Les sanctuaires
gaulois de Lanneray.
On s’arrête le plus souvent à la
forme gallo-romaine du culte gaulois et on parle alors de « fanum », mot latin qui
a donné Feins, Faing, Fain, Fains, quelle que soit l’orthographe, et
désigne un lieu consacré, sans bâtiment. Mais il y avait aussi les « mallus », latinisation du
gaulois meallos , qui désignait le linteau horizontal au-dessus du menhir à
Gebekli en Asie mineure et ressemble
pour la forme à un maillet ou un marteau, instrument dont le nom en latin, malleus, maillet de pierre, est d’origine gauloise. Peut-être même le mot mar n’a-t-il
signifié pierre en gaulois qu’après avoir été longtemps utilisé pour désigner
ce type de linteau.. Doublet de Boisthibault,
dans L’Eure-et-Loir, Verdière, Paris,
1836, réédition des Editions de la Tour Gile, 1992, Dreux, p. 59, nous indique
l’emplacement de deux de ces sanctuaires : « Le monument qui paraît
le mieux conservé est un mallus,
c’est-à-dire un sanctuaire ou lieu préféré par la Divinité, qui se trouve dans
la commune de Vers -lès- Chartres, près du bois des Rigoles, au-dessus de la
vallée de Houdouane, près de l’ancien étang de Vers. On voit encore un mallus à peu de distance du premier, le
long des ruisseaux des vallées, entre Morancez et Corancez, en remontant vers
Berchères –les- Pierres. »
Les champs de Mars et de Bellone gaulois, héritiers des géoglyphes maltais et siciliens, appelés Carl rut, les sillons pour orge, qui sont à leur origine.
La Nasa
a publié des clichés en 2015 de géoglyphes découverts dans les steppes du nord
du Kazakhstan en Asie centrale, datant
du début de l’âge du fer en Asie, de
–800 par conséquent. Que sont devenus en Europe ces mystérieux géoglyphes maltais et siciliens de plusieurs
kilomètres, représentant des sillons et qui étaient appelés à Malte Carl (mot ibère pour grain d’orge) Rut (sillon)? On a trouvé en Touraine de
très longs ensembles (plusieurs
centaines de mètres en ligne droite) de fossés et de talus multiples, en nombre
variable, c’est-à-dire de sillons, d’une
largeur de 8 à 12 mètres, en particulier en Forêt d’Amboise (2 endroits), dans
la Forêt Bélier (commune de Monnaie) et
dans un bois situé à l’ouest du champ de courses de Chambray. L’auteur de
l’article qui les mentionne, Jean -Mary Couderc , dans « Les enceintes
quadrangulaires de Touraine », in Acres
du 9eme colloque de l’association française pour l’étude de l ’âge de fer, Châteaudun,
16-19 mai 1985, Editions Errance, Paris, 1989, p.76 , évoque à leur propos
le lacis de fossés et de talus devant la porte des fossés de César à Nouzilly près de Tours et cite son article de
1984 sur le sujet (« Les enceintes en terre de Touraine (II) », Bull.
Soc. Archéol. de Touraine, XL, p. 735-787, 11 figures, 21 photogr.) Parlant
de l’enceinte du Chatelier (commune des Hayes, Loir –et- Cher), il indique que le sillon « qui a fait le
tour de l’enceinte continue au lieu de
s’arrêter au point de raccordement et forme comme une antenne enserrant le grand talus, puis se subdivise de façon complexe
à proximité du chemin. » Chaque
fois que les archéologues parlent d’antenne,
il s’agit du même phénomène : à
l’origine de ces enceintes, il y avait les sillons droits et on a utilisé leur
tracé pour constituer un côté de l’enceinte.
Ces enceintes, trop négligées, sont souvent appelées Camp romain ou Fossé de César et elles sont très nombreuses dans toute l’Europe celtique : Espagne,
Allemagne du sud, Lorraine, Calvados près de Coutances, à Lithaire (le
Camp romain ), Lithaire venant de ridh
tir(ial) , Rudiana tir (terrain) ial [découvert], Touraine ,
nord Sénonais, Eure-et-Loir , à
Lanneray et dans au moins six autres communes..
Bernard Robreau, dans « Les dieux des Carnutes : Mars, Jupiter, Apollon »
in Mémoire XXXIV-2, numéro 90, octobre novembre, décembre 1990, p. 48,
s’interroge : « Ne faudrait-il pas interpréter les viereckeschanzen [en allemand, enceintes
à quatre coins, nom donné en Allemagne
du sud à ce type de géoglyphe défini , peut-être top étroitement , comme des
« enceintes quadrilatérales à fonction cultuelle de la Tène
finale »], nombreux en pays carnute, comme des sanctuaires de campagne
dédiés au Mars gaulois ? Cela expliquerait […] leur fréquente association
par deux en forêt de Marchenoir, en forêt de Rambouillet ou même à Lanneray
dans le Perche dunois. » Et il renvoie pour Lanneray à son étude, B.
