L’Eure-et-Loir,
la Calédonie et l’expédition Lapérouse : un survivant, Simon Lavo,
chirurgien de l’Astrolabe.
On imagine que la ville d’Albi, où naquit Lapérouse, est le seul centre d’intérêts en métropole pour son expédition infortunée avec son Lycée Lapérouse,
son musée, son association et son Journal
de bord trimestriel. Mais l’Eure-et-Loir n’est pas en reste. En effet, elle
a tenu à honorer Pierre Chambry,
armurier horloger sur la Boussole,
allié à l’astronome Lepaute d’Agelet et né à Aunay- sous- Auneau, les deux fils
du marquis de Laborde, officiers de l’Astrolabe,
nés à la Ferté-Vidame et illustrés par une colonne en marbre bleu
turquin ornée de deux rostres de navires en bronze doré aux têtes de
sangliers, de chevaux marins et d’un globe de marbre doré édifiée à Méréville
par leur père , et enfin Simon Lavo,
chirurgien- major de l’Astrolabe, né
à Germignonville , qui va nous occuper , puisqu’il a survécu à l’expédition,
comme Laprise- Mouton et Marin (voir mon blog Le scénario du naufrage de l’expédition Lapérouse par les insulaires de
Vanikoro), Collignon (voir mon blog Le maïs préeuropéen de Tanna). Les textes qui, les premiers, ont posé pournous la question sont au nombre de trois :
Alain Denizet,
professeur agrégé d’histoire et de géographie
au Lycée Marceau de Chartres, « Simon Lavo, Germignonville,
chirurgien major sur l’Astrolabe »,
p.33-50, bulletin n° 34, 2e tr. 2005
de la Société Archéologique
d’Eure-et-Loir (SAEL) et
« Simon Lavo, Germignonville, chirurgien –major de Suffren et de
Lapérouse » , p. 103-161, dans
Navigateurs d’Eure-et-Loir dans les grandes expéditions des XVIII et XIX e
siècles, de la Boussole et de l’Astrolabe à la Méduse, de l’expédition de
Lapérouse (1785) à la mission au Sénégal (1816), SAEL, décembre 2006 ;
Jean Guillou, « Sur les pas de Simon Lavau, chirurgien
de l’Astrolabe », p.165-177 et
p. 407-506, dans Navigateurs d’Eure -et-
Loir (SAEL) .
Enfin a paru dans le Bulletin de la Société archéoloique d’Eure –et-Loir un compte rendu de blog par moi-même. , C’est ce
compte rendu intitulé Le nom d’une île de Papouasie, Lavongaïe,
l’île de Lavo, commémore un Eurélien, Simon Lavo, chirurgien- major survivant de l’expédition Lapérouse augmenté
de certains informations de mon blog que
nous suivrons ci-après.
Nous allons
entreprendre de raconter la survivance de quelques membres de l’équipage de
Lapérouse. Pour ceux qui parleraient d’invraisemblance, de littérature et de roman, je rappellerai que « Le
vrai peut quelquefois n’être pas vraisemblable »; un ami de mon père ,
ancien volontaire qui avait participé à Bir Hackeim, s’était mis en tête de
demander la médaille des évadés et fut fort dépité de recevoir du gouvernement gaulliste un refus, au motif que ses évasions
hors d’Italie étaient trop romanesques et qu’il n’en avait pas de preuves écrites. Je
le vois encore me disant : « Des preuves? Je n’allais pas
demander aux gendarmes italiens une
attestation ! »
Nous disposons d’un
faisceau de preuves concordantes et nouvelles :
-la découverte, par
Jean Guillou (cité dans l’ouvrage de
J.-C. Galipaud et V. Jauneau, Au-delà
d’un naufrage, Les survivants de l’expédition Lapérouse (1, p. 232), d’une lettre du gouvernement
concernant le chirurgien de l’Astrolabe, Lavo, en 1837 qui figure dans les archives
de la Société de Géographie de Paris ;
-le livre ,découvert aussi par Jean Guillou, de Thomas Jefferson Jacobs , paru à New York en 1844 sous le
titre Scenes , incidents and
adventures in the Pacific Ocean, or The
islands of the Australasian seas, during the cruise of the clipper Margaret Oakley under Capt. Benjamin
Morrell, où est confirmée (p. 83) l’existence ( révélée en 1837 au
gouvernement français) d’ un survivant du drame de Lapérouse, Simon Lavo, à
l’île Riger , au nord de la Nouvelle-Irlande , à 2 250 km de Vanikoro;
-l’apposition, en 2011, en présence du député, du président
du Conseil général, du maire, de Jean Guillou,
de la Présidente de la Société
Archéologique d’Eure-et-Loir Madame Juliette Clément, du représentant de
l’Association Lapérouse d’Albi, M. Baudin,
et d’ Alain Denizet , ainsi que de nombreux parents de Simon Lavo
arborant fièrement leur arbre généalogique, d’une plaque commémorative à Germignonville en Eure-et-Loir en l’honneur
de Simon Lavo, mentionnant son décès en Papouasie ;
-surtout l’existence
, dans l’archipel Bismarck ,en
Papouasie-Nouvelle-Guinée, Province de Nouvelle-Irlande
(ex-îles Morrell), d’ une île appelée Lavongaï
(parfois nommée Nouveau- Hanovre), l’île de Lavo, correspondant en tous
points,à l’île Riger de Jacobs : « This island
is sometimes called … the island of Lavoo » , p. 103, « cette île est parfois appelée l’île de Lavoo », Lavo -ngaï. ;
- la confession de Makataï, l’auteur du massacre de
l’équipage;
-l’existence d’emprunts linguistiques au français, notamment
au nom de Lapérouse, attestée en
1837 ;
-l’existence de deux boulets
dont l’un tiré par un rescapé de l’Astrolabe, savoir Richebecq , contre les
habitants de Nyappa et transféré postérieurement, lors d’une migration , à Lavongaï
comme un nouveau palladium. En
tout état de cause, ces boulets anciens
attestent qu’il s’est bien passé quelque chose de nature à ébranler les
sceptiques européens dans ces îles peu connues.
