jean Pierre Charles Antoine Jacques Léon Sallier du
Pin , fils de Christophe de Sellier Du Pin , écuyer (au sens de noble). Christophe
de Sallier, né dans la paroisse Saint-Pierre de Londres, diocèse d’Agen,
commune de Puymiclan, mort le 1er -02 -1786 à Port-au-Prince, fils
de Barthélemy Sallier du Pin, épousa , à
la fin du XVIIIe siècle, Marie-Madeleine de Chappotin, qui fut une compagne de
Marie-Antoinette.
François Nodot, apprenant à Belgrade l’existence du texte de Pétrone et
enthousiasmé, par cette découverte, et
son propriétaire Sallier Du Pin
conviennent de rencontrer à
Francfort le propriétaire du précieux manuscrit. Il apprend que Du Pin veut faire transcrire le manuscrit
, rédigé en écriture gothique , par un
spécialiste en paléographie, et , grâce
à un « antiquaire » de Francfort, il réussit à soudoyer le
déchiffreur pour en obtenir une copie clandestine que, méfiant, il communique à diverses autorités comme
Charpentier, de l’Académie française. Devant
les avis favorables unanimes sur l’authenticité , il entreprend d’annoter le texte en vue de le publier malgré les
risques encourus, puis de traduire l’œuvre entière, à savoir les textes
traditionnels antérieurement connus, le festin de Trimalcion et les nouveautés de son propre manuscrit. Il dispose de
diverses éditions anciennes, en particulier celles de Jean de Tournes
(Tornaesius, 1575), de Jean Dousa (1595) et de
Bourdelot (1618).
Le transcripteur de ce manuscrit dont
l’original datait du 12e ou du 14e e siècle a
bien fait son travail ; il n’a pas indiqué les marques modernes de
séparation en livres ou en chapitres par des nombres,parce que celles-ci n’y
figuraient pas , cette division moderne ayant été
introduite par le Suisse de Juges
en 1629
et s’étant imposée jusqu’à
maintenant pour la commodité des références .
15 et I6 livres selon le manuscrit du festin
de Trimalcion , Codex Traguriensis du
XVe siècle, Parisinus 7989 : «Petronii
Arbitri Saturii fragmenta expliciunt ex libro quinto decimo et sexto decimo »,
que je traduis : ces fragments du Satyrion
de
Petrone Arbiter comprennent la fin du livre XV et se terminent avec le livre XVI . A titre de comparaison, le roman
d’Apulée a onze livres, soit un peu plus de 200 pages dans la Pléiade, le Satyricon , sans les suppléments trouvés
à Belgrade, 130 pages. Un interpolateur
de Fulgence (VI e siècle) dans le manuscrit de Paris 7975 attribue au livre XIV
le chapitre XX, 9 (une scène de fascinum,
sortilège de désenvoûtement). Nous
aurions donc conservé, semble-t-il, entre autres, les livres XIV, XV et XVI. François Nodot, par fidélité au texte et par
honnêteté, n’a pas voulu introduire la
division moderne. François Nodot a été très fidèle et n‘a , ni corrigé son texte avec Bourdelot
par exemple, ni incorporé les fragments connus .
Les principaux arguments
pour l’authenticité : un peu de critique externe impartiale.
Il
faut comparer le manuscrit de Nodot avec
d’autres manuscrits. Nodot ne s’est pas aperçu que son manuscrit intégrait
en réalité au moins deux fragments, le
fragment XXX sur les songes et
celui sur les Marseillais à la fin du
roman. .
Le fragment XXX sur les songes.
Il
est très intéressant de comparer le
texte du manuscrit de Nodot sur les songes avec le texte du manuscrit de Leyde
par lequel nous connaissons ce fragment XXX
Il vient dans le
manuscrit de Nodot après le songe de Lichas au chapitre CIV comme
Bourdelot l’avait déjà proposé en l’insérant après ratione condemnat et avant Ceterum
Lichas (deuxième paragraphe), mais le
texte de ces 16 vers est meilleur
: il intègre aussi un vers suspecté à
tort par Ernout qui, en note seulement, écrit : « Voir plus
loin, dans les Fragmenta, le poème
XXX ».