Robreau et A. LEROY,
« Les deux enceintes quadrilatérales du Bois des Goislardières à Lanneray
(Eure-et-Loir) », in Les
Viereckschanzen et les enceintes quadrilatérales en Europe celtique (=Actes
du IX è Colloque AFEAF tenu à Châteaudun, en 1985), 1989) ainsi
qu’aux articles concernant Marchenoir
dans le Loir- et- Cher, plus exactement Briou et son lieu-dit Moncelon, et Rambouillet.
Examinons
les quatre ou cinq enceintes de
Lanneray.
1) La
moins connue est la Friche des Bois de la Butte, dans la Ssction G1 du cadastre de
Lanneray, dite du Gouffre., au nord
de la Forêt. H.
Leplège dans Lanneray
.Ses Châteaux, ses hameaux et lieux- dits. Sa préhistoire, Amicale des Anciens
Elèves de l’Ecole de Lanneray, Châteaudun, 1991, p. 46,
écrit à son propos : « Ce mot butte [féminin de but, du francique but, souche, puis cible de flèche], naturellement, faisait penser à
la présence possible de tumulus ou d’une
autre structure archéologique A
l’endroit de ce champtier, il n’y a plus, depuis un bon nombre d’années, ni
bois ni butte, tout est nivelé et en cultures, sans vestige apparent quand le
sol est nu. » Le Littré donne
pour butter le sens d’
« ameublir la terre en pyramide autour du pied d’une plante » et pour butte
le sens de « petit tertre ». Mais ici butte vient en réalité du gaulois vut, sillon, de la racine indo- européenne wolkw, gonfler, et c’est par incompréhension que le mot butte a été utilisé comme signifiant tertre.
Quant
au mot friche , au sens premier , il est employé pour désigner
un endroit qui a subi un gros travail de
déforestation, car ces géoglyphes sont
l’aboutissement d’ un processus complexe
de défrichage de la forêt primaire et de
« triple labour » en profondeur ,- dont témoigne le nom du site
préhistorique voisin de Montgasteau,
(Saint-Denis –les- Ponts) où gasteau renvoie
à un mot d’origine gauloise jachère , au
sens premier, extraction des racines et des branchages, adjonction de cendre et
de fumier, etc. , étant précisé que , depuis,,
la forêt a repoussé et que, comme par hasard , c’est dans des forêts qui
furent jadis défrichées que l’on trouve le plus souvent nos mystérieux
sillons .
Le mot gouffre utilisé dans le titre de la Section G1 du
cadastre de Lanneray, dite du Gouffre
renvoie, non à un gouffre (il n’y en a pas), mais à un mot ibère
signifiant sillon, parent du grec kolpos, pli, qui nous a donné en
français les mots golfe et gouffre, du
radical indo-européen kswolkw , gonfler,
qui donne aussi luk , sillon. La
section du gouffre signifie donc la section du « sillon », de la
butte si l’on préfère.
2) La
prospection aérienne a permis à Alain
Lelong d’en dresser le plan : il
s’agit, aux « Chemins de la
Touche », de deux enceintes
contiguës, dont l’une est trapézoïdale, non loin probablement d’un site appelé Le Moulin à vent.. « Il s’agit
vraisemblablement d’un ensemble agraire », conclut-il, p. 68, dans son
article « Le problème des grandes
enceintes du sud de l’Eure-et-Loir », in
Les Viereckschanzen et les enceintes
quadrilatérales en Europe celtique, op.
cit. , où il évoque la présence
d’autres enceintes à Conie -Molitard, à
Alluyes, à Neuvy- en- Dunois (Aux pièces
de Raimbert, cf. Rambeuil, de Ru (dio)
bus + mots gaulois tir ial,
terrain découvert), à Villiers- Saint- Orien (Orien venant de Rudianus), à La Chapelle -du Noyer et à
Trizay -lès- Bonneval. Notons qu’à Trizay il y a la trace de trois moulins
comme à .Conie- Molitard (molitor désignant
en latin le meunier d’un moulin à bras).
A cause
des homonymes, je précise que la Touche en question désigne un bois, aujourd’hui
totalement défriché; et que c’est cette
Touche qui figure dans la section
I dite de l’Eglise et dans la section O
dite de la Touche (champtier de la
Touche), où se trouve aussi le champtier du Moulin
à vent.. Le nom entier du chemin est chemin
de Lanneray à la Touche… A remarquer, dans la section H dite de
Touchémont, le nom du chjmptier de la Rouzannerie, qui garde b
le souvenir de Rudianos, le dieu
gaulois+un suffixe en –erie, ainsi
que le champ voisin des Rougeaux, le champ de Mars, de
rougel. , de Rudi(anos) +gaulois -ialo, clairière, à rapprocher, par exemple, du nom de Ruillé- sur- Loir près du Mans.