Les quatre uniques rescapés de la Boussole :
Roux
d’Arbaud , appelé Darco par les insulaires,qui
suivra Lavo ;
le « jardinier » ;
Nicolas Colignon , mort à
Tanna (Vanuatu) où il avait suivi le chef
qui les avait accueillis à leur débarquement , devenu le dieu du johnfrumisme , appelé Kerapenun , altération de Kolakenon , lui
qui introduisit le maïs à Tanna ;
l’officier Laprise-Mouton , dont le nom,
Mouton, fut altéré en Matthew par les insulaires de
Vanikoro : c’est le redoutable chef Matthew qui suivit une migration polynésienne jusqu’en Miconésie sur
l’îlot Kapirngamarangi, l’îlot du
Français (marangi, cf en tahitien Farani, français) à chapeau pointu (pinga), près duquel Jean Guillou a déniché la trace d’un canon
fleurdelysé ;
enfin Alain Marin (lu Mazrin par erreur sur les listes de
personnel) , compagnon de Laprise
-Mouton, qui finira mangé à Vanikoro, ou
plus exactement au lieu-dit la tombe de
Mara (Marin).
Six personnes étaient
chargées de la garde , pendant la nuit,
d’une chaloupe de secours de 20 tonneaux, près du bateau de secours en
construction , savoir , outre Lavo,
Blondela, son domestique Joseph Hereau,
Roux d’Arbaud , Joseph Richebecq et
Gaudebert t, ous rescapés de l’Astrolabe
sauf Roux d’Arbaud.
Lavo naquit le 17/02/1755 à Germignonville. Jean Guillou a découvert une
lettre datant du 24 juillet 1837 et informant le gouvernement français que le
Capitaine Morrell a découvert dans les
îles de l’Amirauté les enfants Lavo.
Mais le ministère refusa de fréter un
bâtiment pour les récupérer. En tout cas, l’existence d’un survivant, était
déjà connue de la Marine avant la publication, en 1844, de Thomas Jefferson Jacobs, découverte aussi
par Jean Guillou, Scenes , incidents and
aventures in tjhe Pacific Ocean , or The islands of the Australasian seas,
during the cruise of the clipper Margaret Oakley under Capt. Benjamin Morrell, Harper
and Brothers, New York. .
Blondela est mort en route à Amakata, île dont le nom signifie l’île où l’on a mangé (taï) du blanc (amaka) , cf le nom du guerrier Makataï. :. C’est là qu’on a
retrouvé des morceaux de drap rouge et de drap bleu, les couleurs de l’uniforme
des officiers français.
Première
partie : Des témoignages sur l’odyssée
de Lavo et de ses compagnons.
On suit le trajet de Lavo et
de ses compagnons depuis Santa Cruz :
1) En 1793,
d’Entrecasteaux aperçoit sur la côte
nord, de Santa Cruz , au-delà de
l’entrée de la Baie Graciosa , des
pendants d’oreille faits de verroterie, ainsi qu’une hache faite d’un morceau
de cercle de barrique. D’Entrecasteaux
réputa que ces objets venaient du passage de Carteret en 1766, mais Jean Guillou pense à juste titre qu’il s’agit d’objets
échangés par l’embarcation de secours qui réussit à s’approvisionner en eau et en nourriture auprès des naturels de l’île Santa Cruz et il
parle d’ « occasion perdue » pour d’Entrecasteaux. A l’appui de
son hypothèse, nous apprenons dans Dumont d’Urville que les insulaires
« savaient que trois bâtiments de cette nation [française] avaient passé
devant les côtes de Nitendi [Santa Cruz] sans y toucher… L’Astrolabe [de d’Urville] a été le quatrième navire [français] qu’ils
aient vu », savoir l’embarcation de secours montée par lavo, , les deux
frégates de d’Entrecasteaux et l’Astrolabe
de Dumont d’Urville.
2) Un témoignage sur les indigènes d’
Amakata et sur leur contact avec les
Européens : celui du capitaine Hunter en mai 1791.
Dans l’édition Milet- Mureau , p. XLVI, nous apprenons que Hunter , en mai 1791, près de l’île du duc d’York
(la petite York, Amakata), à l’ouest
de la Nouvelle- Irlande , aurait aperçu
une pirogue montée par des naturels qui lui avaient paru revêtus
d’uniformes de la marine française. Selon Magon d’Epinay, plus précis, Hunter
aurait en réalité aperçu deux piroguiers avec des baudriers européens en drap rouge et en drap bleu. L’uniforme de la marine
royale de l’époque comprenait pour les lieutenants et les capitaines de
vaisseau une veste bleue et une culotte, cuissard ou « baudrier »
rouge dont les indigènes auraient pu se servir, en particulier pour se faire
des ceintures d’apparat. Blondela de Taisy était lieutenant de vaisseau. Le collègue de Magon, Préaudet,
ajoute la possession de rasoirs.
Robert Langdon a fait
remarquer qu’il y a là un contresens sur l’expression anglaise « French habits » qui ne signifie pas habits français, mais habitudes françaises, manières françaises. Georges Pisier écrivait dans le bulletin 22
de la SEHNC : « Il y a lieu de se reporter au Journal du capitaine Hunter. On sait [par Milet- Mureau] que
Hunter, passager à bord du navire marchand hollandais Waaksambeyd, aurait, après avoir passé le canal Saint- Georges
[entre la Nouvelle-Bretagne et la
Nouvelle-Irlande], aperçu, en mai 1791 des indigènes des îles de l’Amirauté
[en réalité, l’île Amakata] qui portaient des habits européens ayant l’apparence d’uniformes français. A Batavia
(Djakarta) il aurait raconté le fait à deux capitaines de navires français,
Magon de l’Epinay et Préaudet, qui
s’empressèrent d’en aviser M. de Saint- Félix, commandant la station navale de
l’Océan Indien à l’île de France (île Maurice), afin qu’il avertisse lui- même l’amiral d’Entrecasteaux , envoyé
par la Convention à la recherche de La Pérouse en décembre 1791 , qu’il avait
vu les débris du bâtiment de secours (singulier à remarquer) de l’expédition flottant sur les eaux et que les naturels connaissaient les Européens et
l’usage du fer. Le commodore Hunter…a vu,
près des îles de l’Amirauté… des hommes couverts d’étoffes européennes et particulièrement d’habits qu’il a jugés uniformes français » (9 novembre
1791) .
