Le maïs pré- européen de Tanna (Vanuatu) et le sort
d’un rescapé de la Boussole à
Tanna : Nicolas Collignon,
jardinier- botaniste et passager de la Boussole.
Par Paul
Griscelli
Bernard Brou, dans « Lapérouse, découvreur de la Nouvelle-Calédonie »,Bulletin de l a Société d’Eudes
historiques de la Nouvelle-Calédonie n°74 , 1er trimestre 1989, terminait
une étude très documentée sur le maïs pré- européen de Tanna par ces lignes : « Le
fait que, parmi toutes les îles de la Mélanésie qui étaient dépourvues de maïs,
celui-ci soit, à Maré (Loyauté) et à Tanna (Vanuatu), antérieur aux premiers
missionnaires ou autres européens, jalonne le parcours de l’expédition
scientifique française de Lapérouse en 1788, aux buts de découvertes mais aussi
humanitaires. » C’est Colignon,
le « jardinier » rescapé de la Boussole,
qui fit cadeau du maïs aux gens de Tanna, comme Lapérouse l’avait fait aux gens
de Maré. .
La diaspora des
quatre survivants de la Boussole : Roux
d’Arbaud, Colignon, Laprise-Mouton et
Marin.
Ecoutons le chef de
Temua à Vanikoro en 1826 : « Quatre
hommes échappèrent (au naufrage de la
Boussole devant Temua) et prirent terre près d’ici en face
du récif des Esprits (des Ngambé, c’est-à-dire
des Blancs) et de l’îlot
Makulumu (le récif des deux pirogues des Blancs): nous allions les tuer quand
ils firent présent de quelque chose (une grande hache) à notre chef qui leur sauva la vie. Ils
résidèrent parmi nous (à Temua) pendant
un peu de temps, après quoi ils allèrent rejoindre leurs compagnons à Béu’u
(Paukori)[à 8 kilomètres de Païou]»
Makataï dont le nom
signifie le mangeur de blancs nous a laissé un
témoignage de l’attaque qu’il organisa contre le Camp des Français
à l’embouchure de la Rivière des Esprits: « Makataï se rendit à Béu’u pour
aider l’équipage du Laborouse [le
bateau de secours fabriqué à l’aide surtout d’éléments de l’Astrolabe]. Celui-ci, lorsqu’il arriva [de Ticopia à la petite île],
était en train de construire un radeau [un
train de bois flottants] avec des arbres qui se trouvaient à proximité de leur campement.
Makataï continua à aider, puis, après
quelques jours, se décida [à tuer l’équipage] . Un soir,
il arriva que tous les hommes à terre [dans le camp des Français] fussent
profondément endormis. Il les tua
d’abord, puis se rendit à bord [du bateau de secours, le Lapérouse] avec l’intention de tuer ceux qui y étaient. Il invoqua
les esprits de ses ancêtres. Il mit le
feu au navire [comme ses ancêtres avaient fait pour la Santa Isabel au XVIe
siècle. On a retrouvé des ossements calcinés et du bois brûlé dans l’épave de
la faille du récif, ce qui gêne beaucoup les partisans de son identification
avec la Boussole). Il tua alors tous ceux qui étaient à bord [ le plus grand nombre fut tué à) terre, mais le
pluriel est ici justifié au moins par
les ossements de deux hommes et d’Ann Smith retrouvés par les
archéologues australiens et l’Association Salomon en 1986 , ainsi que par le squelette de duché de Vancy , transféré
sur l’Astrolabe, squelette qui a été retrouvé sur le site du Lapérouse, le bateau de secours. La marée haute et les courants
firent dériver le bateau incendié dans la faille du récif . ], puis
rassembla des choses du bord telles que
cuillers, tasses, assiettes et bouteilles ».
Quelles raisons ont poussé ce guerrier à cette agression, sans qu’il
y ait aucune provocation de la part des blancs? Selon moi, le désir de goûter
une chair inconnue, celle des blancs, le
désir de s’affirmer et de renouveler l’exploit de ses ancêtres sur l’île
voisine de Taumako dont il a le nom lorsqu’ils ont tué les popalangui espagnols de la Santa
Isabel de Quiros..
Quelques noms de survivants
de l’Astrolabe du camp des Français
massacrés par Makataï au camp des
Français.