De quelques
fragments insérés par Bourdelot, mais non par Nodot.
Nodot n’a pas essayé
d’incruster dans son texte divers fragments insérés par Bourdelot dans
l’édition de 1618 que Nodot possédait, par exemple le fragment XXVII,
inséré au chapitre CVI après inscriptione derisi par Bourdelot, ainsi
que le fragment XLVII inséré au paragraphe LIV après pecuniam positri, le fragment XLVIII inséré au chapitre CXXIX après
Achilles eram. Ceci semble prouver
que le manuscrit de Nodot existait bien, puisqu’il comprenait ce texte sur les
songes, qui nous est aussi connu par un manuscrit du XII e siècle, peut-être de la même famille que le
nôtre , le Codex Leidensis (de Leyde) Vossianus , CXI, folio 38 au recto, avec
également le fragment XXIX, mais placés
après les poèmes cités respectivement aux chapitres XIV et LXXXIII.
Variantes du Codex : profuso , abondant, au lieu de perfuso , teint superficiellement, de
Ernout,
corde au lieu de chorte,cour, correction de Mommsen adoptée par Ernout et
lustrat , parcourt, correction de Burman, au lieu de latrat, qui signifie aboie. Le manuscrit de Nodot, outre une
ponctuation différente, présente les variantes qui suivent :
Vers 6, au lieu de eruit dans le manuscrit de Leyde, saevit ;
Vers 8, perfuso comme le veut la correction d’Ernout au lieu de profuso du manuscrit de Leyde;
Vers 10, pavido, au lieu de pavidi
comme dans le manuscrit de Leyde ; et corde,
comme dans le manuscrit de Leyde avant correction en chorte
par Mommsen ; vers 15, latrat
comme dans le manuscrit de Leyde au lieu de la correction en lustrat de Vossius ;
Vers 16, spatio au lieu de spatium du
manuscrit de Leyde.
La comparaison entre le texte
de Leyde et celui de Nodot démontre qu’il ne s’agit pas d’une invention de
Nodot.
La place des quatre vers qu’on trouve dans Budé, p .84,
chapitre LXXXII sur l’avare comparé à Tantale.
Ernout reconnaît lui- même
que ce fragment « se rattache assez mal à ce qui précède ». De plus,
il est contraint d’admettre la correction de Jacobs, acervans, entassant, en lieu et place de cernens que donnent les manuscrits (l’avare qui scrute toute chose, plein de crainte,omnia cernens qui timet ). Or, le
manuscrit de Nodot situe ces vers dans un long fragment qui relate l’histoire
de Lycurgue, Lychas et de Tryphamène , où il convient très bien à la peinture
de l’avarice de Lycurgue.
Une erreur du copiste non corrigée par F.
Nodot .
Le texte parle de voie
royale, via regia, alors que, vu la
région et la route projetée, il s’agit vraisemblablement de la route de Regium
dans le Bruttium, via ad Regium. Ceci démontre l’honnêteté de F . Nodot
qui a respecté son texte.
Le début du roman, la
tradition et les nouveaux fragments de Nodot. .
Il y a une suppression fâcheuse des
prétendues "additions" de Gonsali de Salas au début du roman chez
Ernout ou Grimal. D'ailleurs, il me semble stupide de taxer de faux les
éditions anciennes dont nous n'avons plus les manuscrits et elles sont
nombreuses. Voici la phrase liminaire du roman d’après le manuscrit de Gonsali,
phrase que confirme le manuscrit de Belgrade (c’est Encolpe qui parle dans
l’école de rhétorique d’Agamemnon près de Naples, ville choisie parce que
Néron, au témoignage de Suétone, y chantait souvent): « Il y a si
longtemps que je promets de vous raconter mes aventures que je veux m’en
acquitter aujourd’hui que nous nous trouvons heureusement assemblés pour
parler, non seulement de science, mais aussi de toutes les choses qui peuvent
donner de l’enjouement à nos conversations ».