« Un ou deux jours après avoir franchi le canal
Saint-Georges, [le commandant Hunter et
ses officiers] ont vu de grand matin deux des îles de l’Amirauté et s’en sont
trouvés très près… . On a remarqué que deux des hommes qui étaient dans ces
pirogues avaient des ceinturons pareils à ceux que portent les officiers en
Europe….Plusieurs d’entre eux avaient sur leurs habits des morceaux de drap rouge et bleu qui
prouvent qu’ils ont eu connaissance avec des européens.. Comme , avant son départ de Botany Bay, le Capitaine
Hunter, commandant le Sirius, avait appris de M. de La Pérouse
lui-même que son projet était de prendre le canal Saint-Georges, les officiers de cette frégate sont bien
persuadés qu’il aura inopinément rencontré ces îles sur lesquelles il se sera
perdu. Je soussigné certifie cette relation conforme à ce que j’ai recueilli de
différentes conversations avec les officiers de la frégate le Sirius arrivée à Batavia après le
naufrage de cette frégate, sur un petit vaisseau hollandais, avec lesquels je
m’y suis trouvé dans la moitié d’octobre [1791].»
Dans son Journal,
Hunter ajoute une précision :
« L’un de ces
indigènes tenait quelque chose dans sa main avec quoi il se rasait souvent les
joues et le menton ; cela
m’induisit à conjecturer que quelque Européen eût été récemment parmi eux et je
pensais qu’il ne fût pas improbable que ce fût Monsieur de La Pérouse en route
vers le nord depuis Botany Bay. »
Le nom d’îles de l’Amirauté ne doit pas faire illusion et il
faut se fier pour la localisation au général Milet- Mureau qui nomme l’île du
duc d’York, entendons la petite York ou
Amakata (de amaka, rouge, nom du
blanc, et taï, manger, cf. Makataï).
En réalité, le témoignage
du journal de Hunter porte sur des
rasoirs vus entre les mains des indigènes de l’île Mau, qui sont la trace d’une escale pacifique dans
cette île. En revanche le baudrier d’uniformes d’officier a été
arraché à un officier (Blondela)
massacré dans un esquif de secours près
d’ Amakata. A partir de ces escales d’Amakata et de Mau on peut déduire que nos rescapés
longent la côte ouest de la Nouvelle -Irlande.
3) Le
témoignage d’un « baleinier », plus exactement d’un phoquier anonyme :
la découverte de médailles et de la croix de saint Louis de Blondela en « Louisiade » et
en « Nouvelle-Irlande ».
Vers 1825, le vice-amiral Thomas Manby transmet au Ministère de la Marine le rapport
d’un baleinier anglais ou américain datant de 1820 , qui découvrit, sur une île « longue et
basse, environnée d’écueils innombrables, entre la Nouvelle-Calédonie et la Nouvelle-Guinée » , des
indigènes portant en guise de boucle d’oreille une croix de saint Louis, des épées arborant le mot Paris, et des
médailles à l’effigie de Louis XVI ,
d’argent ou de bronze, avec l’inscription
« Les frégates du roi de France, la Boussole
et l’Astrolabe commandées par MM. de La Pérouse et de Langle,
parties du port de Brest en juin 1785 . Précision sur le lieu :
« entre les mains des sauvages de la Louisiade
et de la Nouvelle- Calédonie »
(s’agit –il d’une confusion pour la Nouvelle- Géorgie ?).
La Louisiade en cause, ainsi nommée par
Bougainville, n’est pas la Louisiade actuelle : c’est vraisemblablement un
archipel situé dans le canal Saint-
George entre la Nouvelle-Bretagne et la Nouvelle-Irlande et comprenant
l’île Mau, où l’on a trouvé ces médailles. La Nouvelle-
Géorgie où la croix de saint Louis de Blondela a été repérée n’est pas la Nouvelle- Géorgie actuelle
non plus, c’est, à côté du canal
Saint-Georges, la Nouvelle-Irlande avec des îles comme Amakata.
a) Pouvons-nous
tenter de percer l’anonymat de ce
baleinier ? Les renseignements de Jacobs sur le chirurgien de Lapérouse,
nous dit-il, viennent de « de
plusieurs sources ». Or, son
commandant, le Capitaine Morrell, qui
avait été phoquier, était déjà passé dans ces îles et c’est
peut-être lui qui, en 1823, sur la Wasp, avait trouvé
la croix de saint Louis et
quelques médailles : celles-ci l’avaient
renseigné, sans doute possible, sur
l’origine française des rescapés. De plus, Jacobs peut avoir eu recours aux
témoignages de Bowen, de Hobbs et de
Hunter. Mais comment a-t-il su en 1844, à New York, que Lavo,
qu’il orthographie Laveaux, était chirurgien ?