3) Le second toponyme est Le Bois des Buttes, ou bois des Gioislardières
(malgré les deux noms, l’un ancien, l’autre relativement récent, il s’agit d’un
seul bois). Il comprend deux enceintes
d’environ un hectare, chacune, l’une au Nord, et l’autre au Sud. Le sol en
avait aussi été défriché, mais la forêt a repoussé dans ce qui constituait des clairières.
L’enceinte Sud a été appelée localement, comme souvent, le Camp
romain.
Pour tenter de déchiffrer le mystère, il nous
faut étudier les données de la toponymie.
Moncelon,
à Briou, dans le Loir-et-Cher, cache
un Mon -Sirona (Mon –serona), tandis que Rambouillet dissimule un champ
de Mars- Rudiobus, de Ru (di) abus +suffixe gaulois –ialo,
clairière, champ, espace découvert, ainsi que le confirme le gallois tir ial, terrain découvert. Marianne
Mulon, Noms de lieux d’Ile- de- France, introduction à la toponymie,
Editions Bonneton,Paris,1997, p. 16, indique que le diminutif Rambouillet
désignait un petit Rambeuil,.qui est attesté comme fief en 1244 et qui est
englobé aujourd’hui dans le territoire de Rambouillet. « L’enfant a
dévoré le père ! », conclut avec humour la philologue.
Passons
maintenant à la toponymie du Bois des Buttes et aux hameaux voisins : Villestain, Guignarderie, la vallée des
Serins. .
Villestain, pour uil-esta, mentionné en 1586, se décompose en une finale –esta(in) , orge, cf. vieux haut
allemand gersta, et en vil , de vut , sillon, donc sillon pour orge. .
Dans La Guignarderie, mentionnée en 1417
comme La Guignardière, de sinarherria, et qui désigne, non pas une ferme précise ,
mais un lieu, celui de l’enceinte Nord , on identifie une métathèse de Sirona, savoir sinaro et un suffixe ibère en –herria, qui
signifie emplacement .
Tout
près se trouve une Vallée des Serins,
où l’oiseau chanteur des Canaries prend la place, par un trait d’humour, et
grâce à une homonymie, du nom de l’orge
d’origine ibère devenu chante , cf.
les nombreux noms en chante- :
Chantemesle, etc.
Autre écart voisin : la Haloyère, prononcé localement la Halogère, de halogersta, littéralement sillon (grec halow, elkos, ôlax et aulax, latin sulcus) à orge (gçre, à rapprocher du vieux haut
allemand gersta). Le mot qui signifie
sillon est proche du mot qui signifie
meule, grec aleuron, farine, aleiar, aleô, moudre, arménien aram. On peut en déduire qu’un moulin n’était pas loin et que Sirona est la
déesse du grain broyé ou, ailleurs, grillé, mort avant de renaître. On a retrouvé
à Libouville les deux meules du moulin, la grande portant d’ailleurs des sillons.
Il y a un fond de cabane gaulois
derrière la Poterie., c’est-à-dire à la Haloyère, et , la prospection aérienne de A. Lelong
ayant détecté la présence d’une ferme « indigène » voisine, on est en
droit de penser que ces deux enceintes étaient le sanctuaire de cette ferme
carnute. cultivant de l’orge.
En nous
fondant sur la toponymie, les deux divinités Rudiobus ou Teutatès et Sirona sont concernées par ces
quatre enceintes. Les quatre enceintes
de Lanneray sont des champs
de Mars et de Bellona, délimités par
les fameux sillons, et ce sont, pour
leur donner leurs noms gaulois, le champ
de Rudiobus ou Teutatès (enceinte sud dont
le nom Teutatès (ta) survit dans Villestain
et dans chante avec l’allusion contenue serins )
et le champ de Belena , déesse liée
à Apollon Belenos ou Sirona
(enceinte nord dont le nom survit dans la
Guignarderie), à rapprocher des noms du
pain en grec, sitos, de sidos, de sei-, graine, cf .la
déesse latine des semailles Seia , et
de dza, orge, grec zeia , et du mot silo, seiros chez Varron, 1, 57 ou en grec classique siros
) que sont dédiées les deux enceintes du Bois des Buttes, l’une,
l’enceinte Sud pour la vie et la
croissance du grain dans le sillon, sous la protection de Mars, l’autre pour le fait de broyer le grain au moulin, sous l’égide de Sirona.