Or, le premier fragment
découvert par F. Nodot, qui fait allusion à une partie précédente perdue
où Veijenton parlait de la gestuelle des prêtres, savoir
« Véjenton vient de vous entretenir, en homme savant, des abus qui se commettent en matière de
religion et avec quel enthousiasme étudié nos prêtres en expliquent les
mystères, souvent sans les entendre. Mais les déclamateurs ne vous
paraissent-ils pas être transportés d’une autre espèce de fureur,
etc. » va déclencher le courroux
de Pélissier. Pourtant, l’enchaînement
est parfait, l’orateur nous est connu par Tacite, Annales, I, 14,50 qui
nous apprend que Vejenton avait fait une "satire terrible contre les
prêtres de son temps, où il décrivait leur artifice à l’égard de ces divines
fureurs dont ils paraissaient transportés », satire qui lui valut l'exil.
Mais les jésuites le prennent pour eux et se sentent attaqués : pour eux , dès
les premiers mots, Nodot abat le
masque, s'en prenant aux prêtres et aux
mystères de la religion catholique. Pourtant, l'ensemble va très bien, ce qui
confirme une fois de plus les textes
tant de Nodot que de Gonsali.
La fin du roman : comparaison de la fin du roman dans la collection Budé
(Ernout, chapitre CXLI) et de celle du manuscrit de Nodot, avec en italique les
parties du texte traditionnel et en écriture normale les nouveautés du
manuscrit trouvées à Belgrade :
« … les hommes ne seraient pas pris, s’ils
n’avaient l’espoir de mordre quelque chose. Le navire d’Afrique qui, selon les
promesses, devait amener ton argent et tes esclaves n’est pas arrivé. Les
chasseurs de testaments sont à sec et ont rebattu de leur libéralité. Ou je me
trompe fort, ou notre fortune à nous
tous commence à se repentir de nous
avoir comblés.
Lacune.
[Eumolpe] « Tous ceux qui ont des legs sur mon
testament, sauf mes affranchis, n’en deviendront possesseurs qu’à la condition de découper mon corps en
morceaux et de les manger en présence du peule assemblé.
Lacune.
Chez certaines peuplades, nous le savons, une
loi qui s’observe encore veut que les défunts soient mangés par leurs proches
parents , si bien que, souvent même, les malades se voient reprocher de
rendre leur viande mauvaise . Aussi je
veux avertir mes amis de ne pas refuser
ce que je leur demande, mais de mettre à manger mon corps le même entrain qu’ils ont mis à me souhaiter la mort.
»
Lacune.
L’immense
renommée de richesse qui entourait Eumolpe aveuglait les yeux et l’esprit de
ces malheureux… Gorgias était prêt à obéir.
[Eumolpe] « Que
ton estomac se refuse, je n’en ai pas peur. Il t’obéira, si tu lui
promets qu’au prix d’une seule heure de dégoût, il recevra, en compensation,
beaucoup de bonnes choses. Ferme seulement les yeux et imagine que ce n’est pas
de la chair humaine que tu es en train de manger, mais un bon million de
sesterces. De plus, nous trouverons bien quelque sauce capable de changer le
goût ; car il n’est aucune viande qui soit agréable par elle-même :
c’est l’art qui la modifie et la fait accepter par un estomac rebelle.