Morrel a pu, lorsqu’il était à Londres en 1837et même avant,
d’écrire au gouvernement français, se rendre à l’arsenal de Brest pour y
consulter le rôle des équipages .Sur celui-ci, on peut déchiffrer la même
orthographe que Jacobs utilise, Laveaux
(la dernière boucle du v a été lue
comme un e), et, comme chez Jacobs, la simple mention « chirurgien »
b) En
1833, le capitaine Morrell , de retour d’un voyage dans le Pacifique , informe
le ministère de la Marine du fait qu’il a découvert les enfants Laveaux et le
ministère propose au premier ministre de « visiter cette île (Ridger) et de voir s’il n’existerait pas quelques
papiers entre les mains des enfants Laveaux. », car « si leur père est mort seulement en 1834, il
a dû leur apprendre le français et leur donner des renseignements précieux sur
le sort de l’expédition. » Mais le ministère ne donne pas suite. Ce
texte prouve en tout cas que, bien avant la publication de Jefferson en 1844,
l’existence de Lavo était connue. Toutefois on peut douter de la date de 1834
(cela donnerait à Lavo l’âge de 79 ans) figurant dans une copie des archives de
la Société de Géographie de Paris.
c) Qu’en est-il du cordon
rouge de saint Louis. ? Je pense qu’il s’agit d’un baudrier rouge
comme celui que Hunter avait aperçu et qu’il faut rapprocher ce témoignage de
celui de Hunter.
d) La
région est en réalité, semble-t-il, celle qui avoisine les îles Amakata ( étoffes rouges ) et Mau. (Médailles distribuées).
4) Un autre témoignage
concordant : celui du capitaine Bowen, de l’Albermarle , en décembre 1791 : l‘attaque d’un canot à
Amakata .Latitude 9 ° sud et 159° de
longitude méridien de Londres selon Bowen.
Dans son discours
préliminaire au voyage de Lapérouse en 1797,
le général Milet -Mureau (p. XLVIII), nous apprend que Bowen a aperçu , sur la côte de la Nouvelle- Géorgie (Nouvelle-Irlande) , les débris du vaisseau de M. de La Pérouse (toujours un seul vaisseau, l’embarcation
de secours) et dans les Tableaux historiques, politiques et
pittoresques de l’île de France , de Ferdinand Magon de Saint- Elier (p.
234) , nous apprenons que Bowen avait déclaré devant le juge de paix de Morlaix qu’« il a aperçu lui-même, sur la côte de la Nouvelle- Géorgie [la Nouvelle-Irlande], des débris du [notez le singulier, il s’agit
bien de l’embarcation de secours] vaisseau de
Lapérouse , flottant sur l’eau ; car il croit qu’ils sont provenus d’un
bâtiment de construction française. Il ajoute qu’il n’a pas été à terre, mais
que les naturels du pays sont venus à son bord, qu’il n’a pu comprendre leur
langage, mais que par leurs signes il avait appris qu’un bâtiment (singulier à noter) avait abordé dans ces parages ;
il dit que ces naturels connaissent
l’usage de plusieurs ouvrages en fer,
et que leurs pirogues sont supérieurement travaillées [par des
instruments en fer]. « Bougainville , le lieutenant Shortland , Lapérouse (Lavo et ses compagnons) et lui, Georges Bowen, étaient les seuls
européens qui eussent navigué dans ces parages ; il a reconnu en la
possession des Indiens des filets de
pêche dont les fils étaient de lin, et dont la maille était de fabrique
européenne. Bowen ajoute qu’il a conservé un morceau de filet, par curiosité,
d’après lequel il sera facile de juger que la matière et la main d’œuvre
proviennent d’un vaisseau européen.» .
5) Un autre témoignage :
celui de Hobbs en décembre 1788 sur les trophées conservés à Simbo
(île Amakata.)
Extrait du journal de
James Hobbs, premier officier du navire l’Union, de Calcutta, capitaine John Nichols, destiné
pour Pinang (en Malaisie), 14 avril 1811, communiqué à Dumont d’Urville à Hobart
–Town (Tasmanie) le 20 décembre 1827 : « Comme
nous étions en calme sur la côte de la Nouvelle- Géorgie [Nouvelle-Irlande] ou îles Salomon [de Mendana], j’allai dans le canot avec quatre lascars et un matelot anglais, afin de me procurer quelques fruits pour l’équipage, sur une île située par 8°18’ lat. Sud, et 156 °30’ de long. Est
[île Amakata ou Simbo], ne pensant pas qu’elle fût habitée, attendu qu’elle
paraissait fort petite. Nous étions beaucoup plus loin de terre que je ne le
croyais, et, avant d’y être rendus, le navire fut hors de vue. Quand nous fûmes
près du rivage, l’île nous parut traversée par un chenal à marée haute ;
au milieu de ce passage, je pus observer très distinctement un grand espars
[poutre employée comme mât ou vergue] ou bien un mât planté droit debout, avec quelque chose qui me parut être le
gréement [ensemble des cordages et poulies servant à la tenue et à la
manœuvre de la voilure et de la mâture] pour
le soutenir. Nous étions alors six
milles environ au sud-est de l’île du nord –ouest [Mau]. Quelques naturels portaient des morceaux
de fer, des barres de ce métal, et des
étoffes rouges [uniforme de Blondela]
dont ils semblaient faire un grand cas. Ce sont de grands voleurs ;
quand ils réussissent à dérober quelque chose, ils sont enchantés et se sauvent
en sautant à la mer par dessus le bord. JAMES HOBBS. »
C’est sur cette base
que Morrell songea d’abord à des survivants de Lapérouse.
On a pu douter de la véracité du livre de Thomas Jefferson Jacobs , paru à New York en 1844 sous le
titre Scenes , incidents and
adventures in the Pacific Ocean, or The
islands of the Australasian seas, during the cruise of the clipper Margaret Oakley under Capt. Benjamin
Morrell, où est confirmée (p. 83) l’existence ( révélée en 1837 au gouvernement français) d’ un survivant du
drame de Lapérouse, Simon Lavo, à l’île Riger , au nord de la Nouvelle-Irlande
, à 2 250 km de Vanikoro. Mais un
ami de Jean Guillou, Sir James Fairhead, a consacré en 23015 une biographie au
capitaine Morrell, sous le titre The Captain and « the Cannibal ", Yale University Press, 378
pages, Londres, 2015 : cette biographie scientifique du capitaine
Morrell,confirme la déclaration de
Morrell et le texte de Jacobs concernant Simon Lavo .Voir mon blog de 254 pages et mon compte-rendu de lecture.