Le conservateur du Musée des Antiquités
nationales à Saint- Germain-en- Laye, Alain
Duval, remarque, dans « Monde des morts, monde des vivants :
qu’appelle-t-on « sanctuaire » à l’époque de la Tène ? », op. cit. , p. 164, que les
trouvailles de Felbach –Schmiden en Allemagne, qui ont révélé des restes d’une
statuette en bois interprétée comme celle d’une divinité (Sirona) et surtout la
présence de graines, invitent à considérer certains enclos, non comme funéraires, mais comme des sanctuaires des vivants dédiés
« aux semailles, aux richesses » « et s’adresseraient
davantage à ceux qui travaillent le sol. ». .Tel pourrait être le cas des
Viereckeschanzen de Lanneray.
A propos
de la statuette en bois, on peut supposer que c’était la figuration de Sirona.
Or, au Boulay, non loin du Bois des Buttes, se trouve un simulacrum de pierre qui peut être celui d’Epona, la déesse gauloise protectrice des chevaux, mais aussi être
celui de Sirona -Belena: on
trouve à Valainville (de Belena, villa),
sur la façade de la chapelle, comme d’ailleurs à la chapelle de Saint- Hilaire-
des- Noyers (anciennement de Bellenville, de Belena),
le même fruste visage (ci-dessous, cliché de Madame Yvonne Cochard).
Simulacrum de Sirona- Belona (Lanneray)
.Ajoutons que le Tchèque J. Waldhauser
a découvert (op. . cit. , p.49) un four avec des graines de
millet incinérées dans l’ enclos de Markvartice en Bohème celtique, le pays
des émigrés Boïens de César, vartice signifiant sillon à céréale, souvent
l’orge, ici le millet en langue celtique, comme dans un autre enclos appelé Vazice en Tchéquie (op.
cit., p. .45) cf . Varize
en Eure-et-Loir. . En grec, ortux,
attesté par Hésychius avec digamma gortux, comme le vartice
de Bohême, c’est-à-dire wortux,
confirmé par le sanskrit vartakah, le grec ortugia. , ou ôtugia, désigne la caille, c’est-à-dire,
étymologiquement, l’oiseau qui picore les grains d’orge (orge en indo-européen yew-, donnant en grec ug) des
sillons (vorth). Mark pourrait renvoyer dans Markvartice
au four en pierres, mark signifiant
pierre.
Les dieux agraires des Gaulois d’Eure-et-Loir .
Le nom de Latone,
la mère d’Apollon, vient de Blaton, le blé. Apollon est appelé
Hécatos dans l’ lIlade et le mot,
de sens obscur, signifie probablement le semeur d’orge. Sa soeur jumelle est
dite Hécata, la semeuse d’orge et son
nom comme sa fonction évoquent la déesse
égyptienne Héket. . En lydien, on a
un nom d’Apollon, Pldans, de blatso, le germe du blé, à rapprocher du
nom de Pluton. Les épithètes homériques, obscures, du
dieu et de sa soeur, Hécatèbolos et Hékaergos, s’analysent en liaison avec
le nom des céréales : bolos le
blé, ou wergo, le blé noir.
Les
cordes de la lyre d’Apollon sont une
représentation des sillons. Les géoglyphes maltais appelé carl ruts dont le nom signifie sillon pour grains
d’orge, s’analyse en : carl , grain d’orge , de kardha, en grec kritha , en latin hordeum , en gaulois ksordheon( qui donne en français le mot escourgeon,, orge d’automne) , en allemand Gerstenkorn, du vieux haut allemand gersta , de kwr, grain,
et de dhea, orge, , grec homérique dzeeai, épeautre , à rapprocher
du sanskrit yavah, orge ;
et rut, de luk , sillon, parent de la
racine we/olk , gonfler, qui donne en
latin ulcus, sillon.
Les carl
rut maltais sont à Malte des sillons
parallèles qui peuvent être longs de plusieurs
kilomètres. ’On trouve aussi ces
profonds sillons dans l’îlot englouti au large de la Sicile, la Pantellaria
vecchia. .
En
Bretagne, les noms de Mané Rutual ou
de Mané Lud contiennent ce mot sillon
sous la forme lud ou rut--ual, -ual signifiant découvert, superficiel, (cf.tir-ial, terrain découvert ;, clairière défrichée en gaulois) et
il y a quatre rangées de bâtons coudés
dans lesquels on a vu à juste
titre des épis ou germes de sésame (et
non , comme parfois, des crosses d’évêque !), accompagnés d’une tête de
jument, c’est- à- dire de la déesse Cérès. Mané est parent du latin milium, millet et de sesamon, sésame.
En
Eure-et-Loir, le « polissoir » disparu
de Germignonville a laissé son nom à la commune : c’est la ferme (villa) de la pierre aux grains de
millet, du gaulois Germilion, de ger, grain, et de milion,
millet (latin milium, grec mélinè).
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