[Fragment XXIX du manuscrit de Leyde en vers
hendécasyllabiques phaléciens :
Notre vue nous abuse et nos sens incertains, quand la
raison est mise de côté, nous mentent. La tour carrée qui paraît au conducteur
de char toute proche se trouve en
réalité bien loin des angles usés par le frottement des roues. L’homme rassasié repousse
le miel de l’Hybla, l’odorat souvent a horreur du fromage. Ceci ne pourrait plaire plus ou moins que cela, si les objets en
litige ne combattaient
continûment les sens par le doute. ]
Si tu veux que j’appuie ma résolution par des
exemples, eh bien ! en voici. Les
Sagontins , assiégés par Hannibal, mangèrent de la chair humaine, et ils
n’attendaient pas d’héritage. Les Pétéliens firent de même dans une extrême
disette, et ils ne cherchaient rien d’autre avec ces repas que de calmer leur
faim. Lorsque Numance fut prise par Scipion, on trouva des mères tenant contre
leur sein le corps de leur enfant à moitié dévoré.
Lacune.
La fin du roman a disparu.
Voici le texte correspondant du manuscrit de Nodot,
avec en italique le manuscrit de Belgrade: « [C’est Encolpe qui parle] Si
les hommes ne voyaient rien à mordre, ils se garderaient bien d’être jamais la
dupe de l’espérance. C’est aussi pour
cette raison que les habitants de Crotone nous ont traités jusqu’à présent avec
tant de magnificence ; mais à propos, on ne voit point venir d’Afrique
ce vaisseau chargé d’argent et du reste de vos domestiques, dont vous vous êtes
vanté ; et les brigueurs de succession, qui sont presque épuisés, ont déjà
limité leurs libéralités à notre égard, de sorte que, si je ne me trompe, nous
voilà retournés pour nos péchés, au malheureux état où nous étions auparavant.
J’ai inventé,
dit Eumolpe, un expédient merveilleux pour tenir ces gens le bec à l’eau ;
et le voici, ajouta-t-il, en tirant des tablettes de sa poche, où il nous lut
ainsi ses dernières volontés :
Tous ceux qui
sont couchés sur mon testament, excepté mes
affranchis, , ne
recevront ce que je leur ai légué qu’à condition qu’ils
couperont mon corps en morceaux et le mangeront à la vue du peuple. Cela ne
doit pas faire tant d’horreur qu’on se l’imagine, puisque nous savons que
certaines peuplades observent la coutume de manger leurs parents après leur
mort, ce qui est cause qu’ils reprochent souvent aux malades que par la longueur
de leurs maladies ils rendent leur chair moins bonne. Par ces exemples,
j’avertis mes amis de ne point s’opposer à mes dernières volontés ; au
contraire, je les prie de dévorer mon corps avec la même ardeur qu’ils auront
souhaité ma mort. »
Comme il achevait de lire ce premier
article, quelques-uns de nos prétendus héritiers, les plus assidus auprès
d’Eumolpe, entrèrent dans la chambre ; et, voyant qu’il serrait son
testament, le prièrent de le leur communiquer, ce qu’il leur accorda volontiers.
Mais, après avoir entendu l’obligation qu’il leur imposait de manger son corps
mort, ils en parurent fort chagrins. Cependant, la réputation qu’il avait
d’être riche aveuglait ces misérables,
et les tenait si rampants devant lui qu’ils n’osèrent rien lui en témoigner.
Néanmoins, l’un d’eux, nommé Gorgias, était déjà prêt à tout exécuter, pourvu qu’il n’y eût pas encore un long temps à attendre, ce qui obligea
Eumolpe à lui dire : « Je n’ai rien à craindre du côté de votre
estomac, car je suis persuadé qu’il fera ce que vous souhaitez, si vous lui
promettez, pour un dégoût d’une heure, la récompense de tant de biens. Fermez
seulement les yeux, et figurez –vous qu’au lieu de manger les entrailles d’un
homme vous avalez cinq cent mille francs . De plus, on trouvera moyen
d’assaisonner cette chair d’une sauce qui changera le goût fade qu’elle a
naturellement ; car, à parler en général, toute sorte de viande ne plaît
aucunement d’elle-même, mais la manière de l’accommoder la rend agréable à ceux
qui auparavant n’auraient pu la souffrir.