La lettre de Morrell
au gouvernement français donnant en 1837 la première mention de Lavo.
Un élément capital pour nous du livre de
Sir James Fairhead , The Captain and « the Cannibal » , le
capitaine Morrel et le sauvage Darco, est p.268, la lettre de Morrell retrouvée au
ministère de la Marine par Fairhead et traduite ci-après par mes
soins :
Londres, le 20 juin 1837.
A la Société de géographie de Paris
Messieurs,
Ayant été informé qu’une expédition se prépare en ce moment
pour un voyage de découverte et d‘étude
vers le pôle sud, et m’étant déjà rendu familier moi-même des mers
Antarctiques, de l’Océan Indien, des Mers du Sud, etc.& etc., je vous prie
de me laisser offrir mes services au peuple français et m’engager à placer le
fier drapeau de la France dix degrés plus près du pôle sud qu’aucun autre
drapeau n’a été planté , pourvu que je puisse obtenir le commandement d’un
petit schooner de 120 à 150 tonneaux , convenablement monté et équipé. Si la
Société veut bien avoir la bonté de communiquer ce qui précède au gouvernement
aussi et qu’il soit assez aimable pour
me défrayer de mes frais de voyage sur Paris et de retour, je paraîtrai devant
lui dès le reçu des fonds et lui donnerai mes idées et mes plans pour une
expédition antarctique.
J’ai aussi à vous informer que durant mon dernier voyage de
découverte de l’Océan Pacifique, voyage qui vient juste de se terminer, j’ai
découvert de nombreuses îles, havres, récifs
jusqu’ici inconnus du monde civilisé. ; et sur une des îles que j’ai visitées, M. La Voo (le chirurgien des
bateaux de Lapérouse) mourut en 1834. J’ai vu aussi deux de ses enfants
etc.
Votre réponse sera attendue avec anxiété, car je suis au
moment de mettre à la voile vers les Etats-Unis d’Amérique. Je n’ai d’autre
moyen de me recommander à vous que de vous reporter aux comptes rendus publiés
de mes voyages, lesquels récits furent communiqués au monde en 1832, ayant
été publiés à New York.
Je suis, Messieurs, votre etc.
[Signature]
Benj .M. M. B. Morrell Jun(ior).
17 Lucas
Street, Commercial Road, Londres.
Cette lettre de 1837 est, chronologiquement, la première
apparition du nom de Lavoo sous sa forme autochtone avec 2 o notant la
prononciation en [ou] et la mention chirurgien
des bateaux de Lapérouse. A noter que le capitaine, qui n’était pas
descendu à terre à Naraga et se fiait à ce que lui avaient raconté Jacobs et
Woodworth, seuls à avoir rencontré les enfants de Lavo , et une seule
fois, confond la date de la mort du père de Darco,un pur papou, en
1834, alors que Darco n’était pas encore de retour dans son royaume
insulaire, avec la date de la mort de Lavo qui a dû intervenir bien
plus tôt, ceci probablement parce que
Jacobs ou Woodworth lui ont
rapporté la mort de Tupi, le père de Darco,
en 1834 , et q’il a pensé à
l’événement le plus intéressant : la mort de Simon Lavo.
Voici la réponse du
ministère de la marine à la Société de géographie de Paris qui lui avait transmis la lettre de Morrell ,
lettre qui est la propriété de la Société de géographie de Paris (Département des cartes et plans) et
conservé à la B. N. où il a été découvert par Jean Guillou et repris en partie
dans l’intéressant ouvrage de J .-C. Galipaud et V. Jauneau, Au-delà d’un naufrage, Les survivants de l’expédition
Lapérouse, p. 232, Il a la cote
MFILM SG COLIS 7 (2202) et s’intitule : « Pierre Daussy
s’inquiète du sort de Laveaux
et de sa famille, d’après les nouvelles qu’il a reçues d’eux par le capitaine
Morrell, 24 juillet 1837 ». Daussy , Boucher et Tupinier
(ordre hiérarchique croissant)sont chargés de suivre le dossier au
ministère et l’un d’eux a dû contrôler en bibliothèque l’embarquement de Simon
Lavo.
Le gouvernement
français a reçu des nouvelles de Lavo, le chirurgien de l’Astrolabe, en 1837.
Ministère de la Marine et des colonies
Dépôt des cartes et plans
SG colis 7 (2202)
Paris, le 24 juillet 1837
A M. Roux de Rochelle,
Président de la Commission orientale de la Société de géographie
J’ai communiqué à M.M. Boucher et Tupinier la lettre
ci-jointe écrite par M. Morrell à la Société. Tous les deux regardent la proposition qu’il fait de lui donner le commandement d’un bâtiment
comme inadmissible, mais ils pensent qu’il serait intéressant qu’il communiquât au moins ses idées
relatives à l’expédition. Ce qu’ils regardent
surtout comme le plus important, c’est la nouvelle relative à M. Lavaux, et d’envoyer au ministre la lettre de M.
Morrel et de répondre à ce dernier que la Société ne peut pas disposer de frais
pour son voyage à Paris, mais qu’ils seraient très reconnaissants s’il voulait
bien communiquer ses idées relatives à l’expédition au pôle antarctique et des
renseignements plus précis sur les enfants de M. Lavaux et sur la position des îles où il les a rencontrés, afin que
l’on puisse charger un de nos bâtiments de visiter cette île et de voir s’il
n’existerait pas quelques papiers entre les mains des enfants Lavaux. Comme il paraît sensible à
l’argent, peut-être serait-il bon de
lui faire pressentir que le décret de la Constituante qui a accordé une somme à
celui qui donnerait des nouvelles de La Pérouse ou qui ramènerait quelqu’un ayant fait partie de l’expédition pourrait peut-être lui être
appliqué s’il pouvait [faire] constater qu’il existe des enfants de l’un
des chirurgiens. Si leur père est mort seulement en 1834, il a dû leur
apprendre le français et leur donner des renseignements précieux sur le sort de
l’expédition.