La faille du récif
livre, grâce aux objets quotidiens
qu’ils avaient laissé sur le bateau de secours, trois noms de membres de l’équipage de l’Astrolabe qui avaient survécu
jusqu’au massacre de Makataï : ainsi pour la fourchette en argent et armoriée de Sutton de Clonard, auquel Lapérouse avait confié le commandement de
l’Astrolabe, la fourchette en argent
armoriée du chevalier de Monti (mort
dans le naufrage de la Boussole, mais dont les amis ont
récupéré les effets personnels qu’ils ont remisés sur le bateau de secours ) les
scalpels de Lamartinière, la cuiller en bois du timonier Joseph Le Quellec, la gratte de calfat du maître- calfat Yves Quelenec ou le
compas de l’officier marinier et contremaître Sébastien Rolland sur l’Astrolabe
confondu dans Conan avec le tonnelier nantais Simon Rolland, passager de la Boussole. Enfin, Law de Lauriston a pu survivre jusqu’au massacre, si on accepte de
le voir avec Roux d’Arbaud dans ces hommes en train de faire des relevés. A
noter la fourchette gravée d’un passager mort en 1787 sur l’Astrolabe, Jean-Marie Kermel et une cuiller et une fourchette
aux armes de Fleuriot de Langle, de l’Astrolabe :
cela fait beaucoup si l’épave de la
faille du récif était vraiment la
Boussole, alors que cela se comprend s’il s’agissait d’un bateau de secours
fait à partir de l’Astrolabe.
Les rescapés du
massacre du bateau de secours, le « Laborouse ». .
Trois rescapés de la Boussole, Colignon, Laprise- Mouton et Marin
étaient sur le Laborouse, comme l’appelle le guerrier, tandis que le 4e
rescapé, Roux d’Arbaud, faisait
partie de ceux qui étaient préposés à la garde d’une chaloupe de secours de 230 tonneaux :
nous avons déjà évoqué le sort de ce dernier mort à Lavongaï, l’île de Lavo (îles
de l’Amirauté).
Des gardiens du Lapérouse
, trois parvinrent à sauver leur vie et gagnèrent Temua, dont le
chef, rival de Makataï, les avait bien accueillis la
première fois. Ils ont dû se prévaloir
de leur amitié avec lui ; ce chef de Temua
a gardé Colignon avec lui et
donné Laprise- Mouton et son
« serviteur » Marin au chef
polynésien allié de Païou- Paukori.
Etudions maintenant les aventures de ces trois survivants
de la Boussole :
Le «
jardinier « Nicolas Colignon ,
le rescapé devenu un dieu de tanna.
Le chef polynésien
de Temua parlant le teanu fuit Makataï et l’emmène dans
une migration au Vanuatu jusqu’à Tanna, où l’on parle le keanu
, c’est-à-dire une parlure proche du teanu
. Le chef polynésien de Vanikoro ne
s’aventure pas en terrain inconnu, car il s’agit d’une colonie lointaine de sa race.
Colligon possédait deux thermomètres pour contrôler la
température pour la germination des plantes
et le thermomètre qui, à
Vanikoro, servait à un autochtone d’ornement
nasal, lui appartenait , ainsi qu’un second thermomètre , qui a été également
retrouvé dans la faille du récif , sur le bateau de secours. . C’est Colignon qui apporta aux men-tanna le maïs, les orangers, les citronniers , les
mandariniers, ainsi que des pieds de
pommiers canaques (Syzigium malaccense)
ou malaques , appelés pommiers des
blancs (Lapérouse et Collignon) par les indigènes, en même temps qu’un couple
de poules, et des cochonss . Il introduit le culte des jardins et l’agriculture
ainsi que l’élevage à Tanna et c’est un héros de la civilisation, sous le nom
qui est l’altération de Collignon,
Kolakenon. De là sa divinisation. Mais il parla du roi (de France , d’un
pays lointain) au-dessus de lui : le souvenir en revit parfois dans le
culte. Il décida de s’installer près du mont Tukosmeru , nom qui signifie (la
demeure du) magicien français, Meru signifiant Français, , et
tuk, sorcier. Les naturels en firent un roi -magicien (tuko) et un génie (jon)
qu’ils appelèrent Kerapenun (de
Kolakenon, altération de Colignon). C’est là qu’il mourut.
Un siècle plus tard,
un insulaire prétendit être la
réincarnation de Colignon sous le nom de
Jonfrum, le génie (jon) Colignon (frum est l’altération de Krum, contraction de Kerapenum). Le prophète annonçait un nouvel âge d’or, avec retour du
dieu Colignon le 15 février et redistribution des biens « volés par les
blancs » (sic). Il devint l’âme
du Cargo Cult de Tanna, appelé jonfrumisme par les sociologues.
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