[Fragment XXIX du manuscrit de Leyde :
Notre vue nous abuse et nos sens incertains, quand la
raison est mise de côté, nous mentent. La tour carrée qui paraît qu conducteur
de char toute proche se trouve en réalité bien loin des angles usés par le
frottement des roues. L’homme rassasié
repousse le miel de l’Hybla,
l’odorat souvent a horreur du fromage.
Ceci ne pourrait plaire plus ou moins
que cela, si les objets en litige
ne combattaient continûment les sens par le doute. ]
S’il est
nécessaire de prouver ce que je dis par des exemples, l’histoire rapporte que
les Sagontins assiégés par Hannibal ont mangé de la chair humaine, et ils
n’attendaient pas une succession. Les Pétéliens ([pétèle est une ville du
Bruttium) firent la même chose dans une extrême famine et en mangeant d’un mets
si extraordinaire ils ne gagnaient autre chose que de s’empêcher de mourir de
faim. Lorsque la ville de Numance fut prise par Scipion, on trouva des femmes
qui tenaient entre leurs bras les corps
de leurs enfants à demi dévorés. Enfin,
comme il n’y a que l’imagination qui peut donner du dégoût à manger de la chair
humaine, vous ferez vos efforts pour vaincre la répugnance que vous y trouverrz,
afin de vous acquérir les biens immenses dont je dispose en votre
faveur. »
Encolpe
débita ces extravagantes nouveautés d’un ton de voix et d’un air si peu sérieux
que ceux qui étaient présents commencèrent à douter de l’effet de ses promesses.
Et dans la suite , examinant de plus près nos actions et nos discours, leurs soupçons augmentèrent jusqu’à un point
qu’ils furent convaincus que nous étions des fripons et des voleurs . Ajoutez
à cela que quelques étrangers nous reconnurent. C’est pourquoi ceux qui avaient
fait le plus de dépense résolurent de se saisir de nous, pour nous punir selon
nos mérites.
Mais Chrysis,
qui était de toutes les intrigues de la ville,
me découvrit les desseins des Crotoniates, ce qui m’épouvanta si fort que je
pris aussitôt le parti de m’enfuir avec Giton, abandonnant Eumolpe à son
mauvais destin, et depuis quelques jours j’ai reçu nouvelle que ces gens-là , chagrins de ce que
ce vieux fourbe avait vécu longtemps en prince à leurs dépens l’avaient traité
« à la Marseillaise ». Pour comprendre ce que c’est ; vous
saurez que , toutes les fois que ceux
de Marseille se voyaient affligés de la peste, un homme de la lie du peuple
venait s’offrir aux magistrats, pour être nourri de viandes les plus exquises
pendant un an entier aux dépens du public ;après cela, on lui faisait
faire le tour de la ville, couvert de verveines et d’ornements destinés aux
victimes ;et partout où il passait, le peuple l’accablait de malédictions,
afin que tous leurs maux retombassent sur sa personne; ensuite, on le
précipitait du haut d’un rocher.
«
Le
but de la conspiration contre le
Satyricon , rappelons-le, visait à faire disparaître Pétrone par un
négativisme total : il serait « vain de vouloir déterminer le thème du
roman et le lien qui en unit entre eux les divers épisodes », écrit encore
A.Ernout. Comme on l’a dit de Shakespeare, les œuvres de Pétrone n’ont pas été
écrites par Pétrone, mais par un inconnu dont on ne sait rien et qui signait
Pétrone : même son prénom devient alors incertain, ses autres œuvres ont
disparu, on a coupé tout lien avec le Pétrone de Tacite et avec l’œuvre
satirique contre Néron et contre ses débauches dont parle l’historien, si bien
que "Le Point", dans un
hors -série de janvier février 2009 consacré à Ovide, Spinoza, Sade… Les
textes maudits et tous les livres interdits, peut écrire, p.127: « Satyricon
: Œuvre à la fois licencieuse, picaresque et satirique, écrite en prose et
en vers, traditionnellement attribuée au romain Pétrone (?-65 apr. J.-C.) ».
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