Tel est, Monsieur, le résultat de la conversation que j’ai
eue avec M. Tupinier. Je pense que l’on ne peut mieux faire que de suivre ces
idées. En conséquence, j’ai l’honneur de vous renvoyer la lettre de M. Morrell
en vous priant d’agréer l’hommage de ma haute considération, avec laquelle j’ai
l’honneur d’être votre dévoué serviteur.
Pierre Daussy
On remarque qu’aucune allusion à l’Astrolabe n’est faite dans aucun de ces deux documents et que l’orthographe de Lavo est devenue
maintenant Lavaux. Elle deviendra Laveaux , sept ans plus tard, en 1844, dans l’ouvrage de Jacobs : « Riger was first settled
by a Frenchman named Laveaux, a
surgeon in the exploring squadron of La Perouse », c’est –à- dire
« l’île Riger [aujourd’hui Lavongaïe, autrefois Naraga] fut d’abord colonisée par un Français nommé Laveaux,
chirurgien de l’expédition d’exploration
de La Pérouse ». « This island
is sometimes called … the island of Lavoo », p. 103, « cette île est parfois appelée l’île de Lavoo », Lavongaï.
Toujours aucune mention de l’Astrolabe,
ni du titre complet que lui donne l’état
général des personnels embarqués : chirurgien ordinaire de la marine. Théodore Dwight est le seul qui, dans son Vocabulary of the languages of the Uniapa
islands, en 1835, fait curieusement allusion à l’Astrolabe (sans la Boussole)
de Lapérouse à propos des instruments de musique de l’île, dont la flûte à
trois trous lui semble importée de Polynésie ou d’Europe (par Simon
Lavo ?).
L’orthographe du
gouvernement français est Lavaux
comme sur l’Etat des équipages publié
par Millet- Mureau en 1797, facilement consulté à Paris en bibliothèque.
Jacobs, lui, orthographie Laveaux, qui semble s’inspirer
du Lavaux du gouvernement
français plus que du La Voo du
capitaine Morrel., dérivé du nomque lesautochtones lui ont donné.
Lavo et les siens pouvaient espérer regagner l’Europe en longeant la côte ouest de la
Nouvelle-Irlande,pour atteindre les Philippines, mais, à 2250 kilomètres de Vanikoro, leur embarcation fut détruite par un tsunami,
fréquent dans ces parages volcaniques, devant l’île Ridger , aujourd’hui
Lavongaïe (« The island is
sometimes called the island of Lavoo », cette île est parfois appelée
l’île de Lavo, op cit .,
p. 103). Leur autre canot ayant péri avec Blondela, ils n’avaient plus
qu’un esquif, ce qui leur ôtait toute espérance de regagner leur patrie. Aussi
s’installent-ils définitivement sur l’île inhabitée de Lavongaïe .
Seconde partie :
l’odyssée de Lavo et de ses cinq compagnons .
Ils réussirent à sauver leur vie en
mettant à la voile loin de Vanikoro
dès le début du massacre par les insulaires de Makataï .
L’ile Garove, ndrove
aujourd’hui, voisine de Lavongaïe.
Sur le Margaret Oakley , Garrygarry enseigne lae bichlamar, la langue véhiculaire, à Jacobs et à Selim Woodworth, les deux
jeunes secrétaires de Morrell. Il leur raconte que sur son île se trouve le
port de Havana Kapou (grosse bouche, grande entrée). Il y a aussi, selon les
précisions rapportées par Darco au linguiste américain Dwight , une grotte
communiquant avec le monde souterrain, pleine de provisions , qui, jadis ,
furent gardées par deux blancs qu’il avait pris pour des albinos. Ces deux blancs me semblent renvoyer à Simon
Lavo et à Roux d’Arbaud dont je
suppose qu’ils allèrent à Garove
à la recherche de provisions
1) Simon Lavo,
chirurgien de l’Astrolabe, « Pepe
Lavo » pour les indigènes.
Nous connaissons,
grâce à Alain Denizet (dans Naviigateurs
d’Eure-et-Loir, SAEL, p 103-161), le chirurgien- major de l’Astrolabe,
Simon Lavo, qui naquit le 17/02/1755 à Germignonville
en Eure-et-Loir, .Sa famille tenait son nom (orthographié Lavo ) du
fief et de la seigneurie de Lavau (qui signifie la vallée) attesté dans les
archives en 1570-1759 (E 1457) et 1776-1799 (E 1466).
On le trouve cité
dans une mélopée indigène citée par Jacobs en langue tungak p. 150 :
E-rin go-lu-rin go-lar
E-rin go pi tang ar-r
Re-gare
o bu, Pepe Lavo,
Re-gare Darco, or go Aroo .
On
remarque le Pépé Lavo, très
affectueux, -peut-être une marque de reconnaissance pour les soins que le
chirurgien a dû prodiguer aux indigènes.
2) Héreau,
Aroo, pour les autochtones.
Le chant nous livre le nom de Joseph Héreau, altéré sous
la forme Aroo (dans go arroo, c’est-à-dire chantons Héreau, oo notant o), qui était originaire de Tours et qui était
domestique de l’enseigne de vaisseau
Blondela sur l’Astrolabe.
3) Joseph Richebecq, alias Ponga-racopoo
pour les natifs.
Jacobs nous révèle encore, p. 85, que Darco a un demi-frère
nommé Ponga-racoopo, où pong(o) était le surnom de Richebecq,et
où Aracoopo dissimule le nom du père de
ce métis, un gabier de l’Astrolabe, Joseph
Richebecq, mal vu des indigènes qui finirent par le tuer :il appartenait à une famille de marins installée à Roscoff
4) d’Arbaud,
rescapé de la Boussole, Darco
pour les indigènes. .
Dans l’hypothèse aujourd’hui
généralement adoptée, qui élimine totalement « Vanou » au profit de Paiou., il
ne subsiste plus rien des déclarations unanimes des Vanikoriens sur le naufrage
d’un des deux bâtiments la Boussole
, à Vanou, c’est-à-dire sur la petite île Te (v) anou , après naufrage sur l’îlot aujourd’hui disparu de Noungna et
dans la fausse passe de Makalumu encore appelée passe des Esprits (Gnembe),
car les blancs étaient pour les insulaires des esprits.. Il n’y eut que quatre
survivants et le bâtiment disparut, nous
disent les indigènes.
Les 4 rescapés de la Boussole sont le jardinier- botaniste
Nicolas Collignon, le
sous-lieutenant de vaisseau Jérôme Laprise- Mouton dit le chef Matthew par les indigènes (Mathew étant l’altération de Mouton),
le matelot Alain Marin (dont le nom
est mal écrit et lu comme Marzin) , au
nom altéré en mara par les
Vanikoriens, et le lieutenant de
vaisseau de Roux d’Arbaud. Le nom de
d’Arbaud est devenu Darco dans le récit de Jacobs:
n’ayant pas de b, la langue locale a
utilisé un groupement consonantique voisin , QBW avec labio-vélaire proche
de b, donnant Darco.
En 1826,
Valle, le chef de Temua,
déclare : « les hommes blancs avaient coutume de regarder le soleil
au travers de certaines choses que je ne puis ni dépeindre ni montrer, parce
que nous n’avons aucune de ces choses.» Qui étaient ces astronomes survivants ?
Nous pensons à Law de Lauriston et à
Roux d’Arbaud. M. Gaëtan
d’Aviau de Ternay a publié, dans un
numéro,du Journal de bord
d’Albi des indications intéressantes sur
ce condisciple de Napoléon Bonaparte à l’Ecole militaire, notamment ces
compliments de Lapérouse sur ses connaissances
astronomiques dans une lettre du 27 septembre 1787 : « M.
Darbaud a aussi parfaitement secondé M. Dagelet » (l’astronome de
l’expédition, qui avait été son professeur à l’Ecole militaire.).
5) Guillaume- Marie
Gaudebert , contremaître ;
6) Au départ de
l’embarcation, Blondela, lieutenant de frégate
Y avait-il d’autres passagers à bord de la chaloupe ? Le nom de l’île Amakata [qui signifie l’île où l’on a
mangé (taï), du blanc (amaka )] ne doit pas nous laisser
d’illusion sur la fin des autres
passagers éventuels . La présence de Héreau, domestique de Blondela à bord de l’embarcation, est un argument pour
voir en son maître un passager supplémentaire, ainsi que les morceaux de drap rouge ou bleu, couleurs de l’uniforme
des officiers., aperçus dans la région .
.
Voici le récit de Jacobs : « Au matin du quatrième
jour (après la fin d’un tsunami), les
habitants des montagnes de Nyappa (l‘île voisine de Lavongaï, aujourd’hui Tingwon) aperçurent avec effarement un monstre nommé « Pongo », qui était à
mi-chemin entre leur île et celle de Lavongaï » Pongo signifie ordinairement
pointu, recourbé, en forme de corne,
et fait alors allusion aux bicornes de l’équipage , mais ici il désigne
le canon d’un pierrier de une
livre « pointu », monté , non pas sur l’embarcation de secours de 20 tonneaux naufragée au cours
du tsunami, mais sur une dernière petite chaloupe qu’ils ont
réussi à sauver . Il leur était nécessaire de
faire une razzia sur l’île la plus proche afin de se procurer de la
nourriture avant de retourner sur l’île de
Lavongaï à laquelle ils étaient parvenus, alors inhabitée et donc sûre.
La description de la chaloupe, de ses pierriers et espingoles, est intéressante : « Le monstre
avait de nombreuses têtes pourvues d’une longue corne (pongo) noire,
braquée sur eux et protégée par le feu, ainsi que des yeux énormes animés par
la colère et des bouches d’une considérable largeur qui laissaient voir des
dents gigantesques… A côté de chaque bouche, partaient des flammes de feu qui
tuaient les ennemis à une grande distance ».
Le
temps passe . Les insulaires désirent que Lavo ait un héritier masculin qui
règnerait après lui. Mais Simon Lavo n’a qu’une fille. Pour pallier cette
carence, ils ont recours à la procédure du mariage coutumier pidiri. La fille de Lavo et le
fils de Roux d’Arbaud contracteront, à
la mort de Lavo, un mariage
pidiri, qui n’a rien
d’incestueux en réalité. En effet, l’inceste entre frère et soeur est odieux
aux Mélanésiens.: pidiri (langue de
respect) désigne un homme adopté comme son frère par une femme
qui devient ainsi sa « sœur »
dans une procédure destinée à
obtenir un chef masculin Le nom va de
pair, bien entendu, avec cette adoption et c’est pourquoi son mari devient Lavoo junior, sans avoir une goutte de
sang de Simon Lavo dans les veines. En réalité, c’est la
femme de Lavoo junior qui est la
fille du chirurgien- major Simon Lavo et
d’une princesse de Nyappa, tandis que son
mari Lavoo junior est le fils aîné de Roux d’Arbaud , caractérisé par une tignasse rousse, (dont
on peut supposer qu’il a donné à son
fils la couleur de cheveux qui avait valu leur nom à ses ancêtres italiens)
et d’une autre princesse de Nyappa. Comme la tribu désirait avoir pour chef un
héritier mâle de Simon Lavo et qu’il
n’en existait pas, elle a demandé à la fille de Simon Lavo de procéder à une
adoption pidiri, de façon que leurs
enfants héritent des qualités de Simon Lavo et que l’un d’eux puisse devenir le roi de Lavongaï. .
Le linguiste Théodore
Dwight : la première mention en 1835, avant Morrel en 1837 et Thomas
Jefferson Jacobs en 1844, de l’Astrolabe en liaison avec la mer de Bismarck et la confirmation de la présence
de Simon Lavo avec le nom du blanc
dérivé de Lapérouse.
Théodore Dwight qui avait interrogé l’insulaire amené aux
Etats-Unis par Morrell , fit paraître en 1834 Things as they are, or notes of a traveller through some of the Middle
and Northern states, chez Harper
and brothers, p. 184 sqq. , et, pour ce
qui nousq intéresse, en 1835 un « Vocabulary of the language of the
Uniappa Islands » dans l’American
Annals of Education 5 (septembre),
396-401. Ses Lettres à Gibbs, Vocabulaire et notes, sont à Washington, D. C.,
rangées sous le nom de Theodore F. Dwight, MS 1078, 1866, National
anthropological archives, Smithsonian Institution. Malheureusement ses
manuscrits ont été perdus (peut-être regroupés avec la partie du journal de
Woodworth concernant la rencontre des enfants de Lavo, car Dwight projetait d’écrire un autre ouvrage sur Uniappa). C’est un bon linguiste
qui a été frappé par le caractère archaïque de cette langue qu’il considérait
comme polynésienne; ainsi, mon frère se dit tindimi , mais ton frère se dit taringur,où gur est l’adjectif
possessif de la seconde personne. On voit que le mot signifiant frère change du
tout au tout selon qu’il est employé dans une langue de respect, qui est celle
de la personne à qui l’on s’adresse : la seconde personne entraîne des
changements lexicaux, à cause de ce que Damourette et Pichon,-je suis adepte de
leurs théories,- appellent le plan
allocutoire (interrogation, etc.). La présentation de la zone
linguistique de Uniapa ou Nyappa
est celle d’un groupe de quatre autres îles que Uneapa( aujourd’hui Tingwoa): Garuby ou Garove (Ndrove), Raga ( Lavongaïe, ou Riger[Jacobs] ou
Naraga [na étant une sorte d’article déterminant], qui désigne un petit python sacré arboricole, Engyralis australis , se
lovant en entonnoir pour y recueillir l’eau de pluie et piéger les oiseaux
assoiffés, puis par métaphore un îlot avec lagon central ou grande baie
profonde) , Mundoapa , Badirry (la
Nouvelle-Bretagne)...
Notons des mots qui se retrouvent en mélanésien comme vanua, terre,cf.
vanua au Vanuatu, gou, chanter, cf . Cagou, celui qui chante (le matin)
ou kema maison (cf. Lifou ‘uma avec des apparentements africains).
Dwight s’est intéressé aux noms du triangle et à cinq ou six
instruments de musique, liés au monde
des morts, en particulier une flûte à trois trous appelée calu
importée selon Dwight de Polynésie, que Dwight oppose à la flûte de Pan à sept tuyaux appelée véi et indigène selon lui, comme la
flûte nasale. A propos de cette flûte
à trois trous, Dwight cite l’Astrolabe de Lapérouse sans parler
de la Boussole, ce qui est
curieux et nous fait penser à Simon Lavo, médecin de l’Astrolabe. calu serait
une adaptation du français flûte.
L’île de Lavo,l Lavongaïe, est Naraga, île peuplée
auparavant par les premier occupants du Pacifique (poterrie lapita, etc) qui
introduisirent dans l’île des ôules et des cochons, absents dans les îles
voisines. Ayant lu ce vocabulaire de 200
mots environ sur Google Books, j’ai
relevé plusieurs emprunts au français datant d’avant 1835 et désignant des animaux importés sur les
îles voisines par les Français :
poroco , du français porc; le
mot désigne un porc sans queue , différent des porcs
indigènes qu’on trouve sur les autres
îles, et qui a été importé par Lavo et ses compagnons , ,comme le poulet, toga, du français coq. Notons encore une flûte à trois trous appelée calu, du
français flûte, à propos de
laquelle Dwight cite l’Astrolabe de
Lapérouse sans parler de la Boussole,
ce qui est curieux et nous fait penser à Simon Lavo, médecin de l’Astrolabe.
Citons enfin le nom de la tortue de mer , caret,emprunté par le français à l’espagnol carey et attesté
en français dès 1640 , carey dans
la langue des indigènes.
Mais le plus intéressant pour nous est le mot signifiant
blanc, européen, français, compris comme défunt, savoir puroco (à prononcer purotzso) de (La) pérouse, cf. Laborouse, le nom donné par
Makataï au bateau de secours en construction à Vanikoro. L’igname à chair blanche se dit paroco , la
blanche, parce qu’elle est opposée à
l’igname violette .
Je juge que,à eux seuls ces vestiges linguistiques : togà, la coq, poroco, le porc et surtout purotzo,
Lapérouse, confirment la présence
d’un rescapé de Lapérouse, Simon Lavo. Aux îles de Uneapa,on emploie aussi pango ou
pongo, qui désigne la barque avec ses pierriers pointus et même on emprunte le mot désignant les
Espagnols de Quiros à Tanako, savoir papalangui
, répandu dans la Mélanésie ,
altéré sous la forme mataluangi.
. Bien que Dwight ne
soit pas explicite, il est tentant de supposer qu’il a dû questionner Darco sur
ces blancs importateurs et identifier Lapérouse, l’Astrolabe et Lavo
dont il ne parle pas .
Les indigènes ont dû imaginer les compagnons de Lavo et
lui-même comme des morts. Darco a dû
avoir l’impression de visiter le monde des morts lorsqu’il a passé brutalement
de son île et de la vie à l’âge de la pierre polie aux Etats6unis du XIXe
siècle où Morrell l’avait amené. .
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